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Etude d’une locomotive électrique CC de 7.000 chevaux à grande vitesse
S. Boulanger, ingénieur en chef.
dimanche 6 avril 2025, par
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La SNCB a conclu, en mai 1968, avec les constructeurs La Brugeoise et Nivelles (BN) et les Ateliers de Constructions électriques de Charleroi (ACEC), une convention pour l’étude d’une nouvelle locomotive quadricourant destinée à la remorque des trains internationaux lourds et rapides, notamment sur les lignes Paris-Bruxelles-Amsterdam et Ostende-Liège-Cologne.

La puissance unihoraire élevée dont sera dotée cette locomotive, soit 7.000 chevaux (ou 5.150 kW) au lieu de 3.800 chevaux pour les locomotives polycourant existantes types 150 et 160, lui conférera des performances élevées, ce qui permettra de faire face à l’augmentation continuelle des charges des trains de voyageurs ainsi que, le cas échéant, à l’augmentation des vitesses sur les grands axes internationaux.
La vitesse maximale prévue actuellement est de 160 km/h, mais la locomotive est étudiée de façon à être apte, par simple changement du rapport d’engrenages, à la vitesse de 220 km/h.
Cette locomotive, dont le poids en service n’excédera pas 117 tonnes, comportera deux bogies à trois essieux entraînés individuellement par des moteurs de traction entièrement suspendus (symbole : Co’Co’).
L’équipement électrique est caractérisé par l’emploi de redresseurs secs à semi-conducteurs ainsi que de la technique nouvelle des thyristors. Il est conçu pour que, par simple soustraction d’organes et, le cas échéant, renforcement adéquat du châssis, on obtienne une locomotive monocourant 3.000 V continu. Cette version serait apte à la traction de trains lourds de voyageurs et de marchandises en service intérieur.
Enfin, la locomotive sera munie, en combinaison avec l’équipement de freinage pneumatique, du frein électrique rhéostatique.
Dans le cadre de cette étude, la SNCB a organisé, en collaboration avec les constructeurs, d’importants essais destinés à vérifier la validité des solutions à retenir dans le projet définitif pour certains éléments fondamentaux de la construction.
En ce qui concerne la partie mécanique, deux séries d’essais particulièrement intéressantes ont été réalisées en ligne, au cours de 1969, jusqu’à la vitesse de 200 km/h.
Essais avec la locomotive n° 124.001.
En mai et juin 1969, des essais à grande vitesse ont été exécutés avec la locomotive n° 124.001 [1] sur un tronçon de voie d’environ 10 km, spécialement aménagé au point de vue de la voie et de la caténaire sur la ligne Bruxelles - Ostende, entre Landegem et Aalter.
En vue des essais, le rapport d’engrenages avait été modifié et un carénage expérimental avait été monté à l’avant de la locomotive.
La forme de ce carénage avait été étudiée au préalable à l’aide d’essais sur maquettes, effectués en soufflerie par l’Institut Von Karman de Dynamique des Fluides (à Rhode-Saint-Genèse), dans le but :
- d’assurer au-dessus de la toiture un écoulement de l’air régulier et sans turbulence, condition indispensable pour obtenir, aux grandes vitesses, une captation correcte du courant par les pantographes nécessaires aux différents systèmes de courant ;
- de réduire au minimum l’onde de pression latérale exercée sur les trains croisants (laquelle croît comme le carré de la vitesse) afin d’éviter les bris de vitres aux trains de voyageurs.
La vitesse sur le tronçon d’essais a été progressivement portée de 160 à 200 km/h, avec une pointe de 206 km/h. Le comportement de la locomotive ainsi que des voitures du train d’essais (voitures de mesure et voiture RIC) a été très satisfaisant. Outre la vérification de l’efficacité du carénage, ces essais ont apporté de nombreux enseignements utiles pour l’étude du matériel futur, notamment en ce qui concerne la captation du courant, la stabilité de marche, la tenue des organes du bogie, les sollicitations de la voie, etc.
Essais avec une locomotive Ae 6 6 des CFF
Ces essais ont été exécutés de février à juin 1969 avec le concours des CFF et de SLM Winterthur, constructeur de la locomotive, en vue de déterminer les caractéristiques optimales à donner aux bogies de la locomotive Co’Co’ à l’étude.
La SNCB ne possède, en effet, aucune locomotive électrique du type Co’Co’, tandis que la locomotive Ae 6/6 (dont les principales caractéristiques sont indiquées sous la rubrique « Locomotives du monde entier ») est équipée de deux bogies à trois essieux, avec dispositifs à rappel élastique permettant le déplacement latéral des essieux extrêmes de chaque bogie. Ce système a pour but de réduire les efforts latéraux exercés sur la voie, principalement lors de la circulation en courbe.
En vue des essais, outre la modification du rapport d’engrenages pour porter la vitesse maximale à 200 km h, les ressorts à lames de la suspension secondaire ont été remplacés par des ressorts en hélice conjugués avec des amortisseurs hydrauliques. De plus, l’entraînement de la caisse a été réalisé à l’aide de barres de traction basse. Ce mode d’entraînement destiné à augmenter l’adhérence est analogue à celui qui est utilisé sur nos récentes locomotives électriques type 126, à bogies monomoteurs.
Les essais ont eu lieu :
- en Suisse, sur le réseau des CFF, d’abord sur une ligne très sinueuse (avec des rayons de courbe descendant jusqu’à 300 m), et ensuite sur ligne normale jusqu’à la vitesse de 150 km/h ;
- en Allemagne, entre Bamberg et Forchheim, près de Nuremberg, jusqu’à la vitesse de 200 km/h.
Tous les essais se sont déroulés dans d’excellentes conditions. Les résultats ont montré que l’ensemble des caractéristiques finalement retenues pour les bogies permettraient :
- de limiter, dans toutes les conditions de circulation, les réactions latérales exercées sur la voie à des valeurs acceptables ;
- d’assurer la sécurité et une bonne stabilité de marche, avec un bon confort dans la cabine de conduite, jusqu’à 200 km h.
En conclusion, de l’ensemble des résultats des essais effectués en 1969 avec la locomotive n° 124.001 de la SNCB et avec la locomotive Ae 6/6 des CFF, on a pu déduire une série de données fondamentales pour l’étude de la partie mécanique de la future locomotive Co’ Co’ quadricourant de forte puissance et à grande vitesse destinée à la SNCB.
De plus, la marge de sécurité observée au cours des essais a permis de fixer la vitesse maximale éventuelle de cette locomotive à 220 km/h.
Source : Le Rail, avril 1970
[1] La locomotive Bo’Bo’ type 124, dont il n’existe qu’un exemplaire, est analogue au type 123, sauf que les moteurs de traction sont entièrement suspendus, au lieu d’être suspendus par le nez, et entraînent chacun un essieu par l’intermédiaire d’une transmission ACEC type G.