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Signaux
Paul Pastiels.
samedi 10 mai 2025, par
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Si vous le voulez bien, nous irons à la rencontre des signaux qui, tels des Çiva métalliques en méditation, dirigent en toute sécurité les convois à l’entrée ou à la sortie d’une gare et en pleine voie.
Lundi, nous partons de Bruxelles Midi à 6 h 54 du matin pour atteindre Chimay à 10 h 43. Il faut presque quatre heures pour parcourir les 127 km séparant le siège des pouvoirs publics de la capitale du pays des rièzes et des sarts. Le petit train musarde tout à son aise en empruntant un itinéraire quelque peu sinueux : il passe par Clabecq, Ecaussines-Carrières, Houdeng-Goegnies, Binche, Faurœulx et Lobbes.
Le prince de Chimay obtint la concession d’un chemin de fer reliant Mariembourg à Chimay le 31-7-1856, sous le nom de « Compagnie du Chemin de fer de Mariembourg à Chimay », qui devint définitivement, le 8-8-1857, la « Société du Chemin de fer de Chimay ». Les lignes Mariembourg - Chimay, Chimay - Momignies furent inaugurées respectivement les 15-10-1858 et 8-11-1859 ; elles furent prolongées, en 1866, vers Anor (France) et vers Hastière. Les travaux de construction de la ligne Mons - Lobbes - Chimay ne s’achevèrent qu’en 1881.

Après avoir visité cette ancienne ville française, après avoir dégusté un dernier bon verre de rouge ou de Trappistes, nous regagnons gaiement la sympathique petite gare où le train pour Mons, sous pression, nous attend. Vous remarquez l’imposante locomotive type 4 Etat n° 1440 de la remise de Mons (en 1882, cette machine était remisée à Bruxelles Nord), les deux sémaphores – deux « carrés » à damier rouge et blanc typiquement français – au garde-à-vous devant la prise d’eau. On en rencontre aussi de semblables le long des lignes du Nord-Belge ; une mécanique savante. composée de tringles de fer et de contrepoids, les commande.
Mardi, nous nous arrêtons à Denderleeuw, un des points nerveux du réseau d’où s’échappent les lignes vers Courtrai, Gand, Grammont et Bruxelles. Quelle multitude de sémaphores à palettes superposées ! Certains en portèrent jusqu’à six ; plus tard, on en limita le nombre à un maximum de trois par mât en combinant ce moyen de signalisation avec celui par numéros. Les deux palettes supérieures protègent chacune une direction, les palettes inférieures portant une couronne, – ou, parfois, la lettre M – se rapportent aux manœuvres. Sur le signal de gauche, la palette portant un oriflamme indique une voie pouvant être parcourue à vitesse normale.

A l’époque, le métier de lampiste n’était pas de tout repos et présentait quelques dangers. Dans chaque gare, le lampiste entretenait les lanternes à signaux, les « disques » de queue des trains et les réverbères des quais. Pendant la journée, il travaillait à la lampisterie où il nettoyait les lanternes, remplaçait les mèches... A l’approche du soir ou du matin, on le voyait sortir de son antre, une petite échelle à une main, un bidon à l’autre. Il déambulait prestement dans toutes les directions, grimpait sur les signaux, allumant ou éteignant les lanternes, donnant un coup de chiffon rapide sur les trinocles... Il allait même jusqu’aux avertisseurs (signaux à distance indiquant aux machinistes de se rendre maîtres de la vitesse de leur train) placés généralement à 800 m des signaux fixes d’entrée...
Où dort maintenant le tortillard poussif d’antan, celui qui nous déposa mercredi à Meulebeke (ligne 69 a : Thielt - Ingelmunster - Waereghem - Anseghem) ? Le style de cette petite gare proprette nous rappelle qu’elle faisait partie, jadis, de la « Compagnie de la Flandre-Occidentale ». Ici, tout respire la simplicité, jusqu’au modeste sémaphore d’un modèle encore très primitif : un simple disque à lanterne incorporée fixé sur un solide pieu, le levier de commande placé directement au pied du signal, sur lequel un allumeur a oublié son échelle. La silhouette trapue d’un moulin à vent se profile par-dessus les toits. Comme vous pouvez le remarquer, les employés ne pullulent pas dans cette petite gare : la pluie – celle qui fait miroiter les quais – les a forcés à se réfugier dans le bureau des recettes...

Jeudi, nous passons par Watermael. L’exploitation de cette gare nécessite plus de personnel. Ce n’est pas seulement pour faire respecter l’immense écriteau placé sous la verrière : « Défense, sous peine d’amende, de traverser les voies sans y être invité par le chef de gare ou son délégué » ! En effet, le chandelier, à la sortie, nous annonce l’important triangle d’Etterbeek qu’empruntent les trains de marchandises se dirigeant vers Bruxelles ou au-delà (via Schaerbeek-Josaphat). Vous remarquez la position peu commune de la palette « avertisseur », solitaire, sur le mâtereau central.

Vendredi, tandis que nous consultons les affiches horaires dans la salle des pas perdus de la gare de Grammont, deux trains attendent paisiblement l’heure du départ. Lequel choisir pour regagner la capitale ? L’un d’eux se dirigera vers Denderleeuw tandis que l’autre, au rythme désuet de son panache blanc, s’en ira vers Gand. Ce que nous voyons au premier plan ressemble encore étrangement à un mât de cocagne. Nous avons là un modèle de signal rudimentaire et de construction peut-être locale : un simple système de câbles et de poulies l’actionne. Les signaux vont évoluer. Peu à peu, ces sémaphores quitteront leur garde le long des voies au profit des signaux lumineux qui clignent simplement des yeux quand un train est passé...

Source : Le Rail, juillet 1970