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Le circuit de voie et ses problèmes

P. Bienfait.

mercredi 15 décembre 2010, par Rixke

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 Petit conte.

Depuis deux heures, cet enfant jouait avec son nouveau train. Sa belle locomotive de style « Eléphant », mue par un moteur à pile, roulait sur un réseau constitué de rails flambant neufs, reposant sur de petites traverses en bakélite. L’ensemble serpentait dans un décor enchanteur, parsemé de routes, de montagnes et de sujets en miniature. Il y avait même un passage à niveau, dont on pouvait abaisser les barrières en appuyant sur un bouton-poussoir. C’était vraiment un réseau de rêve, et cependant cet enfant n’était pas satisfait. Depuis deux heures la locomotive roulait, et depuis deux heures l’enfant essayait vainement d’actionner la barrière du passage à niveau juste au bon moment.

Devant les tentatives infructueuses de son fils, le père se sentit une âme de bricoleur. Il prit les deux rails situés devant le passage à niveau et il en enduisit les extrémités de colle isolante. Ensuite, avec un peu de difficulté sans doute, il réemboîta les rails dans le circuit. A l’une des extrémités de la portion isolée, il brancha une pile électrique ; à l’autre extrémité, une ampoule. Cette ampoule s’éclairait grâce à la pile d’alimentation. Cependant, dès que la locomotive atteignait cette portion de voie, les essieux courcircuitaient l’ampoule, et celle-ci s’éteignait.

L’enfant tout souriant eut vite compris qu’il devait appuyer sur le bouton-poussoir dès que l’ampoule s’éteignait. De cette façon, il put fermer la barrière à chaque passage de locomotive. Hélas ! ce stade euphorique fut vite dépassé. La fatigue aidant, l’enfant oublia certains passages, et il y eut des « ratés » de fermeture, dont le nombre augmenta rapidement.

Le père retrouva vite son génie créateur et remplaça l’ampoule par un électro-aimant avec piston plongeur. L’agencement était tel qu’alimenté par la pile, l’électro-aimant maintenait le piston plongeur en position « haute ». Par contre, en l’absence de courant, le piston plongeur chutait et actionnait automatiquement le bouton-poussoir.

Ce fut l’enchantement, et le père put retourner à ses pantoufles et à son journal.

 Le circuit de voie, agent de la sécurité.

Ce circuit de voie en miniature est vraiment à l’image du circuit de voie « à courant continu » dont il existe encore certains exemplaires en service sur notre réseau. Le circuit de voie, en effet, consiste, dans son schéma le plus élémentaire, en une section de voie dont les deux files de rails sont isolées l’une par rapport à l’autre. Chaque file étant reliée à chacune des bornes d’une source de courant placée à l’une des extrémités, le circuit se boucle à l’autre extrémité sur les bornes d’un relais. Quand un ou plusieurs essieux pénètrent sur la section isolée, ils établissent ou coupent d’autres circuits agissant sur la commande des aiguilles et des signaux.

Si la pile subsiste, la colle a été remplacée par une éclisse isolante, et l’ensemble électro-aimant avec piston plongeur s’est mué en un relais de conception particulièrement soignée avec sécurité de fonctionnement. Comme tel, il sera un pilier de la sécurité du chemin de fer et un promoteur de son automatisme.

Ainsi, entre les gares, ce sera le circuit de voie qui conditionnera et commandera directement la fermeture et l’ouverture des signaux dans le système du block automatique. Semblablement, ce sera encore le circuit de voie qui commandera automatiquement la fermeture et l’ouverture des barrières des passages à niveau « automatiques ». Ce sera encore le circuit de voie qui sera à la base de la libération automatique des itinéraires dans les postes de signalisation. C’est donc essentiellement sous l’angle de la sécurité de fonctionnement que va se développer le circuit de voie, dont on doit à l’Américain Robinson la première utilisation en 1869.

 Différents types.

Depuis cette date, différents types de circuits de voie se sont multipliés et différenciés. Mais ils ont tous gardé leur principe original et ils comprennent :

  • une portion de voie isolée reposant sur un support isolant ;
  • une source de courant ;
  • un relais de voie adapté à la source de courant et dont la sécurité de fonctionnement est garantie.

L’électrification sera l’un des facteurs principaux qui conditionnera l’habillage de ce squelette.

Chacun sait, en effet, que le courant électrique capté par la caténaire est renvoyé par les rails vers la sous-station de traction. Les rails doivent donc assurer en permanence le retour de ce courant de traction. L’introduction d’éclisses isolantes empêcherait ce retour. Il a fallu utiliser diverses astuces pour permettre au courant de traction de « contourner » les éclisses isolantes. C’est pourquoi on peut voir dans la voie des boîtes assez volumineuses qui ont nom de « connexions inductives » (voir photo).

Connexion inductive

D’autre part, il était nécessaire d’utiliser, pour alimenter le circuit de voie, un courant de nature différente de celle du courant de traction. C’est ainsi qu’à la S.N.C.B., où le courant de traction est du courant continu, les circuits de voie sont alimentés par du courant alternatif (50 périodes/sec). Cependant, cette situation peut évoluer par l’apparition d’éléments nouveaux qui modifieront les courants présents dans le rail.

 De nouveaux problèmes et une nouvelle solution.

L’apparition des rails longs soudés et la généralisation de leur emploi conditionneront aussi le développement des circuits de voie. Le squelette défini ci-avant en sera même affecté en ce sens que les « joints isolants » seront éliminés. En effet, la nécessité d’isoler la voie à des endroits bien déterminés crée une situation anachronique. D’une part, le service de la voie veut améliorer le confort des voyageurs en généralisant la pose de rails longs, mais d’autre part ses efforts sont limités par les desiderata de la signalisation en matière d’éclisses isolantes.

Outre cet anachronisme, l’éclisse isolante crée un point faible dans la voie et est une source de choc supplémentaire pour les voyageurs. Bien plus, l’éclisse isolante reste une des causes principales de dérangement du circuit de voie. En effet, sous le passage répété des circulations, les extrémités du rail sont rabotées de part et d’autre de l’éclisse et des limailles importantes s’y insèrent pour finalement le court-circuiter. Dès lors, une partie du circuit de voie n’est plus isolée et son fonctionnement est perturbé. C’est pour remédier à cette situation que le service de la voie a mis en œuvre la technique du joint collé déjà décrite précédemment (voir le numéro du Rail de juillet 1968). Cependant, si les inconvénients de l’éclisse ont disparu, les servitudes inhérentes à la création des joints collés demeurent.

 L’électronique et les perspectives d’avenir.

L’idéal serait de pouvoir réaliser un circuit de voie sans devoir isoler un tronçon de voie. Vu le nombre important des passages à niveau, cela présentait un intérêt particulier pour les circuits de voie associés à la commande des passages à niveau « automatiques ». L’étude de ce problème bénéficiait au départ d’une simplification importante due à la faible longueur des circuits de voie utilisés. Celle-ci ne dépassait pas cinquante mètres.

En utilisant une source de courant à fréquence élevée (20 kHz à 50 kHz), on a pu atteindre les objectifs fixés, à savoir détecter la présence d’un train sur une courte portion de rail, et cela sans devoir isoler cette portion. Bien plus, ce nouveau type d’équipement pouvait se superposer à tous les appareillages de signalisation existants. Si, au point de vue du principe, la solution apparut rapidement, sa mise à fruit s’est heurtée à de sérieuses difficultés d’ordre technologique. Ces dernières sont inhérentes à toute implantation dans la voie de matériel de conception électronique.

Équipement de circuit de voie court sans joints

Il a fallu notamment tenir compte des sollicitations mécaniques et climatologiques auxquelles ce matériel était soumis.

Actuellement, il semble que ces problèmes ont trouvé des solutions valables, et la S.N.C.B. utilise couramment de tels équipements pour la commande de ses passages à niveau « automatiques ». L’utilisation de signaux à fréquence élevée, donc rapidement amortis dans la voie, est limitée aux seuls circuits de voie courts.

Cependant, il faut espérer que l’expérience acquise, associée à diverses études en cours, permettra la mise au point de circuits de voie longs sans joints. De cette façon, on pourra conjuguer harmonieusement le « block automatique » avec la technique des rails longs soudés. Car l’un et l’autre constituent une étape importante vers le progrès.


Source : Le Rail, n° 146, octobre 1968