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La cybernétique au service du chemin de fer
(Extrait d’un article de Louis Armand.)
jeudi 25 juillet 2024, par
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L’idée d’une application de la cybernétique au chemin de fer, lorsqu’elle fut émise, se heurta à un certain scepticisme. Pour la rigueur de ses règles d’exploitation, le chemin de fer est l’image même de la précision, et cette « cybernétisation » apparaissait à beaucoup comme auréolée d’une certaine imprécision, tant dans les buts à lui assigner que dans les modalités mêmes de la mutation à entreprendre...
Face aux esprits sceptiques, certains promoteurs voyaient au contraire, en la cybernétique, un remarquable catalyseur destiné à permettre une profonde mutation des principes de la gestion d’un réseau, le chemin de fer étant, par son essence même, un terrain d’élection pour l’application des disciplines nouvelles engendrées par ces extraordinaires machines que sont les ordinateurs...
Sur le plan pratique, certains réseaux avaient déjà fait appel aux ordinateurs et à leur mémoire presque illimitée pour créer des ensembles destinés à gérer les salaires et les prestations sociales, d’autres avaient utilisé ces machines pour des essais de réservation des places, de conduite automatique de certains véhicules, de programmation et d’établissement d’itinéraires sur des tronçons de lignes à voie unique...
Bien sûr, les réalisations effectuées dans le domaine du rail n’ont pas, jusqu’ici, toujours atteint, pour le profane, le côté spectaculaire enregistré en d’autres domaines, tel le guidage des satellites artificiels...
Mais des réalisations extra-ferroviaires de cette envergure n’ont fait que consolider la conviction des promoteurs de la cybernétisation du rail, donc il est raisonnable d’attendre, dans un avenir proche, une transformation profonde du chemin de fer. L’avènement des disciplines nouvelles qu’implique cette profonde évolution nécessite, plus que jamais, la mise en commun des connaissances acquises ct la recherche de normes communes à tous les réseaux, impératifs adoucis par le fait même que les réseaux travaillent, non en concurrents, mais en associés pour une cause commune. C’est cependant la multiplicité des réseaux qui rendra le tâche plus difficile aux techniciens européens continentaux par rapport à leurs collègues américains, canadiens, soviétiques, disposant de complexes ferroviaires nationaux immenses, ou japonais, dont le réseau s’arrête là où commence la mer. L’action des ordinateurs qui, en particulier, devront suivre les wagons et, bientôt, les containers, dépassera les frontières nationales et, d’ores et déjà, met en lumière l’importance primordiale d’une collaboration étroite et d’une normalisation poussée.
Le chemin de fer a toujours joué un rôle actif au cours des deux révolutions énergétiques ayant marqué l’essor industriel qui s’est développé depuis un siècle et demi : la vapeur, l’électricité et le pétrole. Dans la troisième révolution, celle des ordinateurs, le chemin de fer a aussi son rôle à jouer, d’autant plus important que cette révolution ne s’applique pas, comme les précédentes, à un problème de traction pure, mais aux lois mêmes régissant le chemin de fer dans sa conception, sa vie et son développement.
Il est du reste symptomatique, rassurant et agréable tout à la fois, de constater que les possibilités offertes à la cybernétique en matière de chemin de fer n’ont pas seulement frappé les spécialistes du transport, mais des personnes n’ayant aucune appartenance ferroviaire, tel le journaliste américain G. Burck qui, récemment, écrivait dans la revue « Fortune » :
« ... Il est peu d’industries pour lesquelles le principe du temps réel et de l’accès direct possède un domaine d’application plus prometteur que celle des chemins de fer. Grâce à l’association semi-automatique réalisée entre roues et rails, les chemins de fer ont exprimé les concepts de la cybernétique et de l’automatisation cent ans avant leur temps. Et cette association offre toujours la possibilité de déplacer une tonne sur une distance d’un kilomètre en demandant moins d’énergie qu’aucun autre moyen de transport. On peut aisément évaluer les possibilités des chemins de fer travaillant sous contrôle des calculateurs, en les considérant comme un réseau miniature réalisé dans le sous-sol d’une maison. Le système est à accès direct, et en temps réel ; l’opérateur voit tout, connaît tout, décide de tout. Avec l’aide des calculateurs, les responsables des chemins de fer pourraient contrôler 80.000 km avec la même omniscience que celle du contrôleur d’un train miniature... »
Source : Le Rail, mars 1968
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