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La S.N.C.B. s’engage dans la voie de l’automatisation ... en installant des calculateurs électroniques dans ses gares de triage
M. Gochet, ingénieur principal.
jeudi 10 octobre 2024, par
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Les transformations profondes de l’informatique
La puissance du chemin de fer est incontestable et aucun autre moyen de transport ne peut lui être comparé dans les domaines à la fois de la capacité, de la vitesse et de la régularité. Cette puissance a sa contrepartie : il est, en effet, évident qu’un de ses principaux handicaps dans la compétition qui l’oppose aujourd’hui aux autres techniques de transport est une certaine raideur de son organisation.
Quand on analyse les causes de cette raideur, on voit qu’elle résulte, d’une part, de la grande dispersion dans l’espace et dans le temps des multiples opérations qui constituent un transport par chemin de fer, et, d’autre part, des limites humaines aux possibilités de coordination de toutes ces opérations. Si le propriétaire d’une entreprise de transport comprenant quelques camions peut à tout moment avoir leur affectation en mémoire et coordonner leurs mouvements, le problème change fondamentalement d’aspect lorsqu’il s’agit de gérer des dizaines de milliers de wagons, pouvant être chargés ou déchargés dans des centaines de gares et susceptibles d’être groupés en trains selon un nombre pratiquement infini de combinaisons différentes.
Pour dominer ce problème, le chemin de fer a dû, très vite, se donner une organisation complexe basée sur des règlements, des consignes de travail, des plans préétablis, et qui, inévitablement, se révèle assez rigide.
L’informatique, considérée par certains comme la deuxième révolution industrielle du monde moderne, est toutefois sur le point de transformer profondément cette situation en donnant au chemin de fer la souplesse qui lui manquait jusqu’ici. Les techniques modernes de télécommunications permettront, en effet, à l’avenir de saisir, dans tous leurs détails, toutes les opérations de transport depuis la demande de wagon par l’expéditeur jusqu’au déchargement de la marchandise par le destinataire. Les calculateurs électroniques traiteront cette masse énorme d’informations et élaboreront aussi bien les ordres à exécuter à court terme que les directives générales à moyen et long termes. Le contrôle de la bonne exécution des ordres complétera le système et le rendra cybernétique au sens profond du terme.
Il s’agit là, bien entendu, de vues d’avenir qui ne pourront se réaliser que progressivement, mais qu’il est nécessaire de se fixer comme objectif général si l’on veut construire un système cohérent. La progression doit se faire pas à pas, car les difficultés sont nombreuses : mise au point d’équipements nouveaux, formation de personnel à de nouvelles méthodes de travail, développement de procédés d’élaboration d’ordres de nature mathématique.
La plupart des administrations de chemin de fer se sont engagées dans cette voie, et des efforts importants sont accomplis, sur le plan international, dans le cadre de l’U.I.C. depuis quelques années, afin que les réseaux mettent en commun leurs conceptions, leurs projets, les résultats – favorables ou non – de leurs expériences. L’U.I.C. vient, en particulier, de passer commande à un organisme d’études privé, au nom des administrations qu’elle réunit, d’une étude de caractère fondamental sur le problème du transport des marchandises par chemin de fer.
Pour sa part, la S.N.C.B., tout en se tenant informée des expériences et réalisations étrangères, s’est fixé un programme précis, dont la première étape est en cours de réalisation.
Il s’agit, essentiellement, dans cette première étape, de doter le réseau d’un système de collecte et de concentration de l’information ou, en d’autres termes, d’un « système nerveux » qui doit être à la base de cette souplesse nouvelle du rail.
Comme dans tout système nerveux, on y trouve des organes périphériques qui collectent les informations élémentaires, des nœuds où ces informations se regroupent et où apparaissent des « réflexes » locaux qui n’intéressent pas l’ensemble du système, et enfin un cerveau dans lequel se forme l’image globale de la situation des transports. Les organes périphériques sont les téléimprimeurs des gares, raccordés au réseau télégraphique automatique de la S.N.C.B., les nœuds sont les gares de triage, équipées de calculateurs électroniques, le cerveau est le Centre de gestion du trafic des marchandises de la direction de l’Exploitation (voir « Le Rail » n° 136).
L’installation de calculateurs électroniques dans des gares de triage
Dans la mise en place de ce système de collecte et de concentration de l’information, l’installation de calculateurs électroniques dans les gares de triage d’Anvers-Nord, de Schaerbeek, de Ronet et de Stockem constitue une étape importante. C’est la première fois, en effet, dans l’exploitation des chemins de fer, que des équipements de cette nature sont mis en œuvre à proximité immédiate des chantiers de travail des gares et conçus pour être desservis par le personnel de ces gares.
Cette expérience n’a pu être envisagée que grâce aux perfectionnements récents apportés à ces équipements sur le plan de la robustesse et de la « fiabilité ».
Dès à présent, les calculateurs électroniques sont installés dans les gares de triage qui ont été choisies comme terrain d’expérience. Ils font actuellement l’objet de préparatifs minutieux et d’essais importants. Dans quelques mois, ils deviendront opérationnels et s’intégreront dans les opérations liées au trafic des marchandises.
On peut, dès à présent, définir leur rôle, dans les grandes lignes, de la façon suivante.
Tout wagon pénétrant dans la zone d’action d’une gare de triage y fait l’objet d’un certain nombre d’annotations en divers endroits et moments de son séjour. Ces annotations sont faites sur des listes, d’où elles sont fréquemment retranscrites dans des registres et comptabilisées selon divers critères afin de fournir les bases d’une série de statistiques journalières, hebdomadaires ou mensuelles. Ces listes servent, par ailleurs, d’archives pour les recherches ultérieures et la résolution des litiges éventuels.
L’objectif principal de l’automatisation de ces opérations par calculateur électronique est de procéder une seule fois à la collecte de l’information, de la conserver fidèlement en « mémoire » aussi longtemps qu’il le faut, en la mettant à jour lors de chaque modification : déplacement du wagon ou changement d’état (chargement ou déchargement).
En puisant dans cette « mémoire », on pourra obtenir, dans une forme impeccable, toutes les listes nécessaires à l’exploitation de la gare (bordereaux de train, bulletin de triage...), toutes les statistiques périodiques et tous les renseignements souhaitables lors de recherches ultérieures.
On voit immédiatement, d’après cet exposé sommaire des objectifs poursuivis, que la « mémoire » est un élément essentiel du système ; il s’agit, en l’occurrence, d’une mémoire magnétique à tambour (Ronet et Stockem) ou à disques (Anvers et Schaerbeek), dont le temps moyen d’accès s’exprime en millisecondes et qui peut contenir jusqu’à 4.000.000 de chiffres ou lettres.
Le calculateur électronique proprement dit, appelé « unité centrale », comporte les organes de calcul et de logique et, dans une mémoire spéciale à son usage exclusif, conserve les programmes de travail dont il a besoin. La cadence de travail s’exprime en micro-secondes.
Enfin, un certain nombre d’organes dits « d’entrée-sortie » permettent d’engager la conversation avec le calculateur, de l’alimenter en informations, de lui donner des ordres ou de l’interroger. Il s’agit éventuellement de machines à écrire ou de téléimprimeurs installés à proximité immédiate du calculateur électronique ou répartis aux endroits névralgiques de la gare.
Les équipements sont conçus pour être desservis par le personnel de factage des gares moyennant une initiation rapide ; les fausses manœuvres sont exclues et toutes les mesures sont prises pour que les informations ne se « perdent » pas en cours de traitement. En particulier, les calculateurs sont associés deux par deux et reliés par une liaison télégraphique spéciale qui permet d’écrire, simultanément dans les deux mémoires, les informations relatives aux wagons présents dans chacune des gares. De cette façon, en cas d’arrêt d’un calculateur, son associé dispose de toutes les informations nécessaires pour la poursuite des opérations à distance.
L’installation de ces calculateurs électroniques constitue à divers points de vue une « première » sinon mondiale, du moins européenne, qui dès à présent suscite un vif intérêt de la part des réseaux voisins.
Les difficultés surmontées dans la mise au point des programmes de fonctionnement avec l’aide des services d’études des fournisseurs, dans un domaine où la voie devait être frayée, sont un gage de succès. Lorsqu’après quelques mois de rodage, les équipements seront rendus opérationnels et soulageront le personnel de factage des gares en prenant en charge une part importante des opérations de routine qu’ils effectuent aujourd’hui, la preuve aura été faite, une fois de plus, de la volonté des cheminots belges d’améliorer constamment leur outil de travail en apportant à cette recherche l’intelligence, l’imagination, la persévérance et l’esprit pratique qui les caractérisent.
Source : Le Rail, septembre 1968
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