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Le rail canadien en marge de l’expo 67

Roger Gillard.

mercredi 10 novembre 2010, par rixke

Abstraction faite de l’U.R.S.S., le Canada est le plus grand pays du monde. Il couvre une superficie de près de dix millions de kilomètres carrés, soit presque celle de l’Europe, et la longueur des territoires du Sud, que traverse le géant Transcanadien, ne mesure pas moins de dix mille kilomètres. Vingt millions d’habitants, dont 70 % sont groupés dans les centres urbains, se partagent cette prodigieuse immensité. Ces quelques chiffres, qui écrasent nos modestes normes nationales, font aisément comprendre que, plus que n’importe quel autre pays, le Canada doit compter sur ses moyens de locomotion et que les problèmes qui en dérivent ne se posent pas là-bas comme chez nous.

Longtemps après 1535, année où les Français commencèrent à entreprendre la remontée du Saint-Laurent, l’eau resta le seul grand moyen du transport canadien, et ce ne fut guère qu’en 1848, après deux siècles de guerres et de malaise, quand les habitants des colonies s’accordèrent pour établir un gouvernement responsable, qu’on songea sérieusement à doter le pays d’un réseau de voies de communication qui pouvait satisfaire à ses besoins et à son expansion. De cette époque datent la construction des premières grandes routes et les premiers travaux du Transcanadien. Commencée presque simultanément à Montréal et à Vancouver, cette liaison par le rail de l’Atlantique au Pacifique, la seconde après le Central Pacific qui souda New York à San Francisco dès 1869, fut solennellement inaugurée en 1886.

Depuis lors, le rail a sérieusement morcelé l’immense territoire. De nombreuses lignes ont été créées, qui relient, à travers des régions à la géographie et au climat souvent ingrats, des villes éloignées l’une de l’autre de milliers de kilomètres. De nos jours, les chemins de fer canadiens sont l’un des secteurs d’investissement les plus importants du pays. Deux grands réseaux, le Canadien National (CN), entreprise d’Etat, et le Canadien Pacifique (CP), société par actions, se partagent 85 % du transport ferroviaire. La longueur totale du réseau atteint 70.000 kilomètres, soit autant que le réseau africain. Les deux sociétés exploitent notamment les deux grandes lignes transcontinentales. Ces lignes sont souvent parallèles et n’ont chacune qu’une voie unique ; par endroits, elles ne sont séparées que par quelques centaines de mètres. Sur un long parcours, dans les montagnes Rocheuses, par exemple, les rails d’une compagnie se trouvent sur la rive droite, celles de l’autre sur la rive gauche de la rivière Frazer. Les mêmes villes sont parfois reliées simultanément par les deux compagnies. Occasionnellement, celles-ci utilisent les mêmes gares.

Les sociétés ferroviaires canadiennes sont à l’image du pays : vastes et débordantes de ressources. Avec ses quatre-vingt-dix mille employés, son capital de trois milliards et demi de dollars et son revenu annuel de sept cents millions de dollars, le Canadien National est une des plus fortes entreprises du monde. Un tel revenu, dans un pays dont la population est tout de même relativement faible, ne laissera sans doute pas de surprendre. Il est vrai, comme nous le verrons plus loin, que les chemins de fer canadiens, faisant montre en l’occurrence d’un singulier sens des affaires, embrassent une multitude d’activités connexes.

Cette immixtion des chemins de fer dans des domaines qui ne sont pas toujours cheminots s’explique par le fait qu’au Canada comme ailleurs, face à une concurrence de plus en plus remuante, le rail doit résoudre des problèmes sans cesse grandissants. Longtemps, l’eau et le rail ont gardé le monopole des transports. On comprend cette double préférence. Le Canada est doté de trois immenses littoraux et d’une magnifique voie maritime, le bas Saint-Laurent, qui pénètre au cœur du continent. La voie maritime permet le passage de presque tous les océaniques, et le haut Saint-Laurent, de même que les grands lacs du sud, est accessible à 80 % aux long-courriers. Le Canada est en outre pourvu de nombreux canaux et voies navigables, voies lentes mais relativement peu coûteuses. Le transport par eau n’est donc compétitif qu’en ce qui concerne certaines marchandises pondéreuses, et par ailleurs, si les rivières sont nombreuses, elles ne se trouvent pas toujours là où elles devraient être. En d’autres mots, l’eau n’a joui et ne jouit encore que d’une souveraineté très restreinte. On peut dès lors affirmer que, pendant plus d’un siècle, le rail canadien a été le roi du voyage.

Mais, depuis la seconde guerre mondiale, les transports canadiens se sont profondément modifiés. On a notamment assisté à une multiplication effarante du nombre des autos. Les distances impressionnantes séparant certaines grandes villes ont en outre contribué à la naissance, puis au perfectionnement, d’une aviation civile importante. Si le train n’entend pas se mesurer avec l’aviation sur les longs trajets, il n’en reste cependant pas moins le moyen de locomotion le plus sûr et le plus confortable et, dans de nombreux cas, il est plus rapide que l’auto. Souvent même, l’utilisation de celle-ci constitue un sérieux handicap.

La prolifération de l’automobile dans les régions urbaines pose, en effet, aux Canadiens de dramatiques problèmes de transport. Espérant accélérer la circulation entre la banlieue et les quartiers commerciaux, ils ont construit des routes réservées à certains véhicules, mais les embouteillages n’ont guère diminué pour autant. Certains automobilistes, abandonnant un engin devenu inutile, s’étaient d’ailleurs rabattus sur le bus et les trolleybus. Cette initiative fut bénéfique pour certains, mais on enregistra d’autre part une augmentation des véhicules en commun, ce qui ajouta à la confusion de la rue et de la route. C’est alors que l’on en vint à envisager le métro pour les deux plus grandes villes du pays. Aujourd’hui, c’est chose faite : les habitants de Toronto et de Montréal prennent le train pour faire leurs emplettes et pour se rendre au bureau.

Un immense train du CN dans un merveilleux paysage (Cap. CN et Ambassade du Canada).

Source : Le Rail, n° 131, juillet 1967