Accueil > Le Rail > Histoire > Témoins d’hier > Dans la bruyère campinoise

Dans la bruyère campinoise

P. Pastiels.

lundi 9 juin 2025, par Rixke

Toutes les versions de cet article : [français] [Nederlands]

Un joli rayon de soleil gambade sur la fenêtre poussiéreuse et vous fait la nique. Il vous invite, comme moi, à prendre un billet pour un voyage de fantaisie au gré du rail, à délaisser le fatras des jours habituels. Tant bien que mal, vous tentez de vous concentrer sur votre travail. Mais rien n’y fait, vos yeux boudent résolument les occupations laborieuses. Ils se réjouissent déjà à la perspective de découvrir un nouvel horizon, un paysage autre que celui que la monotonie des jours sans fin vous suggère... Aujourd’hui, la semaine se termine, venez changer d’air... Que diriez-vous d’une randonnée à travers notre Campine septentrionale ?

Le train de voyageurs venant de Roosendaal, remorqué par une puissante locomotive aux cuivres brillants des Nederlandsche Spoorwegen, entre en gare d’Esschen. Les douaniers aux uniformes chamarrés se promènent sur le vaste quai. Ils ne retiendront pas longtemps le flot de touristes néerlandais. La correspondance vers Anvers et au-delà s’impatiente le long d’un quai proche...

Esschen

Enivré par cette journée ensoleillée, le train nous emporte, à coups joyeux de bielles et de volutes blanches, par les sauvages landes désertiques. La vapeur siffle et ne se contient plus, les sièges en bois chantonnent. Nous faisons un court arrêt à Wildert, ensuite à Calmpthout, le temps d’embarquer les promeneurs dominicaux, embarrassés dans leurs vêtements du dimanche, le panier à provisions sous le bras. Après Calmpthout, une vive bouffée de bruyère nous frappe au visage, amenée par les fenêtres grandes ouvertes des compartiments. Nous nous engageons enfin dans les solitudes de la bruyère. Quelques touffes de genêt tapissent çà et là le sol jaunâtre et stérile, et par endroits une flaque d’eau stagnante se montre encadrée dans le sable des landes... dit un guide ferroviaire touristique de 1855.

Calmpthout

Défense de se pencher par la vitre. Cet avis laconique ne nous empêche pas d’accueillir l’air ravigotant, d’envoyer au loin un tendre sourire au décor pittoresque défilant à nos yeux... Un brusque serrage de frein nous annonce la station proche : Heide, où nous descendons enfin.

Heide-Calmpthout

Toute la famille est au grand complet. Un charmant bambin, au curieux chapeau, ouvre la marche accompagné de papa tenant sa blague à tabac, suivi de grand-maman serrant son petit-fils dans les bras, de maman et de fiston étrennant son nouveau canotier !

Les ombrelles s’ouvrent prestement, entourant de leurs pétales les sveltes silhouettes de jeunes demoiselles au corsage trop bien serré... Des petits groupes se forment, s’éparpillant gaiement dans la nature accueillante. Bientôt votre estomac crie famine, et les paniers livrent rapidement leurs provisions à l’appétit des convives assis sur un coin d’herbe – la pâquerette aux lèvres – à l’ombre d’un conifère bruissant. L’appel du coq de bruyère apportera de temps à autre une note musicale au décor bucolique...

Heide

Des Anversois endimanchés désertent aussi leur métropole portuaire pour des horizons plus verts et moins éloignés. Ils débarquent tranquillement du train à Eeckeren, tendent en souriant leur billet au récoleur. Plusieurs voitures à chevaux les conduiront vers de multiples destinations. En attendant le départ, les élégantes, abritées sous leur blanche ombrelle et leur chapeau fleuri, échangent les derniers cancans, les derniers cris de la mode... Sur quels autres sujets peut-on converser lorsque le soleil brille et fait oublier les soucis et les tracas de la vie quotidienne ? Au détour d’une sente sablonneuse, vous rencontrerez peut-être ces paisibles promeneurs et vous lierez connaissance. Comment passer plus agréablement ce bel après-midi ?

Eeckeren

Quand le moment de retour sera venu, vous regagnerez ensemble la gare de Cappellen. Les uns rejoindront la proche Néerlande, les autres rentreront simplement à Anvers. Le petit train qui s’annonce au loin emmènera bientôt les échos radieux de cette journée, les souvenirs parfumés de chacun...

Cappellen

Source : Le Rail, novembre 1970