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A propos des hydrocarbures
mercredi 19 février 2025, par
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Pour connaître l’évolution actuelle des transports par fer des produits pétroliers énergétiques (carburants, gasoil, fuels, brai, gaz liquéfiés), notre rédaction a pris sous le feu de ses questions M. Taes, secrétaire de direction au bureau 61-3). Voici le résumé de cet entretien.

– Dans le « Rail » de juillet 1967, vous écriviez que le transport par rail des hydrocarbures destinés à la consommation intérieure belge était resté assez modeste et qu’une action commerciale, dynamique était engagée, pour augmenter la part d’intervention de la SNCB. Pouvez-vous nous faire le point actuellement ?
– Certainement. Rappelons que les combustibles liquides se substituent de plus en plus aux combustibles solides. La part de la houille dans la consommation belge d’énergie est tombée de 80 % en 1956 à 45 % en 1968, et celle des hydrocarbures est passée au cours de cette même période de 20 % à 53 %, soit un accroissement de plus de 10 % par an. C’est dire combien grande a été la mutation dans le secteur énergétique belge. Les principaux consommateurs sont le secteur des combustibles à usage domestique (34 %) et l’industrie (25 %).
Cette conversion dans le choix des sources d’énergie est déterminée essentiellement par le prix, la souplesse, la facilité d’utilisation, le confort et aussi par la motorisation croissante.
– Et comment se situe le problème quand on envisage l’avenir ?
– La progression spectaculaire de la consommation de pétrole est loin d’être terminée puisque l’on prévoit pour 1975 d’importer 35 millions de tonnes de pétrole brut en Belgique (Anvers et Gand). C’est un secteur dynamique, la production ne cesse de progresser, tandis que celle du charbon est en régression. Or, le chemin de fer est le transporteur spécifique des combustibles solides, qui représentent 27 % de son trafic total en t-km. Vous comprenez dès lors nos préoccupations devant cette mutation énergétique qui a entraîné une plus grande compétition en matière de transport en raison de la spécialisation du matériel.
– A ce sujet, pouvez-vous concrétiser cette concurrence d’ordre technique ?
– Tout d’abord, pour transporter du charbon, nos wagons-tombereaux ou à déchargement automatique suffisent, tandis que, pour les produits pétroliers, il faut des wagons-citernes, et pour le déchargement : un raccordement, des pompes et des flexibles pour assurer le transfert vers les tanks de stockage.
Par contre, le camion-citerne et le bateau-citerne sont pourvus de leur pompe propre et de tuyaux flexibles, et du personnel. D’autre part, le fuel extra lourd et le pitch (brai de pétrole) sont transportés respectivement à 60° et 180° et nécessitent des wagons-citernes calorifuges (10 cm laine de verre) et équipés de serpentins de chauffage (à vapeur) afin que ces résidus du pétrole conservent leur fluidité lors du déchargement.
– Donc le transport par fer nécessite, des investissements plus importants en matériel, équipement et en voies. Mais où peut-on trouver ce matériel spécialisé ?
– En principe, les sociétés pétrolières disposent d’un parc propre de wagons de particuliers mais de plus en plus elles prennent en location des wagons-citernes de 60 t (83 m³).
– Quelles sont ces sociétés de location en Belgique ?
– Je citerai les plus importantes. Il existe pour la Belgique trois firmes domiciliées à Bruxelles, à savoir : – la Compagnie Auxiliaire Internationale des Chemins de fer, – la S.A. Algeco - VTG, – la firme E. Everard - C.F.P.M. ; elles possèdent des centaines de wagons-citernes à la disposition de la clientèle belge.
– Nonobstant ce handicap au départ, avez-vous pu enregistrer des résultats favorables ?
– Nous pouvons dire que les tonnages enregistrés depuis un an sont en nets progrès. Cette majoration est de 43 % pour les transports intérieurs et de 23 % pour les exportations principalement vers le Grand-Duché de Luxembourg. Nous espérons doubler dans un ou deux ans notre quote-part dans le trafic total qui est de ± 3 % actuellement.
Cette hausse encourageante est la résultante de longs mois d’efforts concertés de nos différents services.
– Quels sont les facteurs déterminants pour obtenir de tels trafics et faire modifier une politique de transport ?
– En règle générale, en dehors du prix de transport concurrentiel net, d’autres éléments sont d’importance tels la rotation rapide du matériel, la régularité dans l’acheminement, les opérations terminales, la sécurité, la souplesse, le respect des engagements pris, le service, la confiance, etc...
– Pouvez-vous, à titre d’exemples, informer nos lecteurs de quelques réalisations récentes ?
– Volontiers. Plusieurs grossistes et marchands de combustibles solides et liquides sont déjà approvisionnés par fer dans différentes gares du réseau.

Mais notre action a surtout porté sur les régions de forte industrialisation ou de fort potentiel de consommation de produits pétroliers. Ainsi, la région carolorégienne a été considérée comme un « test pilote ». Il y a un an, nous avons conclu avec trois grandes sociétés pétrolières des contrats particuliers de fidélité prévoyant l’approvisionnement journalier de leurs dépôts pétroliers situés à la Sambre près de Charleroi, par rames importantes chargées la veille aux raffineries anversoises et roulant de nuit.
– Ces dépôts n’étaient donc pas raccordés au fer ? Comment s’effectue le déchargement de ce train pétrolier en navette ?
– Non. Pour un dépôt, une solution assez originale a pu être présentée. Le dépotage (déchargement) de la rame de wagons-citernes arrivant vers 7 h du matin s’effectue sur une voie privée d’un charbonnage, d’où les produits pétroliers blancs sont pompés, via trois oléoducs surplombant la Sambre de 9 m, vers les différents tanks de stockage du dépôt situé sur la rive opposée (qui ne peut être raccordée).
Dans l’autre cas, le dépôt pétrolier situé à la Sambre sera raccordé directement à notre gare de formation de Châtelineau en traversant deux routes et un terrain d’un charbonnage.
La rotation, établie par la Direction E, est très rapide, et les wagons-citernes mis à disposition tôt le matin sont repris l’après-midi et acheminés vers Anvers durant la nuit.
– Y a-t-il d’autres perspectives d’extension ?
– Bien sûr, ce n’est qu’un commencement. Nous espérons qu’il fera boule de neige. Des pourparlers sont en cours en vue d’installer ou d’approvisionner d’autres dépôts pétroliers dans divers centres.
Certaines sociétés pétrolières envisagent même l’installation de dépôts entièrement automatiques. Dans ce cas, le déchargement des wagons-citernes s’effectue par les soins de notre personnel. Nous offrons donc un service « complet », tel celui d’un camionneur ou d’un batelier.
D’autre part, nous voudrions obtenir aussi une part plus importante dans l’approvisionnement direct en mazout et fuel des diverses industries (cimenterie, sidérurgie, chimie, fours à chaux, verrerie, etc.).
A titre d’exemple, citons le cas de deux verreries de la région de Charleroi qui, journellement, reçoivent une rame de grands wagons-citernes calorifuges de 80 tonnes de fuel extra lourd à 60°.
– Nous pouvons donc dire que dans la majorité des cas le rail est à même d’offrir aux industriels une solution rationnelle et économique, à leurs problèmes de transports ?
– Certainement, et à ce propos, soulignons que les chefs de gare qui, par leurs contacts directs, connaissent les besoins particuliers et la situation de leurs raccordés et clients peuvent utilement seconder nos représentants commerciaux dans leur tâche de prospection. Ils sont en première ligne et ne doivent pas hésiter à proposer des solutions et à persuader efficacement leur clientèle locale. Tous les renseignements, initiatives et propositions seront minutieusement examinés avec intérêt par la direction Commerciale.
– Vous nous avez parlé de l’approvisionnement des dépôts pétroliers, des industries lourdes, mais n’y a-t-il pas un problème aussi pour les centrales électriques ?
– En effet, au charbon se substitue actuellement le brai de pétrole (pitch) ; ce dernier résidu du raffinage du pétrole présente un double avantage pour les centrales électriques : c’est un combustible très bon marché et un apport de calories (150 à 180° au décharge ment).
A brève échéance, une première centrale électrique pourra être desservie par un train complet journalier de 20 wagons-citernes de 83 m³, chargé de plus de 1000 t de pitch, et le déchargement s’effectuera par notre personnel.
D’autre part, des pourparlers sont en cours en vue d’obtenir les transports de gaz liquéfiés qui actuellement engorgent nos routes avec tous les dangers que cela comporte.
C’est dire que notre action non seulement tend à augmenter nos trafics mais également contribue à assainir le réseau routier que les gros camions-citernes de 20 à 30 000 l portent à son point d’encombrement.
– Comment envisagez-vous l’avenir du transport par rail des hydrocarbures ?
– Dans ce domaine, nos objectifs sont à la mesure de notre optimisme et de notre dynamisme. Nous savons que nous sommes dans un secteur où la concurrence est dure : ce n’est pas pour nous déplaire, nous aimons lutter. Nous savons que nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais nous espérons que, dans un à deux ans, des trains complets « blocktrains » de 1000 t de produits pétroliers, à l’instar de ceux qui desservent de nuit le Grand-Duché de Luxembourg, rouleront journellement vers les principaux centres du pays. Je ne vous surprendrai donc pas en vous disant que je vois l’avenir avec optimisme.
– Quel vœu formuleriez-vous en guise de conclusion ?
– Excellente question pour conclure !
En dépit de l’inégalité des chances au départ, le rail est compétitif dans la majorité des cas grâce à son infrastructure puissante, ses possibilités d’organisation, sa régularité, hiver comme été, sa sécurité, sa ponctualité, sa correction, sa souplesse commerciale.

Nous ne vendons pas que du transport, mais aussi du service et de la confiance. Nous devons poursuivre l’amélioration de nos relations publiques. Le trafic ferroviaire donne des signes de redressement certains, et le rail entame son deuxième printemps.
Aussi sachons en profiter pour augmenter nos ventes de transport.
Ce n’est que par la collaboration de tous nos services, par une fructueuse prospection et par la coordination de nos efforts que des résultats concrets pourront être obtenus et que nous pourrons consolider notre action.
Conclusion : nous avons foi en notre avenir !
Source : Le Rail, octobre 1969