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Le centre de gestion du trafic des marchandises
J. De Rom.
samedi 13 juillet 2024, par
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Depuis le mois de mai 1967, le dispatching central est intégré dans le Centre de gestion du trafic des marchandises, et il a subi une réorganisation complète allant de pair avec la centralisation à la direction de l’Exploitation d’une partie des attributions des centres régionaux de dispatching.
Un peu d’histoire
Pour mieux comprendre les raisons de cette centralisation, il est utile de rappeler pourquoi et comment le « dispatching system » s’est développé sur le réseau S.N.C.B.
De 1903 à 1913, le nombre des voyageurs transportés chaque année monte en flèche de 131 millions à 202 millions, soit en dix ans une augmentation de 54 % ; le trafic des marchandises passe de 44 millions de tonnes par an à 66 millions et le nombre des trains de marchandises de 1.820 à 2.160 par jour.
Pour faire face à ce trafic croissant, les administrations ont procédé au dédoublement des voies, à la pose de lignes nouvelles et à la construction de gares de secours.
Déjà avant 1906, à l’approche de l’hiver, les chemins de fer belges et ceux de nos voisins sont atteints par un mal endémique : l’encombrement. Alors même que le rail doit faire face à une pointe de trafic qui débute avec la saison du transport des betteraves et des charbons domestiques, les difficultés et les incidents provoqués par le brouillard, le gel et la neige entravent davantage la circulation des trains et le triage des wagons.
Pendant ces perturbations, les chefs de gare ne sont plus à même d’intervenir efficacement ni de coordonner leurs efforts, car ils sont mal ou peu renseignés sur la situation des trains et sur ce qui se passe en dehors de leur gare.
Après l’encombrement de l’hiver 1906-1907, les directeurs des chemins de fer décident de freiner l’augmentation du nombre des trains de marchandises en formant des trains plus lourds remorqués par des locomotives plus puissantes. Il en résulte une amélioration passagère, mais l’hiver 1913-1914 remet tout en question : l’encombrement exige cette fois des solutions nouvelles chez nous et chez nos voisins atteints par le même mal.
On constate que, dès l’automne, les chefs de gare veillent avant tout à l’intérêt de leur propre gare et ne se soucient pas assez des conséquences défavorables que leurs propres initiatives engendrent dans les autres gares ou sur l’ensemble du trafic de la ligne.
Le personnel des trains découche dans des conditions souvent pénibles, les roulements sont désorganisés, et l’entretien des locomotives en pâtit. Les perturbations s’aggravent ensuite à cause des défaillances du personnel dont l’état de santé s’altère par suite de trop longues prestations et de fréquents découchers.
Ce qui manque avant tout, c’est une information rapide des chefs de gare sur la situation des trains et une coordination des mesures à prendre dès le début d’une perturbation, c’est-à-dire dès l’instant où chaque chef de gare cesse de connaître la situation exacte des trains et ignore les problèmes qui se posent dans les autres gares.
Pour y remédier, l’Administration des chemins de fer belges décide, en mai 1914, la création de trois « bureaux régulateurs » à mettre en service sur la ligne du Luxembourg : à Schaerbeek, Jemelle et Arlon.
Ces bureaux, que l’on dote de liaisons téléphoniques directes avec les dépôts de locomotives et les gares situés sur cette ligne, sont destinés à la régulation de la marche des trains et à la coordination des moyens d’action de ces gares et de la traction. En août 1914, la guerre arrête les travaux déjà en cours.
A la fin de cette guerre, les Américains équipent en France la ligne Saint-Nazaire - Saumur d’un système de dispatching à peu près semblable à celui qui est exploité aux Etats-Unis depuis 1907, date à laquelle l’intervention du téléphone dans les postes de direction du service des trains donne naissance au premier système de régulation à distance du trafic. Tous les renseignements communiqués par les gares à l’aide du téléphone sont enregistrés sur graphique par le dispatcher. Celui-ci a donc sous les yeux en permanence l’image réelle de la position de tous les parcours dans la zone qu’il contrôle.
Après l’Armistice, les transports ferroviaires sont perturbés par les arrivages irréguliers des marchandises dans les ports français, par la pénurie de produits dans les régions dévastées et par le manque de formation professionnelle d’une importante partie du personnel recrutée en hâte à la fin des hostilités.
Le « Dispatching System »
Toutes ces difficultés ayant mis en évidence l’efficacité du dispatching system, l’Administration des chemins de fer belges décide, en juin 1921, d’équiper la ligne du Luxembourg d’un circuit de dispatching à sélecteurs, du type américain, qui permet des communications téléphoniques instantanées entre le dispatcher et tous les postes reliés à ce circuit.
Dès la mise en service de ce dispatching, le 1er octobre de la même année, le succès dépasse les prévisions les plus optimistes, tant dans le domaine de la régularité que dans celui du rendement des locomotives.
Deux questions se posent alors : où faut-il installer les bureaux du dispatching et comment faut-il délimiter la zone d’action de chaque circuit de dispatching ?
La solution à la première question apparaît clairement. Il faut installer le dispatching dans les bureaux du groupe auquel appartient la ligne à « dispatchiser », ou bien dans les bureaux du groupe propriétaire du plus grand tronçon si la ligne à « dispatchiser » est commune à plusieurs groupes.
La réponse à la deuxième question découle de deux conditions primordiales. La première condition est de réaliser des circuits aussi longs que possible afin de permettre au dispatcher de contrôler chaque train suffisamment longtemps pour en régler la marche d’une façon rationnelle. En effet, l’action du dispatcher s’affaiblit aux points de soudure des circuits, et une étroite collaboration entre les dispatchers de deux circuits voisins ne suffit pas pour éliminer complètement ces inconvénients.
La seconde condition, qui dérive de la première, est de rester en deçà des possibilités physiques de travail du dispatcher afin de ne pas nuire à l’efficacité de son rôle dès qu’un incident nécessite un plus grand nombre de communications. Les dispatchers expérimentés font cependant face à des surcharges temporaires pouvant atteindre 150 % des possibilités physiques normales.
Hier
Huit centres régionaux de dispatching correspondant aux huit groupes du réseau S.N.C.B. se partageaient 2.071 km de lignes « dispatchisées », dont 35 km équipés de la commande centralisée de circulation (C.C.C.) entre Angleur et Welkenraedt [1] et 47 km sur lesquels la mise en service de la C.C.C. est en cours entre Mons et Hal.
Dans chaque centre régional de dispatching, lui-même composé de trois ou quatre zones, un « agent de liaison » assurait la coordination entre ces zones. Il avait pour mission d’élaborer, pour les trains et pour les locomotives circulant dans ces zones, les combinaisons rationnelles afin d’adapter à tout moment les moyens aux besoins des gares.
La coordination entre les centres régionaux était assurée au siège de la direction de l’Exploitation par le dispatching central. Mais celui-ci n’était pas équipé pour obtenir, au niveau du réseau, cette coordination efficace réalisée dans chaque centre régional. Ces fameuses cloisons qui isolaient jadis les gares se sont interposées entre les centres régionaux du dispatching.
Cependant, cette organisation était la meilleure au temps où les moyens d’information rapides se limitaient aux circuits de dispatching ou au réseau de téléphones omnibus d’abord, automatiques ensuite.
Aujourd’hui
Aujourd’hui, les progrès réalisés dans le domaine des transmissions par téléphonie sélective et par téléimprimeurs, ainsi que dans le domaine du traitement des informations par appareils électroniques, permettent d’éloigner les « agents de liaison » de leurs sources d’information. C’est cette nouvelle étape que la S.N.C.B. vient de franchir en créant le Centre de gestion du trafic des marchandises (CGTM), dans lequel les « agents de liaison » sont groupés.
Le réseau S.N.C.B. est divisé en quatre zones. A chaque zone correspond une table de dispatching reliée, à l’aide d’un circuit spécial de téléphonie sélective, aux gares importantes et aux circuits régionaux de dispatching. Deux autres tables sont reliées au moyen de circuits semblables à tous les ateliers de traction et aux répartiteurs M.A. de la traction électrique. Les six tables sont groupées dans un local insonorisé. Les dispatchers peuvent utiliser indifféremment un appareil téléphonique de type courant, un équipement spécial micro-haut-parleur ou un casque micro-écouteur.
Un réseau pneumatique de transport de documents assure, à l’aide de cartouches, la circulation des documents entre les tables de dispatching et entre les différents bureaux du CGTM.
La station principale de ce réseau est située dans un bureau équipé de onze téléimprimeurs sur lesquels parviennent les informations et les messages destinés au CGTM, notamment les résultats des comptages fournis par un équipement électronique qui dépouille au passage les bordereaux téléimprimés de composition des trains de marchandises.
Cette centralisation permet de confier à chaque agent de liaison une zone d’action plus vaste, d’obtenir entre eux une très étroite collaboration et d’accoler au dispatching central le bureau central de répartition du matériel à marchandises. Ces deux services, dont l’action est imbriquée, sont ainsi à même de synchroniser leur intervention respective dans la gestion du trafic et aussi d’utiliser en commun les appareillages électroniques de traitement des informations.
Puisque la zone d’action confiée à chaque agent de liaison est plus vaste, il va de soi que les combinaisons se développent davantage dans l’espace et dans le temps. Les problèmes à résoudre par ces agents peuvent être comparés à ceux posés au joueur d’échecs : « Si je fais ceci ici, que se passera-t-il là-bas ? »
Ce développement des combinaisons, qui dépassent de loin les limites d’un groupe, nous conduit maintenant vers des possibilités nouvelles. La plus paradoxale parmi ces possibilités est la création ou la modification des besoins d’une ou de plusieurs gares quand ce procédé se révèle plus avantageux que le système classique qui consiste à adapter les moyens aux besoins des gares.
Pour agir vite et bien, le CGTM doit connaître, à tout moment, d’une façon précise et pour chaque gare de formation, d’une part la situation exacte du triage, d’autre part la situation anticipée de ce triage, situation basée simultanément sur les compositions des trains qui se dirigent ou vont se diriger vers la gare de triage et sur l’incidence des combinaisons effectuées par le CGTM.
Nous voici donc en face du nouveau problème auquel le CGTM apporte des solutions techniques dont l’efficacité va de pair avec l’extension du réseau de téléimprimeurs des gares et avec la mise en service, par étapes, des équipements électroniques destinés au traitement local des informations dans les zones d’action des gares de formation.
L’organisation actuelle du CGTM ne constitue qu’une première étape d’un programme d’avenir élaboré par la direction de l’Exploitation et qui confère à la S.N.C.B. une place d’avant-garde parmi les réseaux de chemin de fer européens.
Source : Le Rail, décembre 1967