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La S.N.C.B. utilise un « ordinateur en temps partagé »
A. Martens.
samedi 7 juin 2025, par
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Sous l’impulsion de l’astronautique et d’une recherche scientifique de plus en plus poussée, l’évolution des techniques utilisées dans l’industrie de l’ordinateur a pris un essor si rapide que seuls les spécialistes sont à même de la suivre. A peine un nouvel ordinateur vient-il d’être fabriqué qu’on crée déjà un modèle nouveau capable de travailler plus vite et de rendre plus de services.
Non seulement la capacité et la rapidité de travail de ces machines continuent de s’accroître, mais on s’est efforcé aussi de faciliter l’utilisation de ces puissants moyens d’appoint. Depuis longtemps, les constructeurs étaient convaincus qu’il était même possible de créer des machines et des systèmes permettant un dialogue aisé entre l’ordinateur et des utilisateurs qui n’auraient pas suivi une formation poussée de programmeur. Avec l’apparition du système « time-sharing », cet espoir est devenu réalité.
Qu’entend-on par « time-sharing » ?
« Time-sharing », expression qui nous vient d’Amérique, désigne une façon spéciale d’exploiter un grand ordinateur. « Time » signifie temps et « sharing » dérive du verbe « to share », diviser. Comme nous le verrons plus loin, l’application du nouveau principe d’exploitation « time-sharing » permet d’augmenter le rendement de l’unité de calcul en partageant son temps de calcul entre plusieurs utilisateurs qui peuvent travailler simultanément sur le même ordinateur.
La notion « time-sharing » a été lancée en 1964 au Darmouth Collège (U.S.A.). C’est seulement en 1968 que, dans les principales villes d’Europe, Paris, Londres, Milan, Stockholm, Cologne et Bruxelles, ont été utilisés des ordinateurs travaillant selon le principe du « partage du temps ».
Pour comprendre cette nouveauté, rappelons-nous le schéma général d’un ordinateur (fig. 1). On distingue trois parties importantes :
- les organes d’entrée, qui lisent les données, et les organes de sortie, qui sortent les résultats ;
- les mémoires dans lesquelles les données fixes et les résultats intermédiaires sont stockés ;
- l’unité centrale (U.C.) qui effectue les calculs proprement dits.
Chacune de ces parties a sa fonction propre, mais aussi une vitesse propre de fonctionnement, qui dépend de sa conception technique. L’unité centrale se compose d’éléments électroniques et fonctionne dès lors à une vitesse très élevée. En revanche, la plupart des organes d’entrée et de sortie sont constitués d’éléments mécaniques qui, de par leur nature, sont plus lents que les éléments électroniques. Pensons, par exemple, au temps nécessaire pour lire une carte dans un lecteur de cartes, pour déplacer la bande dans un lecteur de bandes perforées, pour dérouler une bande magnétique, pour manipuler le clavier d’une machine à écrire ou pour imprimer les lettres sur le papier.

Lors de la lecture des données à l’entrée ou lors de l’impression des résultats à la sortie, l’unité centrale d’un ordinateur ordinaire est bloquée. Ces opérations, bien qu’effectuées très rapidement, sont très lentes par rapport à la vitesse de calcul de l’ordinateur lui-même. Au cours du traitement d’un problème, l’unité centrale doit attendre que les données entrent et que les résultats sortent. On peut la comparer à un guichet où l’on sert immédiatement chaque client qui se présente, mais dont l’accès est si étroit qu’il faut un temps énorme pour l’atteindre et le quitter. A pareil guichet, l’agent est très mal utilisé, même s’il est remarquablement rapide dans l’exécution de son propre travail. Il doit trop souvent attendre.
Grâce à l’évolution des ordinateurs les plus récents, on dispose actuellement de différents systèmes permettant de mieux utiliser les possibilités de l’unité centrale, tels la multiprogrammation et le système « time-sharing ».
Dans ce dernier système, plusieurs utilisateurs, de la même façon qu’ils appellent une centrale téléphonique par une ligne ordinaire, peuvent entrer séparément en communication avec l’ordinateur et traiter leur problème en ayant chacun l’impression d’être seul en ligne. Dans l’ordinateur se trouve, en effet, un programme de contrôle spécial, dit « moniteur », qui a pour but d’augmenter le rendement de l’U.C. Grâce à ce « moniteur », l’U.C. peut aborder le problème posé par un utilisateur pendant que l’ordinateur est encore occupé à transmettre les résultats d’un problème à l’utilisateur précédent. En même temps, d’autres utilisateurs peuvent introduire leurs données, sans que le travail de l’unité centrale soit bloqué, et tout se passe comme si chaque utilisateur avait l’impression de disposer seul de la machine.
Dans la terminologie de l’ordinateur, cette possibilité de pouvoir exécuter plusieurs opérations à la fois est appelée la « simultanéité ».
Le système « time-sharing » auquel la S.N.C.B. est reliée
En 1968, la firme Bull-General Electric a installé à Bruxelles un ordinateur travaillant d’après le système du « partage du temps ». Il est à la disposition d’une centaine d’utilisateurs dont quarante peuvent entrer simultanément en relation avec la machine.
Le succès de cet ordinateur est dû surtout au fait que les organes d’entrée ne doivent pas se trouver à proximité de l’ordinateur. La communication des organes d’entrée avec l’ordinateur s’établit au moyen d’une ligne téléphonique ordinaire, de sorte que la distance ne joue aucun rôle.
Chaque utilisateur dispose d’un téléphone qui lui permet d’appeler l’ordinateur et d’un organe d’entrée proprement dit qui est un téléscripteur.
L’organe d’entrée – un « terminal » – est de la marque « télétype 33 », équipé d’un lecteur et d’un perforateur de bandes, muni d’un « modem » permettant la transmission de signaux en code par le réseau téléphonique. Quand un usager désire entrer en contact avec l’ordinateur, il compose, au cadran de son appareil téléphonique, le numéro du centre de « time-sharing » et, quand il entend un grésillement spécial, il appuie sur une touche du « terminal » : son télétype entre en communication avec l’organe central.
L’introduction d’instructions et de données se fait par l’intermédiaire du clavier, tandis qu’une copie apparaît sur le papier de la machine à écrire.
Il est possible aussi de préparer des programmes et des données en « off-line », c’est-à-dire sans être relié à l’ordinateur, en les perforant dans une bande. Celle-ci, après avoir été reliée à l’ordinateur, peut être lue à une vitesse de dix caractères par seconde.
Des programmes à usages fréquents ne doivent pas nécessairement être réintroduits chaque fois. La possibilité existe, en effet, de les ranger pour un temps plus ou moins long dans les mémoires à disques de l’ordinateur. De cette façon, chaque usager peut constituer une bibliothèque de ses propres programmes. S’il veut exécuter l’un de ces programmes, il lui suffit d’appeler celui dont il a besoin.
L’organisation de l’ensemble du système est représentée à la figure 2. Les données sont traitées par le calculateur de télécommunication Datanet-30, qui se charge en outre de la conversation avec l’usager et qui exécute toutes sortes de travaux préparatoires. Il range aussi soigneusement, sur l’unité de disques magnétiques commune, tous les ordres que le système reçoit avec les programmes qui sont à utiliser. Ensuite, sous le contrôle du « moniteur », le calculateur proprement dit, du type GE 235, reprend des disques les ordres à exécuter et fait les calculs. Les résultats des calculs sont renvoyés via le même chemin vers le calculateur de télécommunication qui les renvoie à chaque usager en les faisant apparaître sur l’imprimante du terminal.

Avantages et inconvénients du système
Un premier avantage du système concerne les frais d’investissement. Pour installer un « terminal », aucun local spécialement aménagé n’est nécessaire, ce qui est bien le cas pour un ordinateur à gestion autonome. Un terminal « time-sharing » peut être installé dans n’importe quel bureau, sans que celui-ci doive subir la moindre transformation. Il suffit qu’il soit équipé d’une ligne téléphonique et d’une prise de courant. Cela ne veut évidemment pas dire que le système ne coûte rien. Mais, comme l’ordinateur est employé simultanément par plusieurs utilisateurs, les frais d’investissement se répartissent entre eux et sont donc sensiblement réduits.
Par ailleurs, le constructeur met à la disposition des utilisateurs une importante bibliothèque de programmes, portant sur des problèmes techniques, mathématiques et économiques que l’on rencontre le plus souvent dans la pratique, tels la solution d’un système d’équations, la multiplication de matrices, des calculs de résistance des matériaux... On évite ainsi l’établissement de programmes propres, ce qui constitue un gain de temps appréciable.
Chaque usager peut faire appel au service « time-sharing » au moment qui lui convient le mieux sans qu’il doive se soucier des autres, puisque l’ordinateur organise lui-même le travail de façon entièrement automatique et répond à chacun dans le plus bref délai.
En ce qui concerne les problèmes pour lesquels l’usager doit établir lui-même un programme, il dispose de plusieurs langages de programmation évolués, comme ABASIC, BASIC, FORTRAN et ALGOL. Bien que ces langages diffèrent peu du mode de formulation scientifique courant, ils sont cependant soumis à des règles rigides. Chaque programme, après avoir été écrit dans un de ces langages, est traité par l’ordinateur et converti par le programme de traduction (appelé « compiler ») en instructions « machines ».
Parmi ces quatre langages, FORTRAN et ALGOL sont les plus intéressants étant donné qu’ils sont universels. De ce fait, l’exécution d’un programme par un autre ordinateur ne présente pas en principe de difficultés. Cette possibilité a son importance parce que le système ne convient pas pour tous les problèmes.
En principe, le « time-sharing » a été conçu pour résoudre des problèmes à caractère scientifique. Ce sont des problèmes pour lesquels l’ampleur des données à introduire et le volume des résultats à reproduire sont insignifiants en comparaison des calculs à effectuer pour les obtenir. Pour les problèmes où cette proportion est différente, les problèmes de comptabilisation et de tarification par exemple, le système « time-sharing » ne convient pas. Cela s’explique par le fait que la vitesse de lecture et la vitesse d’impression des « terminals » des « time-sharing » actuels sont encore relativement faibles comparées à la vitesse des imprimantes les plus modernes. Ainsi, l’ordinateur IBM 360-50 de notre mécanographie centrale dispose-t-il de deux imprimantes rapides qui peuvent imprimer chacune 1.100 lignes de 132 caractères à la minute, alors que la vitesse maximale de notre « time-sharing » terminal n’est que de 10 lignes de 72 caractères à la minute.
L’utilisation du système à la S.N.C.B.
La S.N.C.B. utilise le système « time-sharing » en vue de faciliter la solution de problèmes à caractère scientifique. En général, il n’est pas facile pour le fonctionnaire qui a à résoudre un problème scientifique de le décrire d’avance dans les derniers détails. A la suite des premiers tests sur l’ordinateur et de l’obtention des premiers résultats, il arrive souvent qu’on soit obligé d’apporter des modifications profondes à la méthode de résolution. Il en résulte qu’il est difficile de faire résoudre de pareils problèmes par l’intermédiaire de tiers. L’expérience a montré qu’il est souvent plus rentable que le fonctionnaire traite complètement son problème lui-même. C’est dans ce sens d’ailleurs que le système « time-sharing » a été développé en Amérique et qu’on a essayé de rendre la programmation aussi simple que possible. Le système permet encore de décharger l’ordinateur central de travaux qui seraient moins rentables pour lui.
La gestion du système est de la compétence de la Direction générale, mais le « time-sharing » est à la disposition de tout fonctionnaire ayant des problèmes scientifiques à résoudre. Avec ou sans l’aide du bureau de recherche opérationnelle, plusieurs fonctionnaires ont appris un des langages de programmation.
A l’heure actuelle, quelque septante programmes ont déjà été établis, et nombre de problèmes ont été résolus. La plupart concernent spécifiquement les ingénieurs, bien que les problèmes de statistiques et d’économie puissent aussi y avoir leur place. Les applications suivantes méritent d’être mentionnées : un modèle de simulation pour comparer différentes méthodes d’exploitation de la gare de Bruxelles Nord, le calcul des temps de parcours de trains diesel et électriques, le calcul de câbles téléphoniques pupinisés, le calcul de la rentabilité d’investissements, le choix du meilleur ordre de succession du triage des trains dans une gare de triage.
Ces applications et beaucoup d’autres ont prouvé que le choix du système a été très heureux. Il constitue, en outre, un stimulant pour les différents services qui doivent aborder eux-mêmes d’une manière scientifique des problèmes complexes. Grâce à cette nouvelle technique, la Société témoigne, une fois de plus, qu’elle figure parmi les plus avancées dans le domaine de la gestion scientifique et qu’elle ne ménage aucun effort pour mettre en pratique les méthodes les plus modernes.
Source : Le Rail, octobre 1970