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Deux nouvelles gares pour grands conteneurs

G. Sauer, inspecteur technique principal.

mercredi 25 août 2010, par rixke

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Si, en attendant la propulsion nucléaire, la machine à vapeur, le moteur diesel et la transformation des coques ont permis d’accroître la vitesse des navires, le temps nécessaire à la manutention de la cargaison dans les ports n’a guère diminué. Il arrive que des navires passent plus de jours à quai qu’en mer. Les frais portuaires et les charges financières afférentes au navire alourdissent sensiblement les frais d’exploitation.

Par ailleurs, les transports maritimes de marchandises doivent de plus en plus faire face à la concurrence des avions-cargos. Sans doute ceux-ci coûtent-ils encore beaucoup plus cher que les bateaux, mais, outre qu’ils vont plus vite, ils débarquent leurs colis au centre des continents et font gagner un temps qui devient de plus en plus précieux dans un grand nombre d’affaires.

Les chemins de fer ont tout intérêt à collaborer avec les transports maritimes pour rechercher les moyens de réduire les jours de planche des navires et les frais de manutention dans les ports.

Le mode de transport par ferry-boats, exemple bien connu de cette collaboration, permet de gagner un temps considérable, mais il n’est économiquement justifié que sur de courtes distances. L’immobilisation d’un matériel roulant qui coûte cher et la perte de charge résultant de la lourdeur et de l’encombrement des wagons ne peuvent pas, au-delà d’une certaine durée, être compensées par les avantages du système.

Des transporteurs routiers américains ayant envisagé de ne plus charger à bord des navires les châssis des véhicules mais seulement leurs caisses, on vit apparaître les grands conteneurs (transcontainers) que le rail pouvait, lui aussi, transporter.

 Avantages et inconvénients.

Voici comment le rapporteur d’une grande banque exposait les uns et les autres :

« Le transport par container offre de multiples avantages. Le recours à du matériel spécial de manutention représente une économie considérable de main-d’œuvre. Le chargement dans les entreprises mêmes et la réduction à un minimum du nombre d’opérations de manutention diminuent fortement les risques de dégâts. En outre, l’emballage des marchandises ne doit pas être aussi résistant, étant donné que la solidité du container empêche les avaries et le vol, et il s’ensuit d’ailleurs que les primes d’assurance pour le transport pourraient être abaissées. Comme le container peut renfermer jusqu’à 30 tonnes, le chargement et le déchargement dans un système intégré se traduisent par un moindre prix par unité de charge. Le navire mouille moins longtemps au port, car un portique à grue mobile peut déplacer un container en deux minutes et est à même de décharger et de charger en vingt-quatre heures un cargo de tonnage moyen.

Aussi est-il fréquent qu’un navire à containers ne doive rester à quai que le tiers ou le huitième du temps qu’y passerait un navire comparable de type conventionnel. Cela revient à dire que la capacité réelle et donc le rendement du navire augmentent.

Enfin, un élément important du transport réside dans le service qui consiste à livrer les marchandises dans l’état dans lequel elles ont été reçues. En effet, il n’intéresse guère un importateur ou un exportateur d’être indemnisé en cas de perte ou d’avarie si son client est mécontent. Et à cet égard, les avantages du container se manifestent le mieux dans le service porte à porte, avec éventuellement un seul connaissement et un seul prix de transport.

Mais il va de soi que le container n’offre pas que des avantages. Un premier handicap d’importance réside dans le fait que d’énormes investissements sont nécessaires avant qu’un système pleinement intégré ne fonctionne.

Il y a tout d’abord les containers, dont le prix dépend notamment des dimensions, du matériau employé (le plus souvent ils sont en acier, en aluminium ou en plastique renforcé) et de la nature des marchandises qu’ils sont appelés à contenir. Les modèles les plus courants coûtent de 1.400 à 4.000 dollars. La concurrence force à présent les armements à mettre les containers gratuitement à la disposition de leur clientèle.

Outre cet important investissement, des capitaux considérables sont nécessaires pour la construction de navires spécialement destinés au transport des containers ou la conversion de navires ordinaires. En effet, le transport de ces containers par des cargos ordinaires n’est pas du tout économique : leurs chargement et déchargement prennent beaucoup de temps car les écoutilles ne sont pas suffisamment adaptées et la manipulation de lourds containers dans les cales est malaisée. De plus, il faut tenir compte de la perte de volume utile, qui peut atteindre la moitié de la capacité de chargement. Les containers ne sont que rarement pleins, ils sont volumineux et relativement pesants, et la forme même du navire ne permet pas une pleine utilisation de la capacité de chargement. Suivant certaines estimations, les navires traditionnels convertis en navires à containers auraient perdu environ un tiers de leur rentabilité théorique, même lorsqu’ils transportent des caisses sur le pont. Pour les navires spécialement construits à cet effet, la capacité de charge n’excéderait pas 70 p.c. de celle des marchandises en emballage ordinaire.

Les installations portuaires doivent également être adaptées en conséquence. L’emploi efficient de containers requiert presque toujours des installations spéciales. Alors qu’un navire ordinaire ne demande que 1,5 ha de surface d’entreposage (par exemple, 150 m X 100 m), un navire à containers exige de 4 à 8 ha, entre autres par suite de la nécessité d’entreposer les containers déchargés et les containers à embarquer. La manutention est assurée au moyen de matériel spécial et coûteux. Le transport sur le quai et l’entreposage proprement dit nécessitent des tracteurs et des remorques, des « straddle carriers », des portiques de chargement, etc. Et les entreprises qui expédient ou reçoivent des containers ont également parfois besoin d’appareils spéciaux pour leur manutention.

Le déséquilibre existant entre les courants de marchandises constitue un autre handicap important. Il est parfois impossible de trouver du fret de retour, de sorte que les containers doivent être réexpédiés vides. Le fait que de nombreuses entreprises ne sont pas en mesure de remplir totalement un container représente une difficulté supplémentaire. Des centres de rassemblement de marchandises devront pour cette raison être créés, où les divers expéditeurs pourront grouper leurs colis et envoyer de la sorte des containers pleins.

Par ailleurs, le contrôle douanier, le calcul des frets et la responsabilité de l’armateur en ce qui concerne les marchandises posent également des problèmes qui ne sont pas encore totalement résolus. »

 Le rail s’adapte.

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle technique de transport a pris, ces derniers temps, un développement explosif.

Il en résulte que les chargeurs, les transporteurs maritimes, ferroviaires et routiers, ainsi que les transitaires et les expéditeurs en général sont amenés à revoir leurs méthodes de transport et de manutention traditionnelles.

Pour les chemins de fer en particulier se pose un problème de reconversion de matériel de transport, en ce sens que les marchandises en cause - essentiellement des produits manufacturés - ont été jusqu’à présent transportées normalement dans des wagons fermés et que l’utilisation de grands conteneurs nécessite des wagons plats.

Par ailleurs, le chargement et le déchargement de grands conteneurs entraînent la mise en œuvre d’engins de manutention d’une portée de levage d’au moins 25 tonnes.

Les chemins de fer belges s’adaptent résolument à ces impératifs.

En ce qui concerne notamment les installations de manutention, ils ont décidé de créer, tant au port d’Anvers qu’au port de Zeebrugge, des gares spécialisées, équipées pour la prise en charge, la manutention et le transport de « transcontainers ».

 Port d’Anvers.

Les autorités portuaires ont décidé de spécialiser pour ce trafic le triangle formé par le côté sud de la 7° darse (Churchilldok) et le côté nord de la 6° darse. La S.N.C.B. construira sa gare terminus au milieu de ce triangle. Cette gare pour grands conteneurs sera reliée aux voies de quai et comportera d’abord deux, puis quatre voies de 400 m de longueur utile, dont la première sera située le long d’une cour de chargement. Cette gare sera reliée à la Noorderlaan. En outre, un parc clôturé pourra recevoir les « transcontainers » qui ne donnent pas lieu à un chargement ou à un enlèvement immédiat.

Les quatre voies de chemin de fer ainsi que la cour de chargement seront desservies par un pont roulant sur rails d’une puissance de levage de 30 tonnes.

De cette gare partiront les trains directs « T.E.R.R.E. » [1], qui relieront Anvers et Milan dans le courant de cette année. En outre, des rames directes de et vers la gare de formation d’Anvers-Nord permettront d’incorporer les transports de grands conteneurs dans les trains T.E.E.M., qui relient Anvers aux principaux centres ferroviaires d’Europe.

La mise en exploitation normale de cette gare terminus est prévue pour la fin de l’année.

 Port de Zeebrugge.

Au port de Zeebrugge, la Société belgo-anglaise des Ferry-Boats, agissant pour le compte des chemins de fer belges et britanniques, exploite déjà, depuis plus de 40 ans, un terminus spécialisé pour l’accostage des ferry-boats qui assurent plusieurs services journaliers entre Zeebrugge et Harwich. Ce terminus réalise ainsi une liaison directe de chemin de fer entre la Grande-Bretagne et le continent. Depuis quelque temps, cette liaison directe est également possible pour des camions et semi-remorques routières en service « roll-on roll-of », c’est-à-dire avec embarquement et débarquement directs, par roulement autonome, sans engins de transbordement.

A la suite d’accords conclus avec les chemins de fer britanniques et les autorités portuaires de Zeebrugge, la Société belgo-anglaise des Ferry-Boats construit actuellement au port de Zeebrugge un nouveau terminus pour navires de conteneurs. A cet effet, le Département des Travaux publics a décidé de faire construire un mur de quai d’une longueur de 240 mètres.

Le long de ce mur de quai sera aménagée la gare pour conteneurs, sur une largeur de 60 mètres, comportant quatre voies de chemin de fer ainsi qu’une chaussée pour véhicules routiers, permettant le transbordement direct soit sur wagon, soit sur camion ou semi-remorque, grâce à l’installation de deux ponts-portiques sur rails d’une puissance de levage de 30 tonnes. Ces engins auront une hauteur de 20 mètres et pèseront 350 tonnes chacun.

En face de cette gare et dans l’enceinte du port, il sera aménagé un parc permettant le stockage de plusieurs centaines de « transcontainers », avec accès à la route Knokke-Ostende. Autour de ce parc, la possibilité est offerte à la clientèle intéressée de louer à long terme des parcelles de terrain, sur lesquelles il lui sera loisible de construire des bureaux et dépôts.

Les chemins de fer britanniques, pour leur part, construisent une gare similaire au port de Harwich et ont commandé deux navires entièrement spécialisés pour le transport de grands conteneurs et destinés à assurer un service journalier entre Harwich et Zeebrugge. Ces navires auront une longueur de 120 mètres et pourront transporter chacun 148 conteneurs de 8 X 8 X 30 pieds (un pied = 30,48 cm), étant entendu que les conteneurs de longueur différente pourront aussi être acceptés. Ils feront la traversée en 7 heures et, les opérations de transbordement n’exigeant que 5 heures dans chaque port, ils seront en mesure d’effectuer normalement un voyage aller et retour par 24 heures.

Il est prévu que le nouveau service pourra être inauguré pour le début de l’année 1968.

A ce moment, la ligne Zeebrugge-Harwich sera en mesure d’offrir à la clientèle intéressée aux trafics entre la Grande-Bretagne et le continent le triple service de passage direct, soit par wagon de chemin de fer, soit par camion ou semi-remorque, soit par « transcontainer », et cela dans les conditions de vitesse et d’efficience qui permettent d’espérer un développement et une concentration considérables de ce genre de trafic au port de Zeebrugge.


Source : Le Rail n° 127, mars 1967


[1Trans Europ Road Rail Express, voir « Le Rail » n° 116. p 26.