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Un caleur aux freins

mercredi 16 novembre 2011, par rixke

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Entre le bâtiment de la gare reconstruite de Saint-Ghislain et le pont moderne sur lequel passe la route qui mène à Tournai, dans la cabine de triage, ce matin, c’est François Callens qui se trouve au poste. Borain sympathique et fier de ses 37 années passées dans le mouvement, il exerce maintenant les fonctions de chef manœuvre et de caleur aux freins. Lui qui était habitué à parcourir les gares de formation par tous les temps, le voici bien à l’abri, aux côtés de ses collègues signaleurs.

De son poste d’observation, juché juste en face des quatre freins à mâchoires, son regard va de la bosse de triage, située au-delà du pont, aux quatre faisceaux de voies qui se déploient à droite. Plus loin s’étendent des morceaux de campagne, entrecoupés de terrils, et quelques beaux arbres poétisent un peu ce paysage caractéristique du Borinage.

Le pupitre de commande.

Après un moment de répit, le circuit pneumatique, qui relie le service du factage à la cabine, envoie un bulletin de triage E. 840 ; celui-ci indique la composition du prochain train à débrancher et le tonnage brut des wagons qui le composent. Aussitôt, François Callens s’assied à une table de bois et, sur les quatre feuillets d’un bulletin de freinage E. 835, il note comment la rame doit être scindée et sur quelles voies il y a lieu de diriger les « coupes ». Il n’oublie pas de reproduire les tonnages respectifs et la nature des charges ; puis, il ajoute des signes particuliers qui lui rappelleront l’importance des différents freinages à effectuer. C’est qu’il s’agit de faire attention aux « fragiles » !

François Callens remet un exemplaire de l’E. 835 au signaleur Camille Dorange, qui travaille de concert avec lui, et garde un deuxième exemplaire ; quant aux deux autres, il les attache tout simplement - avec une pince à linge ! - au bout d’une corde rouge qu’il laisse pendre par la fenêtre. Bientôt, on voit arriver le débrancheur René Defromont et le caleur Cornu, qui s’en viennent les chercher. Le premier retourne, à gauche, vers la bosse, et le deuxième, à droite, s’en va informer ses collègues restés dans les faisceaux.

Peu après, la rame monte la bosse. Successivement. après débranchement, un wagon chargé la descend, puis un groupe de six wagons-citernes vides, puis un tombereau vide, puis un wagon chargé, et ainsi de suite... Les véhicules - isolés ou groupés - passent à intervalles très rapprochés, celui-ci sur le premier frein, ceux-là sur le quatrième, le suivant sur le deuxième, un autre sur le troisième... François Callens, debout devant son pupitre de commande, manipule ses manettes, tandis que ses yeux fixent son E. 835 et suivent l’effet des différents coups de frein qu’il dose avec sang-froid. Il en faut, vous vous en doutez bien. Le caleur aux freins doit juger rapidement et agir sans la moindre hésitation, à la seconde voulue. En quelques minutes, la rame a été triée grâce à l’action concertée du machiniste, du débrancheur, du caleur aux freins, du signaleur et des caleurs au sabot. Seul le cinéma pourrait donner une idée exacte de tous les mouvements qui se sont succédé pour arriver à cet heureux résultat, et encore faudrait-il tourner le film au ralenti.

François Callens a un sourire de contentement quand il nous déclare : « Aujourd’hui, par ce beau temps, c’est facile ; pendant la nuit, le freinage est un peu plus compliqué, et quand le vent souffle dans le sens opposé à la descente de la bosse, il faut pouvoir évaluer l’influence qu’il aura. Parfois aussi, il faut tenir compte des sautes d’humeur inattendues de la locomotive... »

Un métier qui permet de prouver son coup d’œil et sa maîtrise de soi, n’est-ce pas un beau métier d’homme ?


Source : Le Rail, août 1959