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En ferry-boat de Zeebrugge à Harwich

A.-H. Van Hee.

mercredi 21 septembre 2011, par Rixke

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9 h. 42. Sous un ciel couvert, le train venant de Bruxelles s’arrête à Zeebrugge (centre). Dans une dizaine de minutes, je serai au nouvel embarcadère des ferry-boats, situé dans l’avant-port, si le vent violent soufflant du large ne ralentit pas trop ma marche.

En route, j’aperçois bientôt la cheminée d’un ferry-boat ; en m’approchant, je constate qu’il s’agit de l’Essex Ferry, construit par les chantiers navals John Brown et Cie, de Clydebank (Ecosse), d’où sont sortis des géants réputés, tels que le Queen Mary et le Queen Elisabeth. Les wagons que l’Essex a amenés d’Angleterre, vers 8 h., sont déjà débarqués. Après une courte pause, le nouveau chargement va commencer.

J’entre dans le bâtiment moderne appartenant à la Société belgo-anglaise des Ferry-boats, et M. Claes, directeur du service de Zeebrugge, me parle de la ligne qui conduit à Harwich.

 L’intérêt du service

Comment est-il rentable, ce service, alors que le poids net des marchandises transportées égale à peu près la tare des wagons, tare à laquelle il faut encore ajouter celle du bateau, c’est-à-dire plus de 3.000 tonnes ? Il l’est grâce à une bonne organisation et à la généralisation de la traction diesel, qui ont réduit les frais d’exploitation.

Sans doute, le prix du transport par ferry-boat est-il encore élevé quand on le compare à celui du transport ordinaire par bateau. Mais les expéditeurs savent bien qu’en contrepartie, ils feront l’économie d’un double transbordement, qu’ils auront moins de frais d’emballage et que les risques d’avaries seront fortement réduits.

 Les marchandises transportées

Des fruits, des primeurs, des machines, des chevaux de course, du matériel de cirque, des meubles, des messageries, des liquides en fûts ou en wagons-citernes... La ligne accepte aussi les produits explosifs ou facilement inflammables, alors qu’ils sont refusés par l’autre service de ferry-boats qui relie l’Angleterre au continent (la ligne Douvres-Dunkerque), en raison du grand nombre de passagers qui l’empruntent.

 Le chargement

Le chargement du navire va bientôt commencer. M. Hoornaert, adjoint de M. Claes, me conduit au bateau. Un pont suspendu relie le quai à la poupe du navire. Bientôt, une première série de wagons embarque. Sur les quatre voies du pont, on peut garer de trente-sept à quarante wagons, selon leurs dimensions. Pour le prochain voyage, le chargement comporte vingt et un wagons de fruits italiens, deux wagons de machines venant d’Allemagne, ainsi que quinze wagons de meubles tchécoslovaques et yougoslaves.

Pour que la locomotive - trop lourde - ne s’engage pas sur le pont suspendu, on la fait précéder de plusieurs véhicules qui ne doivent pas être chargés. Lorsque tous les wagons sont embarqués (sous l’œil attentif d’un employé des douanes...), des ouvriers les attachent un à un sur le pont, au moyen de chaînes ; ils serrent les freins à main et glissent un patin sous chaque couple de roues. Le bateau est maintenant prêt au départ, car, entre-temps, on a retiré le pont suspendu.

Les ferry-boats prennent aussi quelques passagers, en nombre restreint cependant (maximum douze), qui jouissent du confort que l’on trouve sur les grands paquebots.

 Le départ

Etant donné l’espace réduit du chenal, le ferry-boat, qui mesure 122 m. de long et 18,40 m. de large, doit être remorqué pour pouvoir quitter le port. Malgré ses 138 tonnes, le Graaf Visart semble bien minuscule lorsqu’il vient se ranger le long du flanc de l’Essex Ferry.

Vers une heure et demie, avec une aisance étonnante, le remorqueur nous éloigne de l’embarcadère. Une fois sa tâche accomplie, il nous abandonne, et le ferry-boat continue seul son chemin, un chemin de 87 lieues, pour relier Harwich. Dès que le bateau a quitté la zone protégée par le môle, on commence à sentir les effets du roulis. Une fois de plus, une cargaison de wagons vogue vers l’Angleterre...

 Un peu d’histoire

Pendant la première guerre mondiale, trois ferry-boats furent construits pour transporter, entre l’Angleterre et le nord de la France, du matériel de guerre (locomotives, trains-hôpitaux, munitions et armes). Après l’armistice, les trois ferry-boats servirent encore pour rapatrier des troupes. Puis, ils restèrent au repos jusqu’en 1924.

C’est alors que fut créée la Great Eastern Ferry Company, qui, avec ces trois navires, se mit à exploiter, entre Harwich et Zeebrugge, un service journalier réserve exclusivement aux wagons de marchandises.

Dix ans plus tard, l’exploitation fut reprise par le London and North Eastern Railway ; les services et les itinéraires ne subirent aucune modification.

L’activité de la société, dont la renommée s’était solidement établie, fut interrompue par la deuxième guerre mondiale, au cours de laquelle on enregistra la perte de deux bateaux. Le Train-ferry n° 2 fut incendié au cours du rembarquement du corps expéditionnaire anglais ; il y eut 14 victimes parmi l’équipage. Quant au Train-ferry n° 3, qui avait notamment participé au débarquement en Normandie, il heurta une mine, le 13 mars 1945, au large de Dieppe, et coula.

Seul le Train-ferry n° 1, remis à neuf en 1946, reprit le service. Mais, en janvier 1957, il fut retiré de la navigation (il avait presque 40 ans), et les journaux anglais, toujours soucieux du sort des navires, n’ont pas manqué de publier une photo des funérailles du ferry-boat, aux chantiers de Grays, dans l’Essex.

Entre-temps, la Société avait renouvelé complètement sa flotte en achetant le Suffolk Ferry (1947), le Norfolk Ferry (1951) et l’Essex Ferry (1956), tous construits par les chantiers navals de John Brown C°, à Clydebank. Grâce à ces unités modernes, elle peut assurer une traversée par jour au moins, dans les deux directions, parfois même deux ou trois.

 Sur le pont et la passerelle

Aux environs de la côte orientale anglaise, le roulis diminue. C’est le moment propice pour jeter un coup d’œil sur le pont supérieur, où sont logés les membres de l’équipage et les passagers.

Un restaurant, aménagé avec le meilleur goût, offre ses banquettes, garnies de coussins rouges, à une vingtaine de personnes. Des repas peuvent y être servis à n’importe quelle heure. Et le chef steward est prêt, à tout moment, à satisfaire aux moindres désirs des passagers, ce qui n’est évidemment pas possible sur une malle qui transporte mille voyageurs !

Le capitaine Greenham m’invite à prendre place sur la passerelle de commandement. Son premier officier attire mon attention sur l’écran du radar, où apparaissent les obstacles, invisibles à l’œil, que l’appareil repère dans un rayon de 3 à 45 lieues. La nuit est maintenant tombée ; le bateau, qui a navigué à une vitesse moyenne de 13 nœuds, approche de Harwich, et le radar facilitera, bientôt, l’entrée dans le port.

Je m’intéresse aussi au système de radionavigation Decca, grâce auquel il est possible de déterminer exactement la position du bateau.

 L’arrivée

A un kilomètre de Harwich, où il n’y a qu’un seul débarcadère pour les ferry-boats, on jette l’ancre ; on éteint aussi les feux de navigation à tribord et à bâbord, en attendant les instructions. Bientôt, après quelque neuf heures de navigation, l’Essex Ferry entre au port de Harwich et croise le Suffolk Ferry, qui s’en va, lui, vers Zeebrugge.

Le ferry-boat se range à quai, sans l’aide, ici, d’aucun remorqueur, mais en sens opposé à sa marche : les wagons ne peuvent entrer que par le bas côté.

Les formalités de douane sont réduites au strict minimum pour les passagers, et, avant dix heures et demie (neuf heures et demie pour les Anglais), tous sont à la gare de Harwich Town. Un train diesel les conduit à Parkeston Quai, où, à n’importe quelle heure, le voyageur fatigué peut trouver gîte et pitance.


Source : Le Rail, août 1958