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1930-1940 : dix ans de crise économique ... Et de progrès ferroviaires
P. Vankeer.
mercredi 25 juin 2025, par
La prospérité de l’économie mondiale dans les années vingt – les roaring twenties comme on les a surnommées – se termine avec le krach boursier d’octobre 1929 à Wall street (le tristement célèbre jeudi noir). La récession est immédiate aux États-Unis mais elle affecte aussi gravement l’Europe, surtout à partir de 1931. L’industrie belge enregistre un fort recul de son activité, ce qui entraîne un taux de chômage alarmant conduisant à la misère et aux troubles sociaux. Deux années seulement connaissent une embellie : 1935, en raison de l’exposition universelle de Bruxelles et 1937, à la suite de la dévaluation du franc belge. La toute jeune SNCB – elle a succédé à l’Administration des chemins de fer de l’État en 1926 – n’est pas épargnée par la dépression. Le tonnage des marchandises et le nombre de voyageurs transportés baissent sensiblement au début des années trente. Parallèlement, la concurrence devient plus aiguë, voire même féroce. Il y a moins de marchandises à transporter qu’au temps de la prospérité et le rail, la route et l’eau se disputent âprement le potentiel réduit.
Pour consolider sa part de marché, la SNCB s’efforce à la fois d’améliorer la qualité de ses services et d’offrir des prix de transport compétitifs grâce à des tarifs spéciaux assortis de conditions de tonnage ou de fidélité, ce qui ne plaît guère à la concurrence. Dans cette optique, le directeur général, M. Rulot, n’hésite pas à engager la polémique avec le professeur Baudhuin qui, dans la presse, se fait le défenseur des intérêts des camionneurs et des bateliers.
En service voyageurs, le trafic se contracte tant par l’effet de la crise que par l’augmentation du parc automobile. Pour remonter la pente, il faut des voitures modernes, des engins de traction rapides, des temps de parcours réduits et des fréquences plus rapprochées. Dans ce cadre, l’électrification et l’utilisation d’autorails sont à l’ordre du jour.
De nouvelles voitures pour les voyageurs
En 1930, le parc voyageurs est constitué essentiellement de voitures en bois. La construction de voitures métalliques, donc plus lourdes, est décidée. En service intérieur, trois types de voitures sont étudiés et réalisés :
- Le type K : il s’agit de voitures à deux plates-formes extrêmes et portières battantes. Elles équipent essentiellement les trains express dits « blocs » et les « directs » ;
- Le type L : ce sont des voitures plus courtes aux parois légèrement bombées. Elles n’ont pas de plates-formes et des portières battantes sont installées à plusieurs endroits le long de la caisse. L’accès est malaisé car il s’effectue entre les voyageurs assis de part et d’autre de la portière. Elles sont destinées aux trains « semi-directs » ;
- Le type M compose les trains omnibus. Deux plates-formes sont installées aux quart et trois quart de la longueur de la caisse. Elles sont munies de portes coulissantes dont l’ouverture et la fermeture sont commandées par le chef-garde.
En trafic international aussi, les anciennes voitures en bois sont remplacées par des métalliques. Celles-ci sont de deux types : mixtes 1re et 2e classes à huit compartiments (deux de 1re et six de 2e classe) et 3e classe à onze compartiments. Il est regrettable que les sièges de cette dernière classe soient encore des banquettes en bois alors qu’à la même époque les réseaux étrangers équipent ces voitures de revêtements en cuir pour les longs parcours.
De nouveaux engins de traction vapeur
Retenons essentiellement deux nouveaux types de locomotives à vapeur :
- La type 1 de modèle « Pacific » (un bogie porteur avant, trois essieux moteurs, un essieu porteur arrière). Construites de 1935 à 1938, ces locomotives sont principalement destinées aux trains HKV directs lourds ou HKI à 120km/h ;
- La type 12 aérodynamique de modèle « Atlantic » (bogie porteur avant, deux essieux moteurs, un essieu porteur arrière). Livrées en 1939, ces locomotives remorquent des trains rapides et légers sur des lignes à profil facile.
L’électrification
Après l’électrification, à titre expérimental, de la ligne Bruxelles - Tervueren, la SNCB étudie la mise sous caténaire de la ligne la plus chargée du réseau, Bruxelles - Anvers. L’électrification est réalisée au printemps 1935 mais ne porte que sur deux voies destinées à un service fréquent entre la capitale et la « métropole » avec un seul arrêt intermédiaire à Malines. Les deux autres voies de la ligne sont affectées aux trafics omnibus et marchandises, tous deux restant assurés en traction vapeur.
Le nouveau matériel voyageurs est constitué de rames automotrices quadruples construites par les Ateliers métallurgiques de Nivelles et par les Ateliers de la Dyle. Chaque rame comporte une motrice 3e classe, une remorque 2e classe, une remorque mixte 2e et 3e classes ainsi qu’une motrice 3e classe avec compartiment fourgon. Le confort y est particulièrement soigné. Pour la première fois, les voyageurs de 3e classe ont droit à un mince coussin de tissu sur leurs sièges.
Fait à noter : la première classe est supprimée dans ces rames ; il est vrai qu’à l’époque on ne trouve plus que très rarement des voyageurs payant le tarif de luxe !
Le trajet s’effectue en vingt-neuf minutes sans arrêt et en trente et une minutes avec arrêt à Malines contre trente-six minutes pour le plus rapide « bloc vapeur » sans arrêt en 1933.
À partir du 8 octobre 1939, toutes les gares de la ligne Bruxelles - Anvers sont dotées de quais sur les voies électrifiées : des rames doubles sont affectées au service omnibus tandis que des rames quadruples (devenues plus tard sextuples par l’ajout de deux remorques intermédiaires) assurent des services « semi-directs » aux heures de pointe avec arrêt à Vilvorde, Malines, Kontich et Oude God.
Les autorails
Dès le début des années trente, la SNCB expérimente des autorails pour remplacer de façon économique certains trains omnibus à faible fréquentation. Au départ, il s’agit de véhicules à caisse unique et à l’aspect peu esthétique. Mais dès 1934, des autorails doubles d’allure plus moderne font leur apparition, notamment pour assurer des services rapides entre Bruxelles et Gand.

Les plus belles réussites des années suivantes sont sans aucun doute la série des autorails triples pour les services express. Toutefois les autorails à caisse unique font aussi l’objet d’améliorations tant pour le confort que pour leur ligne extérieure : le « Maybach » et le « Baume et Marpent » sont les plus caractéristiques dans ce domaine. Mentionnons encore l’apparition d’un type curieux d’autorail à vapeur construit par les Ateliers métallurgiques de Nivelles sous licence britannique Sentinel.
Enfin, vers 1939, c’est la mise en service des autorails Brossel ne comportant que des sièges de troisième classe et ne disposant ni de toilettes ni de compartiment fourgon. Destinés à des dessertes rurales, certains de ces engins (à caisse unique mais à visibilité remarquable) font l’objet d’une expérience, assez brève et non concluante, d’exploitation en « one man car ».
Disons enfin que la livrée d’origine de tous les autorails comme celle des rames électriques est bleue et jaune.
Accélération des services et horaires cadencés
Ces deux mesures sont mises en œuvre tant sur la ligne électrifiée que sur les autres. C’est ainsi qu’en 1938 les trains électriques partent de Bruxelles-Nord à l’heure juste (avec arrêt à Malines), aux heures vingt et quarante (sans arrêt). Aux heures de pointe en semaine, la fréquence est portée à un train toutes les dix minutes.
Sur la ligne Bruxelles - Liège, toujours en 1938, de nombreux trains quittent Bruxelles-Nord à l’heure juste à destination de la cité ardente, le meilleur temps de parcours étant d’une heure quinze minutes contre une heure vingt-cinq minutes en 1930.
Même schéma sur Bruxelles - Ostende : les express avec arrêt à Gand et à Bruges partent généralement de Bruxelles (Midi) à l’heure juste ou avec un décalage d’une minute. Les trains les plus rapides (à faible tonnage) font le parcours en une heure quinze minutes contre une heure trente-cinq minutes en 1930 (grâce en partie à la nouvelle ligne directe Bruxelles - Gand mise en service entre-temps).
Départs aussi à l’heure exacte de Bruxelles-Midi pour Charleroi-Sud et de Bruxelles-Quartier Léopold pour Namur. Le trajet Bruxelles - Charleroi (assuré sans arrêt par autorails triples) ne demande plus que quarante-deux minutes au lieu de cinquante-huit par « bloc vapeur » en 1930 ; et le meilleur train relie Bruxelles-Quartier Léopold à Namur en quarante-cinq minutes avec arrêt à Ottignies et Gembloux au lieu de soixante minutes huit ans plus tôt. Ce n’est pas encore l’horaire cadencé intégral mais on y tend.
Où la SNCB décroche un ruban bleu
En 1939, la SNCB met en service, pendant la période de juillet à septembre, deux trains quotidiens Bruxelles - Ostende en une heure (en plus des trains « cadencés ») avec un seul arrêt à Bruges. Ces deux trains tractés par des types 12 (dont nous avons parlé plus haut) tirant trois voitures de première et deuxième classes accomplissent le trajet Bruxelles-Midi - Bruges en quarante-six minutes soit à la vitesse commerciale de 120,5 km/h, dépassant de très peu le record établi précédemment par le train « Hiawatha » du réseau Chicago - Milwaukee - St Pauland Pacific. La Belgique obtient ainsi le ruban bleu de la vitesse des trains à vapeur dans le monde !
Chronique d’un orage annoncé
Mais en septembre 1939, les cheminots belges ont d’autres soucis. L’Allemagne nazie attaque la Pologne le 1er septembre. Le trois, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’envahisseur. La Belgique se replie dans une neutralité que Hitler a garantie. Mais que vaut la parole du dictateur ? L’armée belge mobilise plus de 500 000 hommes pour défendre les frontières du pays et le rail assume avec brio les tâches qui en résultent tandis que le trafic civil, tant voyageurs que marchandises, reste assuré dans de bonnes conditions.
En quelques jours, on a achevé la construction de la ligne Fexhe-le-Haut-Clocher - Kinkempois, tronçon devenu indispensable depuis que le 31 août le viaduc miné du Val-Benoît a sauté sous l’effet de la foudre. Ensuite les cheminots livrent et gagnent une bataille pacifique au cœur du très rude hiver 1939-1940 : les trains passent alors que les voies navigables sont gelées et les routes verglacées pendant des semaines et des semaines...
Le printemps 1940 semble apporter un regain d’optimisme. Au 15 mars on réactive le train du ruban bleu Bruxelles - Ostende en une heure et – équilibre régional oblige – un express de 1re et 2e classes est créé entre Bruxelles-Nord et Liège avec une durée de parcours d’une heure également. L’indicateur officiel annonce que les horaires des trains supplémentaires d’été vers la côte et l’Ardenne seront publiés en temps voulu dans un supplément...
Le 9 mai 1940, les journaux font part d’une détente à l’ouest et les permissions de cinq jours sont rétablies dans l’armée. Hélas, le lendemain une tempête d’acier et de flammes déferle sur la Belgique. Il n’est plus question de trains de vacances mais de convois pour l’exode. Les cheminots belges entrent dans une période sombre de leur histoire.
Pendant plus de quatre ans, ils vont se serrer les coudes face à l’occupant...
Bibliographie
- Le chemin de fer et la politique suivie en matière de politique de transport : conférence donnée par M. Rulot, directeur général de la SNCB au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles le 4 mai 1938.
- N. Rulot, Pour une politique des transports. Réponse donnée à M. Baudhuin, professeur à l’Université catholique de Louvain, à l’Association pour la défense des intérêts de l’automobile et au Comité national pour la défense de la navigation intérieure. SNCB, février 1940.
- U. Lamalle, Histoire des chemins de fer belges. Bruxelles, Office de publicité, 1942.
- R. Henning, La politique commerciale de la SNCB In : 1935, Bulletin de l’exposition universelle de Bruxelles n° 28.
- M. Deblieck, Les voitures métalliques de la SNCB. In : 1935, Bulletin de l’exposition universelle de Bruxelles n° 35.
- Cuypers et Musyk, Transformation et amélioration du matériel de traction de la SNCB, In : 1935, Bulletin de l’exposition universelle de Bruxelles n° 35.
- E. Duquesne, Le chemin de fer électrique Bruxelles-Anvers. In : 1935, Bulletin de l’exposition universelle de Bruxelles n° 44.
- P. Ghislain, Les automotrices en Belgique. In : Traction nouvelle, 1936 n° 1, Paris.
- J. Vanwelkenhuizen, professeur à l’Université libre de Bruxelles. Les avertissements qui venaient de Berlin. Paris-Gembloux, Duculot 1982.
Source : Le Rail, juin 2000