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Où en est l’« automation » à la S.N.C.B. ? (VI)
Claude Vial.
lundi 7 avril 2025, par
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La fourmilière de Bruxelles-Midi
Ayant retiré mon ticket de quai d’un distributeur (automatique), je le fais poinçonner (à quand un appareil automatique, comme dans les trams ?) et je me dirige vers l’escalier roulant qui se met en marche (automatiquement, bien sûr).
Les aiguilles des grandes horloges (tiens, encore un automatisme) sautent vers la minute suivante avec le synchronisme d’une troupe de girls. Et le claquement sec de l’indicateur de voie (automatique) indique au retardataire qui vient de passer en trombe devant moi qu’il a raté son train. Il se consolera en grignotant un chocolat ou en buvant un café servi (automatiquement) noir, blanc ou sucré.
Sur le grand panneau d’affichage (automatisé) dans la salle des guichets, une petite lumière rouge a cessé de clignoter. D’autres viennent de s’y allumer.
Sur le quai, des « feux de départ » s’éteignent. Leur fonctionnement (automatique) est commandé par le train lui-même, qui disparaît au loin, dirigé (automatiquement) vers la bonne voie...
– N’en faisons quand même pas un système ! Il y a un certain snobisme à parler à tort et à travers d’automatisation. On n’en finirait pas d’énumérer tous les appareils automatiques qui, dans les ateliers de construction, pour l’entretien des voies, dans les gares, etc., ont remplacé le geste humain. Limitons-nous à l’essentiel.
Les cabines de signalisation
Je me le tiens pour dit. Evidemment, le profane a tendance à ne considérer que l’aspect « gadget » de la chose...
A la suite du chef de gare de Bruxelles-Midi, je me dirige vers une des trois cabines de signalisation. Nous enjambons un aiguillage.
– Fonctionnement automatique ?
Je n’ai pas pu retenir ma question. Mon guide sourit, indulgent :
– Nous n’allons quand même pas remonter à la préhistoire !
Dans mon esprit surgissent des équipes d’aiguilleurs enjambant les multiples voies des gares de voyageurs ou de triage pour aller manœuvrer des aiguilles. Pourtant, déjà à cette époque, un enclenchement mécanique renforçait la sécurité en immobilisant l’aiguillage en position requise si le signal était ouvert. Ne peut-on considérer ce dispositif de sécurité comme un très lointain et très primitif ancêtre des appareils automatiques actuels ?
Pendant que je me livre à ces réflexions, mon interlocuteur est déjà passé au déluge :
– Au début du siècle, on s’engagea dans la voie des commandes concentrées. Un appareil électrique, dont Bruxelles-Midi fut le premier bénéficiaire, permettait à un seul aiguilleur de commander, depuis un poste central, des zones plus importantes. Il devenait plus aisé de contrôler l’occupation des voies et la position des aiguillages.
Pour suivre les explications de mon guide, je me penche sur l’aiguillage qu’il me décrit. Celui-ci, tout à coup, se met en mouvement, se déplace avec lenteur, puis revient à sa position première. J’ai visiblement sursauté. Le sourire de mon guide s’élargit.
– Cette démonstration vous était gracieusement offerte par un des signaleurs de service. Il aura vu que je vous expliquais le fonctionnement des aiguillages.
A la fenêtre de la cabine, de l’autre côté du gril, une tête hilare est apparue. Nous remercions d’un geste l’obligeant cheminot, qui s’en retourne aussitôt à ses occupations.

– Allons le rejoindre. Les commandes de nos centaines d’aiguilles sont faites depuis ces cabines. Des signaux visuels et optiques nous renseignent sur leur bon fonctionnement. Si un caillou bloque l’aiguille, si l’aiguillage ne se met pas dans la position correcte, nous en sommes automatiquement avertis, et nous pouvons envoyer immédiatement sur place une équipe de contrôle. Et, pendant le temps de la réparation, le régulateur tracera des itinéraires évitant l’aiguillage défectueux.
Dans la cabine règne une atmosphère de ruche... non bourdonnante.
– Quand tout est normal, on entendrait voler une mouche. Mais quand il y a une perturbation, cela s’anime ! Nos hommes ont tous un sens très aigu de leurs responsabilités et un esprit d’équipe très développé.
Les occupants de la cabine ne se sont laissé distraire que le temps d’un bref bonjour... Le speaker a enchaîné sur un avertissement destiné aux voyageurs de la voie 12, dont le train entre en gare. L’annonceur a appuyé sur quelques boutons. Le téléphoniste a poursuivi sa communication avec un dispatcher. Le régulateur a donné de nouveaux ordres. L’un des deux signaleurs a tourné une des innombrables manettes qui ornent la cabine.
– Il vient de donner le feu vert au train stationné voie 4. Vous allez pouvoir suivre le départ. Non, ne regardez pas par la fenêtre, vous ne verriez rien d’ailleurs. Suivez la progression du train sur le tableau.
Patiemment, on m’apprend à « lire » le tableau qui représente la partie du gril contrôlée par la cabine : la flèche rouge qui indique un mouvement en direction du quai, le trait lumineux correspondant à un train en stationnement, les itinéraires d’entrée ou de sortie qui s’éteignent au fur et à mesure de la progression du train.
« Train describer » et annonce automatique
Dans des voyants, situés à gauche du tableau, s’inscrivent des chiffres lumineux correspondant aux caractéristiques des trains pour certaines directions. Le téléphoniste-signaleur les fait apparaître en appuyant sur les boutons d’un petit clavier disposé devant lui : le « train describer ».
– Il prépare ainsi l’annonce de mouvement des trains, destinée aux postes situés en aval. La transmission est confirmée par le clignotement du nombre lumineux. Quand le train a complètement libéré la pédale de fin d’itinéraire de sortie et que la manette d’itinéraire a été redressée, l’indicatif du train disparaît et l’annonce suivante, préparée entre-temps, le remplace automatiquement. Un système de contrôle permet d’effacer une annonce ou de la garder en réserve si l’un des postes d’aval est saturé. Et, bien entendu, comme toujours, des signaux optiques et acoustiques nous préviennent en cas de dérangement ou de fausse manœuvre.
Mon guide achève de me faire les honneurs de la cabine en me désignant un appareil flambant neuf.
– Notre dernier-né : un annonceur automatique, pareil à celui qui était déjà en service à Bruxelles-Nord. Le TCO, c’est-à-dire le tableau de contrôle optique que vous voyez ici, nous donne une image exacte – mais sous une forme codée – du tableau général d’annonces dans la salle des guichets. Ces annonces sont préparées automatiquement par un lecteur électronique auquel on a donné en pâture un jeu de cartes perforées, correspondant au trafic de la journée. L’appareil « lit » les cartes et envoie cette lecture vers des armoires à relais qui les retransmettent vers une case « annonce préparée ». Ces renseignements sont ensuite envoyés vers les tableaux d’annonce et de contrôle.
– Je présume qu’en cas de perturbations du trafic, retard, changement de voie, introduction d’un train spécial, l’annonceur peut éventuellement retirer une annonce ou mettre hors service le système automatique ?
– Dans une grande gare surtout, il faut, dans toutes les opérations, un maximum de souplesse. C’est ainsi qu’aux abords de la gare, du côté « Jonction », les signaux se succèdent tous les 300 m, ceci afin de permettre un dégagement plus rapide. Dès qu’une section d’itinéraire est libérée, on peut l’englober dans un autre parcours. Tout doit être accéléré le plus possible. N’oubliez pas qu’aux heures de pointe, nous enregistrons un mouvement toutes les 29 secondes ! Plus de 100.000 voyageurs défilent ici quotidiennement. Quant au nombre de colis, il atteint le million par mois.
Un peuple à part
De toute évidence, il faut avoir non seulement le sens des responsabilités, mais aussi posséder des nerfs solides pour effectuer ce genre de travail.
– J’ai été régulateur autrefois. Et il m’est arrivé plusieurs fois, à l’issue de mes huit heures de prestation, de remporter mon casse-croûte intact tant j’avais été absorbé par mon travail. Et je ne suis pas une exception ! Oui, nous formons un peuple à part...
Sans doute est-ce pour cela que l’automatisation à la S.N.C.B. se poursuit, en règle générale sans provoquer de « sursauts » négatifs de la part des cheminots.
– Bien sûr, il y a des réactions individuelles : nous ne sommes ni meilleurs ni pires que les autres hommes ! Mais nous sommes tous des spécialistes, chacun dans sa partie. A ce titre, une innovation nous intéresse toujours... même si nous l’accueillons parfois avec un « certain sourire » : les machines ne sont pas toujours immédiatement au point et doivent être rodées, adaptées, perfectionnées.

Les cheminots eux aussi se rodent, s’adaptent, se perfectionnent. L’automatisation n’a pas provoqué la vague de limogeage que l’on aurait pu craindre. Les agents ont été reclassés. Des cours et des conférences de recyclage ont lieu régulièrement.
– Nous sommes aussi tenus au courant par des avis, des circulaires. Et nous participons à des conférences de service. Celles-ci sont basées sur des instructions commentées. On suppose un incident et on discute des mesures qui s’imposent, des initiatives à prendre. Il y a des circonstances où l’homme doit pouvoir prendre le pas sur la machine.
Il ne faut pas, en effet, que la machine devienne toute-puissante au point de tuer tout esprit d’initiative chez l’être humain. Les dirigeants de la S.N.C.B. sont conscients de ce danger et extrêmement attentifs à l’éviter. Les cheminots aussi.
– Ceux qui travaillent dans des secteurs très « animés », comme par exemple une grande gare, savent qu’ils doivent toujours être prêts à intervenir en cas de perturbation du trafic, à improviser au mieux des circonstances, afin que la vie du réseau continue. C’est notre devoir de cheminot.
En quittant la cabine, je jette un dernier regard autour de moi. Sur l’appui de la fenêtre, buvant avidement le soleil, deux pousses vertes s’échappent du col d’une bouteille de limonade. Dans cet univers de manettes, de voyants, de relais, de cartes perforées, deux plantes poussent, naturellement... Contraste.
(A suivre.)
Source : Le Rail, avril 1970