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Marketing : de quoi s’agit-il ?

L. Devillers.

dimanche 6 juillet 2025, par Rixke

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Marketing, le mot, faut-il le dire ? est d’origine anglo-saxonne. Comme bien de ses semblables, il fait fortune en Europe, non sans subir de nombreux avatars. Il convient peut-être de voir ce qu’il signifie [1].

Il ne s’agit plus seulement d’offrir du transport, il faut aujourd’hui passer à une autre optique : fouiller le marché, avoir le regard braqué sur l’avenir potentiel du rail, prévoir les désirs et les besoins de la clientèle...
Photo C. Pétry.

Le marketing est, à la fois, un état d’esprit, une philosophie et un ensemble de techniques de ventes.

Avec le machinisme et la révolution industrielle est née l’économie de production. Dans ce type d’économie, parce que l’offre ne peut satisfaire la demande, le producteur se contente de produire sans tenir compte des besoins réels du consommateur. Il sait d’expérience que le marché est demandeur et qu’il absorbera ce qui sort de ses usines. Des mutations s’opèrent ; très vite, les pays les plus industrialisés et d’économie libérale entrent en économie de consommation. Ils y arrivent à des époques différentes, les uns plus tôt, les autres plus tard, mais l’évolution se fait dans le même sens. Dans ce type d’économie, la production a tendance à dépasser la consommation, et une très forte concurrence apparaît sur les divers marchés. Pour pouvoir écouler sa production, l’industriel doit, s’il veut avoir quelques chances de réussite, adapter l’offre à la demande. Il est contraint d’étudier les divers marchés pour déterminer les besoins réels ou latents des consommateurs et il doit s’y conformer. Refuser de le faire, ou faire preuve de trop de timidité, c’est s’exposer à voir la clientèle se tourner vers la concurrence qui aura mieux su tenir compte de ses désirs. La réussite dépend souvent d’une certaine « agressivité » commerciale sur les marchés existants ou sur les marchés potentiels qu’on a pu déterminer. Par politique commerciale agressive, il faut entendre la mise en œuvre de tous les moyens pour faire face à la concurrence : politique des prix, du service, enquêtes, etc.

On peut résumer de la manière suivante : dans un cas, le producteur se contente de produire, dans l’autre, il est tenu de penser surtout à l’utilisateur final. Ce sont les désirs de ce dernier, ses besoins – réels ou créés – qui régissent la production. En termes économiques, on dit que l’on est passé de l’optique de l’offre à celle de la demande.

Ce changement radical d’optique, indispensable si l’entreprise veut survivre et se développer, nécessite aussi des modifications dans les structures. La fonction commerciale se résumait, avant, à vendre la production aux meilleures conditions. Elle est maintenant plus importante et beaucoup plus complexe et, dans la terminologie américaine, elle s’appelle « marketing ».

Faire du marketing c’est analyser, organiser, coordonner et contrôler toutes les activités d’une entreprise en fonction des besoins présents ou futurs qu’on a pu déterminer chez le consommateur et satisfaire ces besoins en réalisant un certain bénéfice.

C’est aux Etats-Unis que cette façon de voir et de travailler s’est d’abord développée. Les entreprises produisant ou vendant des biens de grande consommation ont été les premières à mettre en place une organisation de marketing parce que c’est dans ce domaine que la concurrence est la plus âpre. Après une brève période de tâtonnement, elles n’ont pas tardé à recueillir le fruit de leur reconversion. Les Européens ne sont pas restés indifférents devant cette réussite et, soit par le truchement des entreprises américaines sur notre continent, soit directement, l’idée a cheminé et gagné du terrain. Ici encore, c’est sur les produits de consommation que les efforts ont d’abord porté.

Actuellement, les grands groupes européens n’en sont plus à leurs débuts en ce domaine. Au vu des résultats, d’autres entreprises suivent leur exemple et nos universités ou nos grandes écoles commencent à inscrire le marketing au programme de leurs cours. Il n’est plus rare de rencontrer dans la presse des mots comme « product manager » (« chef de produit », personne qui, dans une entreprise, est chargée de concevoir et de faire appliquer une stratégie commerciale pour un ou plusieurs produits) ou « market research » (« analyse d’un marché » pour en saisir les particularités et adapter l’action commerciale).

Et le chemin de fer, direz-vous, a-t-il suivi le mouvement ?

Pour les divers réseaux, le temps du monopole est depuis longtemps révolu. La S.N.C.B., comme les autres sociétés de chemins de fer, en est parfaitement consciente. La concurrence est de plus en plus forte, et le client passe de plus en plus aisément d’un moyen de transport à un autre. Il est donc temps de s’armer pour défendre et améliorer la position du rail sur le marché du transport. Pour cette raison, notre société a mis en place les bases d’une organisation de marketing.

A la direction commerciale, avec la collaboration des autres directions, des études sont entreprises pour déterminer comment notre société pourra mieux répondre aux besoins de la clientèle. Des « product managers » sont entrés en fonction en ce qui concerne tant le transport des voyageurs que celui des marchandises. L’avance est prudente, peut-être, mais dans le domaine du marketing des transports, on ne dispose pas, ou à peine, d’expériences préalables. Ici l’on se trouve devant un terrain en friche où beaucoup reste à faire. Il faut adapter et remodeler des théories qui ne sont pas directement transposables. La tâche est souvent ardue, mais on peut être persuadé que le chemin de fer saura faire preuve du dynamisme et de la vitalité nécessaires

Le marketing n’est cependant pas le seul fait de la direction commerciale. Nous avons dit plus haut que l’ensemble des structures de l’entreprise doit être repensé et orienté dans l’optique de la demande, c’est-à-dire de l’utilisateur.

Pour nous, comme pour toute autre société, le seul sens du marketing est de permettre le maintien et le développement de notre position sur les divers marchés qui sont nôtres ou que nous convoitons. Le marketing est l’outil d’une politique commerciale plus agressive. Il doit nous permettre de mieux vendre notre produit : le transport. L’organisation de ce service de transport dépend d’un ensemble de directions qui ont toutes, directement ou indirectement, un rôle à jouer. Pour que, face à une concurrence toujours plus vive, notre action soit efficace, il est de la plus grande importance que tous les efforts soient parfaitement organisés et coordonnés. Le client ignore, et veut ignorer, les arcanes de notre organisation ; il ne connaît qu’un seul interlocuteur : la S.N.C.B.

Le fait qu’un ou plusieurs services, qu’une ou plusieurs personnes, puissent être identifiés à l’ensemble de l’entreprise nous permet de dire que le marketing n’est pas la seule affaire des directions. Chacun d’entre nous peut, aujourd’hui ou demain, être tenu pour le représentant de la S.N.C.B. par l’un ou l’autre client. Il est très important que chacun prenne conscience de ce phénomène d’identification. L’image de marque, c’est-à-dire l’idée que le client se fait de notre société, est le fruit des contacts journaliers entre la clientèle et l’entreprise. Cette image se forge petit à petit et chaque agent en contact avec le client en est un peu l’artisan. Le client juge sur des faits. Tous les contacts avec la société constituent autant de tests, et c’est de la somme de ces jugements individuels que dépend notre renom. Chaque fois qu’un client est satisfait de nos services, notre crédit est renforcé ; il est par contre altéré chaque fois que nous lui donnons raison de se plaindre. Le malheur veut qu’à ce petit jeu de compte et mécompte, les faits parlant en notre défaveur pèsent plus dans la balance que ceux qui nous sont favorables, et il est dès lors très important que nous améliorions sans cesse la qualité de notre service.

Pour que le marketing soit vraiment un élément de succès, il est indispensable que chaque agent pense et agisse en fonction de la clientèle. Celle-ci doit être constamment au centre de nos préoccupations. En agissant systématiquement en ce sens, nous augmenterons non seulement nos chances de réussite mais, de plus, nous inscrirons notre société dans un processus dynamique et irréversible.


Source : Le Rail, février 1971


[1Des puristes proposent des expressions comme « commercialisation d’un produit », « techniques et stratégies commerciales » ; le mot « marketing » est universellement admis, chargé du sens que lui ont donné les auteurs anglo-saxons et qu’aucune traduction ne parvient à maintenir jusqu’à présent.