Accueil > Le Rail > Le chemin de fer au service du tourisme

Le chemin de fer au service du tourisme

Extrait d’un article de M. Otto Wichser, président de la Direction générale des C.F.F.

lundi 13 janvier 2025, par Rixke

Toutes les versions de cet article : [français] [Nederlands]

Le tourisme supporte diverses définitions. Les savants, dans leur langage plus précis que poétique, l’ont défini comme étant l’ensemble des rapports et phénomènes issus du voyage et du séjour d’étrangers dans des régions où ils ne s’établissent pas à demeure et n’exercent aucune activité lucrative. Le poète s’exprime de manière plus attrayante ; c’est ainsi que, dans les confessions du chevalier d’industrie Félix Krull, Thomas Mann fait dire par le professeur portugais Kuckuck au marquis Venosta que, dans le désir de voyager, se cache une bonne part de l’envie de voir une humanité jamais rencontrée, une bonne part de curiosité de regarder des yeux étrangers et des physionomies inconnues, et de goûter à un mode de vie inconnu. Que l’on préfère l’une ou l’autre de ces définitions, il reste évident que le tourisme sous-entend un changement de lieu et, par conséquent, un déplacement, en un mot le voyage.

Si l’on jette un regard en arrière, on peut dire sans exagération que le tourisme est très étroitement lié au développement du chemin de fer. Certes, avant l’apparition de ce moyen de transport moderne, beaucoup de personnes se sont déjà déplacées. Mais le voyage avait le plus souvent quelque chose d’aventureux ; par ailleurs, il était cher et prenait beaucoup de temps. Il était avant tout le fait de gens aisés. Il aura fallu attendre le chemin de fer, rapide, sûr et « bon marché », pour mettre le grand voyage à la portée de l’« homme de la rue ».

Le chemin de fer a droit en quelque sorte au titre de pionnier du tourisme. Il a puissamment développé le trafic et contribué du même coup à rétablissement d’une importante industrie touristique et, en particulier, d’une solide hôtellerie. La révolution qu’il a apportée dans les transports a deux origines : premièrement, la création progressive d’un réseau ferré s’étendant à tout le continent européen ; secondement, la propriété du chemin de fer de transporter la masse et, conséquemment, d’abaisser les tarifs...

Les chemins de fer européens s’efforcent par d’innombrables mesures d’attirer à eux une part aussi grande que possible du mouvement touristique. Leurs efforts sont grandement profitables au tourisme. Inversement, les mesures prises par les organisations touristiques pour favoriser le tourisme servent les chemins de fer. Il existe donc entre chemin de fer et tourisme de précieux échanges...

Dans la fixation de leurs tarifs comme dans la conception de leurs titres de transport, les chemins de fer tiennent compte de multiples manières des particularités du mouvement touristique et des déplacements de vacances. C’est d’autant plus nécessaire qu’il s’agit de voyages qu’il est possible de faire, qui ont, certes, la grande faveur du public, mais qui n’apparaissent pas au premier plan des besoins.

Les mesures tarifaires des chemins de fer sont d’abord prises en fonction des données du marché national ; elles varient donc fortement de pays à pays. Les chemins de fer français, par exemple, vendent le billet touristique, les chemins de fer britanniques le « Thrift-Rail-Coupon », et les entreprises de transport suisses le billet de vacances. Bien que les modalités d’achat soient différentes, tous ces titres de transport visent le même but : engager le touriste, par des conditions très avantageuses, à faire de son lieu de vacances des excursions et des voyages circulaires.

A part ces billets touristiques que les réseaux offrent pour leur propre compte, les chemins de fer d’Europe occidentale se sont unis pour mieux atteindre le marché extra-européen. Ce faisant, ils sont partis de l’idée que, dans d’importantes régions d’outre-mer, notamment en Amérique du Nord et du Sud, le chemin de fer ne jouait plus, tant s’en faut, le même grand rôle qu’en Europe pour les longs déplacements, et qu’il était assez difficile de vendre du voyage ferroviaire sur notre continent à un public orienté vers la route et l’avion.

C’est en 1959 que les chemins de fer européens ont décidé de lancer sur le marché américain un « Eurail-pass ». une sorte d’abonnement général européen valable sur treize réseaux ferrés d’Europe occidentale. La conception de ce titre de transport repose moins sur la réduction de taxe que sur la simplicité et sur la liberté de mouvement à offrir à son porteur. Disons en passant que tous les suppléments et taxes de location de places sont compris dans le montant du billet. Vendu uniquement en Amérique, celui-ci a connu d’emblée le succès.

Stimulés par ce bon résultat, les chemins de fer participant à la vente de l’« Eurailpass » ont créé par la suite l’« Eurailgroup-tariff » et l’« Eurailtariff ». Ces deux tarifs, précieux instruments de vente, ont le mérite de faciliter sensiblement le travail des bureaux de voyage américains ; ils contiennent un choix des parcours ferroviaires les plus demandés en Europe par les touristes d’outre-mer et suscitent aussi un vif intérêt.

Alors qu’en Europe, les voyages à longue distance étaient du strict domaine du chemin de fer, un très grand nombre de trains directs internationaux sillonnaient tout le continent. L’essor fantastique des transports aériens mit un terme à cette prédominance ferroviaire. Les chemins de fer furent amenés à s’adapter à la situation nouvelle. Adieu les trains, occupés en majorité de touristes, qui accomplissaient de deux à trois mille kilomètres ! De grands noms de train, comme le « Simplon-Orient-Express ». ont disparu des indicateurs.

Depuis la seconde guerre mondiale, les chemins de fer européens ont voué une attention particulière aux transports à moyenne distance. L’innovation la plus frappante en même temps que la mieux accueillie aura été le Trans-Europ-Express. qu’apprécient à un même degré les hommes d’affaires et les touristes les plus exigeants. Ces trains sont devenus le symbole du confort ferroviaire.

Les trains spéciaux de touristes, d’étudiants et de pèlerins constituent aussi un apport du chemin de fer au tourisme. Grâce à ses propriétés de transporteur en masse, le chemin de fer se prête particulièrement à ce genre de trafic. Les taxes favorables qu’il est en mesure d’offrir aux organisateurs de tels voyages sont un moyen d’amener au tourisme de vastes couches de population qui, autrement, devraient renoncer à de grands voyages de vacances.

Les chemins de fer européens se sont taillés un grand succès en lançant les trains-autos-couchettes. Ces trains de nuit permettent au voyageur de se déplacer confortablement en voiture-lits ou en voiture-couchettes jusqu’à un centre éloigné et, frais et dispos, de trouver au débarquer sa propre voiture automobile, qui l’aura suivi sur un wagon spécial... Les réseaux ferrés ne négligent rien pour s’adapter à des exigences sans cesse changeantes. Grâce à des offres différenciées, ils sont en mesure de répondre convenablement à un trafic hétérogène. Les Trans-Europ-Express, qui assurent à l’année des communications entre les grands centres à fort trafic régulier et les trains spéciaux d’agences, qui sont des trains nettement touristiques de haute saison, sont les deux supports d’un large éventail de possibilités, où l’on trouve les trains directs traditionnels, lesquels sont aptes à satisfaire les besoins les plus divers allant de la place « assis » à la place « couché » (wagons-lits et wagons-couchettes). De réelles possibilités de collaboration existent. C’est en les utilisant que chemin de fer et tourisme rempliront au mieux leur mission.


Source : Le Rail, juin 1969