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Le rail indispensable

samedi 5 avril 2025, par Rixke

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 Un passé glorieux

Le chemin de fer a été l’un des outils fondamentaux de la première révolution industrielle. Alors que l’énergie n’avait guère été tirée jusque-là que du muscle de l’homme ou de l’animal, le moteur à vapeur apportait à l’industrie des possibilités nouvelles considérables. Ce moteur, lourd et encombrant, ne pouvant circuler sur les chaussées mal pavées de l’époque, trouva dans le rail d’acier l’auxiliaire indispensable à son essor.

Pendant leur phase de développement et le premier tiers du XXe siècle, nos chemins de fer furent un sujet de fierté nationale. On les citait en exemple, même à l’étranger. Bien que formant plusieurs réseaux (Chemins de fer de l’Etat, Chemins de fer du Nord-Belge, Compagnie du Chemin de fer de Gand à Terneuzen... ), ils avaient en commun la réputation d’exercer des activités offrant des garanties financières sérieuses. On le vit bien en 1926 : en constituant la Société nationale des Chemins de fer belges, on contribua à la stabilisation du franc belge.

A partir de 1930, divers facteurs, notamment le développement des voies d’eau et celui de la motorisation, vinrent altérer cette situation. Toutefois, pendant la grande crise économique et la période politiquement troublée qui précéda la deuxième guerre mondiale, on n’accorda pas beaucoup d’attention aux mises en garde de dirigeants avertis. Après les hostilités, le rail, en prenant une part importante dans la reconstruction économique du pays, s’octroya de nouveaux titres d’estime dans de larges couches de la population.

Depuis une vingtaine d’années, bien des choses ont changé. On sait produire économiquement l’énergie sous une forme aussi divisée que possible, allant jusqu’au vélomoteur par exemple ; la chaussée et les pneumatiques ont fait des progrès considérables. Cependant, on se rend compte que l’automobile est loin de pouvoir résoudre tous les problèmes de transports. Mais on ne sait plus très bien quelle est la place du chemin de fer dans la société actuelle.

 Un présent on ne peut plus moderne

Il arrive qu’une nouvelle invention chasse la précédente. C’est pourquoi certains sont enclins à penser que depuis l’apparition de l’automobile et de l’avion, le rail n’aurait plus guère de chances de survivre.

Ce raisonnement résulte d’une confusion. La marine à voile a disparu, pas la mer. Les diligences ont disparu, pas les routes. La vapeur a disparu, pas le rail. Le chemin de fer n’était pas la machine à vapeur. Il était et reste une voie de locomotion guidée. Fondamentalement, il est on ne peut plus moderne, plus moderne que la route et que l’eau, grâce à ses deux caractéristiques : la possibilité de constituer des convois et le guidage.

La route, malgré ses efforts en matière de remorques, a un handicap considérable par rapport au « train-cargo ». La société de l’avenir acceptera difficilement qu’un ou deux hommes fassent le métier fatigant et dangereux de conduire 15 tonnes de marchandises à des centaines de kilomètres sur des routes encombrées, alors qu’un conducteur de locomotive moderne peut transporter 100 fois plus dans le même temps, dans des conditions beaucoup moins fatigantes et moins dangereuses pour lui-même comme pour autrui.

Le développement bourgeonnant des sociétés mécanisées exige de plus en plus une mise en ordre, une organisation. L’aviation, devant l’encombrement du ciel, crée des routes aériennes et met au point des guidages précis et délicats dans le voisinage dangereux des aérodromes. Le développement de l’automobile pose des problèmes difficiles de mise en ordre sur les routes ou aux carrefours. Le chemin de fer jouit, lui, de l’avantage d’une infrastructure autonome et, par sa nature même, possède ce précieux guidage qui permet la mise en ordre et l’automatisme.

La première révolution technique avait consisté à remplacer le muscle de l’homme ou de l’animal par de l’énergie. La deuxième révolution consiste dans le relais du processus nerveux : les machines sont appelées à assurer tout le travail machinal demandé jusqu’ici aux hommes. Du fait du guidage, il est certain que le chemin de fer est particulièrement bien placé pour aborder cette deuxième révolution.

La généralisation de l’attelage automatique permettra de former plus de longs convois. Les experts de la cybernétique feront appel aux techniques les plus poussées pour résoudre les problèmes de la signalisation. Pour les machines électroniques, capables de jouer aux échecs, il ne sera pas plus compliqué de coordonner la circulation des trains, de les aiguiller, de tracer des horaires. C’est à elles aussi que l’on demandera, au départ de la lecture automatique des numéros de wagons, d’organiser leur acheminement, leur groupement en trains, de remédier aux retards et aux incidents, d’établir les statistiques, de calculer les prix de revient.

Un outil on ne peut plus moderne : une voie de locomotion guidée
Photo J. Slimbrouck

« En fait, écrit Louis Armand, si le chemin de fer constitue un domaine privilégié pour la mise en œuvre de la cybernétique, ce n’est pas seulement à cause du guidage, mais aussi parce qu’il représente un ensemble complet, englobant infrastructure et matériel de transport, sans équivalent dans les autres techniques de transport. »

 De plus en plus indispensable pour le transport de masse

Chaque matin, entre 7 h et 9 h, plus de 150.000 voyageurs peuvent être amenés par trains au cœur de Bruxelles, sans créer le moindre embouteillage des voies d’accès. Le problème posé par la congestion croissante des voies d’accès aux grandes agglomérations devient de plus en plus ardu, et les études entreprises en Europe et aux U.S.A. ont démontré que le recours au chemin de fer apporte la seule solution qui ne soit pas prohibitive au point de vue du coût d’établissement ou de l’espace utilisé.

De même, chaque jour, plusieurs dizaines de milliers de tonnes de marchandises pondéreuses (charbons, minerais, produits de carrières, produits métallurgiques, etc.), dont une forte proportion relève des échanges internationaux, sont transportées sur les principales lignes du réseau. Il est intéressant de noter à ce propos qu’un train lourd affecté au transport de ces marchandises, piloté par un seul homme, peut produire en une heure 150.000 tonnes-kilomètres, c’est-à-dire trois fois plus qu’un convoi fluvial poussé et cent fois plus qu’un gros camion.

Pour les transports de masse, les chemins de fer restent indispensables à la collectivité. Il ne peut être question pour celle-ci de s’en désintéresser ou de renoncer à en tirer tout le parti possible.

A ces considérations vient d’ailleurs s’en ajouter une autre : le rail est toujours, et de loin, le moyen de transport offrant le plus haut degré de sécurité.


Source : Le Rail, avril 1970