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Le roulement de nos locomotives

J. Van Volden, ingénieur en chef.

mercredi 26 octobre 2011, par rixke

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 Un moyen de fortune

Au lendemain de la libération, à la suite des destructions de matériel, d’installations et d’ouvrages d’art, et sous la pression des événements militaires, il ne fut plus possible d’organiser rationnellement l’ensemble du service des remorques. Pour certains trains, surtout pour les trains militaires, on lançait des locomotives en ligne le plus loin possible, leur retour s’effectuant au gré des circonstances.

Devant chacun des milliers de trains de voyageurs et de marchandises qui sillonnent notre réseau, chaque jour, ponctuellement et prêts an départ, viennent se placer la locomotive et le personnel nécessaires à leur remorque. Vous êtes-vous déjà demandé comment cela se fait-il ? Ce phénomène quotidien résulte, beaucoup plus qu’on ne le soupçonne, d’études longues et minutieuses.

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C’est la division 22-1 de la direction du Matériel qui est chargée d’élaborer le service des locomotives (vapeur, électriques, diesel) et du personnel qui dessert ces engins. Elle établit aussi le roulement des automotrices et des autorails, et de leur personnel.

Le résultat ne se fit pas attendre. Le personnel ne connaissait plus d’avance le déroulement de ses services ; les règles les plus élémentaires concernant la durée des prestations n’étaient plus respectées, et la vie de beaucoup de machinistes et de chauffeurs était devenue celle de vagabonds du rail. Il y eut, en certains points du réseau, abondance de machines alors qu’il en manquait ailleurs. Bref, ce fut ce que l’on peut appeler une belle pagaille ! Cette situation, évidemment, ne pouvait pas durer.

Aussi mit-on tout en œuvre pour en revenir, le plus vite possible, aux errements normaux.

 Le choix du matériel

L’organisation la meilleure consiste - cela va de soi - à remorquer le plus de trains avec le moins de moyens. Il s’agit de gérer au mieux le capital « traction » de la Société, qui représente plusieurs milliards de francs.

Le fonctionnaire chargé de l’étude considère pour chaque train (tant de voyageurs que de marchandises) les conditions nécessaires et suffisantes pour qu’il puisse circuler comme prévu aux documents horaires.

Pour les trains de voyageurs, il faut choisir les locomotives en tenant compte des vitesses à réaliser, de la charge des trains et du profil des lignes à parcourir. La Société dispose d’un éventail de machines vapeur à voyageurs de faible, de moyenne et de forte puissances (du type 16 au type 1 en passant par les types 7 - 12 - 64), de machines mixtes (types 29 - 40 et 97) et de locomotives diesel et électriques.

Pour les trains de marchandises intervient surtout, à quelques exceptions près, le facteur puissance, et il faut généralement des locomotives vapeur types 26, 29, 40, 81 ou 97, des locomotives diesel ou des locomotives électriques.

Sans doute « qui peut le plus, peut le moins », mais il ne faut pas perdre de vue que l’utilisation de moyens exagérément puissants se traduit par une augmentation du prix de revient. Cependant, pour des raisons évidentes de standardisation, on s’efforce de réduire au minimum le nombre de types de locomotives utilisés tant sur le réseau que dans chaque dépôt.

 Le roulement

Voyons maintenant comment procède le « rédacteur du roulement » mis en face du problème des remorques sur une ligne ou sur un groupe de lignes.

Que possède-t-il comme base de départ ? D’une part, le programme des trains jugés nécessaires par le service de l’Exploitation ; d’autre part, l’effectif des locomotives dont il dispose.

Sa première tâche consiste à déblayer le terrain et à sérier les trains en catégories, dont chacune requiert la mise en ligne d’un type de moteur adéquat.

En partant d’un endroit déterminé (c’est en général la gare desservie par l’atelier), il recherche pour chaque train « aller » un train, dit d’équilibre, qui permette à l’engin moteur et à son personnel de rentrer au dépôt dans les délais les plus brefs. Le train d’équilibre est donc celui que le moteur peut assurer au retour, après avoir effectué les opérations éventuellement nécessaires : virage, alimentation en eau...

On saisit l’intérêt de disposer de locomotives pouvant remorquer aussi bien les trains de voyageurs que les trains de marchandises (c’est le cas des locomotives à vapeur mixtes, des machines diesel et des machines électriques). Il est évident, en effet, que les possibilités de réutilisation rapide des machines seront d’autant plus nombreuses que le nombre de trains remorquables sera plus grand.

L’aller et le retour constituent ce que l’on a coutume d’appeler un « accouplement ».

Pour les trains à long parcours, on détermine le point extrême à atteindre sans que la prestation de personnel nécessaire pour assurer l’accouplement dépasse l’amplitude réglementaire, opérations préliminaires et subséquentes comprises. C’est ainsi, par exemple, qu’un train de minerais de fer venant de Lorraine et destiné à une usine de La Louvière est remorqué de Virton à Ronet par une loco-diesel de la remise de Latour, et de Ronet à La Louvière par une loco-vapeur de Ronet, les engins étant utilisés au retour pour la remorque d’autres trains de marchandises.

Le personnel de Latour effectue une prestation avoisinant 10 heures pour assurer l’aller et le retour et ne peut donc dépasser Ronet. Quant aux agents de Ronet, leur prestation est normale.

Il arrive fréquemment qu’un trajet aller-retour ne justifie pas une prestation complète du personnel ; l’ingéniosité du rédacteur s’applique alors à grouper plusieurs accouplements de façon à former un service d’une durée normale.

La formation des services a constitué la seconde étape du travail.

La troisième phase consiste à réaliser avec les accouplements un assemblage cohérent qui remplit, entre autres, les conditions suivantes :

  1. Les services doivent former une suite continue, appelée « série » ; ils sont assurés successivement par une même locomotive en l’espace de plusieurs jours ;
    Selon que deux ou trois services sont assurés en 24 heures par une même locomotive, on parlera de double ou de triple équipe ; il est évident que la triple équipe est celle gui utilise le mieux l’engin moteur et lui fait atteindre le parcours moyen journalier le plus élevé.
  2. Les différents services du personnel doivent se succéder dans le respect des prescriptions légales ;
    Celles-ci ont été codifiées et forment la matière du célèbre Ordre Général 13 de 1929, document de chevet du rédacteur de roulement.
  3. La succession des services doit être telle qu’elle permette de réaliser les opérations indispensables à la bonne tenue de route du moteur ;
    La périodicité d’entretien mécanique de l’engin moteur doit être respectée ; la journée d’immobilisation de celui-ci coïncide en général avec la journée de repos de son personnel desservant.
  4. Des services « planton » ou « réserve » indispensables sont prévus pour parer aux avaries des engins moteurs, aux défaillances toujours possibles du personnel et aussi à la remorque des trains non prévus, que l’on nomme trains facultatifs ou spéciaux.
Devant l’affiche des services d’une série.

Il est impossible de décrire, dans le cadre de cet aperçu forcément sommaire, comment on agence entre eux les différents services en conciliant ces divers impératifs. Il s’agit d’un puzzle, plus ou moins compliqué, dont la solution consiste à placer, SUR SA MACHINE EN ORDRE, un personnel compétent, de telle sorte que le personnel se trouve en règle avec les prescriptions légales après que l’ensemble homme-engin a bouclé le cycle des services de la série. Aucun procédé rigide de travail ne peut présider à cette œuvre de conception ; un certain nombre de recettes, une grande expérience, la mémoire des horaires et, enfin, une certaine intuition permettent d’aboutir au meilleur résultat après des recherches plus ou moins longues. En se rappelant les règles mathématiques des combinaisons, on imagine facilement le nombre impressionnant de solutions que peut donner, par exemple, l’assemblage de trente services répartis sur dix jours. Beaucoup de ces solutions peuvent être rejetées à priori ; certaines sont bonnes, d’autres enfin sont les meilleures.

Un des fonctionnaires qui fait partie de l’équipe des « rédacteurs du mouvement ».

L’organisation du service des engins de traction, loin d’être statique, est essentiellement dynamique et toujours susceptible d’amélioration. Deux fois par an, au renouvellement des documents-horaires, le roulement est refondu, adapté à la période horaire nouvelle, édité et distribué aux services intéressés. Entre-temps, il est adapté aux fluctuations incessantes du trafic.

Ce roulement est appliqué par les remises qui disposent des engins et du personnel nécessaires et qui ont, en outre, la charge, en collaboration avec les stations et les services de dispatching, de faire face aux circonstances imprévues d’exploitation.

Son fonctionnement harmonieux est la résultante des efforts de chacun.


Source : Le Rail, avril 1959