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Quand deux esprits (ceux de A. Lalmand et M. Vervoode) se rencontrent sur une pelle...

mercredi 30 novembre 2011, par Rixke

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Depuis longtemps, les cheminots de la voie ont rêvé d’une pelle idéale, permettant un soufflage plus rapide et plus précis des traverses métalliques. Ce rêve était commun à tous les réseaux, et nous pouvons même assurer qu’on le retrouvait au Congo. Un colonial, revenu au pays, n’avait-il pas déclaré à notre collègue Auguste Lalmand, de La Sambre, qu’il recherchait un système capable de faciliter la tâche de tous les cheminots, même de ceux qui, n’ayant pas pu aller à l’école, ne sont pas familiarisés avec la valeur symbolique des chiffres que les surveillants notent sur les traverses pour indiquer quelle quantité de grenaille il faut y souffler ?

Notre collègue, qui connaissait bien le problème (sur ses 37 ans de service, il en a passé 28 en qualité de contremaître de la voie !), se mit à réfléchir de plus belle, pour les noirs comme pour les blancs, et imagina une pelle constituée :

  • d’un tube à l’intérieur duquel passe une tige commandée par une poignée ;
  • d’un ressort à boudins prolongeant la tige ;
  • d’une raclette, reliée au ressort, se déplaçant sur la pelle.

C’était déjà une fameuse amélioration sur la pelle mise à l’essai précédemment, qui comportait, elle aussi, une raclette, mais celle-ci était commandée par l’intermédiaire d’un fil d’acier et d’une attache dont la solidité laissait à désirer.

De plus, en pensant toujours spécialement à certains de nos collègues du Congo, Auguste Lalmand pourvut le tube d’une série d’encoches numérotées dans lesquelles la poignée peut être engagée de façon à doser la course de la raclette et, partant, la quantité de grenaille nécessaire pour obtenir le relevage correspondant au chiffre indiqué par le surveillant sur les traverses. Avec ce système, tout le monde peut « souffler ». Il ne faut plus être capable, comme les bons ouvriers de la voie, de peser la grenaille à vue d’œil sur une pelle ordinaire. « Même les fonctionnaires qui n’avaient jamais travaillé au soufflage ont pu le faire. » Voilà du moins ce que nous avons entendu dire, sans la moindre allusion péjorative, bien sûr.

A quelques kilomètres du « tunnel d’Hitler » (c’est ainsi qu’on appelle le tunnel de Ham-sur-Heure depuis qu’il abrita, pendant une nuit de 1940, celui qui s’en allait à Paris pour descendre les Champs-Elysées...), les membres d’une équipe commentent les avantages qu’ont apportés le nouveau bac à grenaille et la pelle Lalmand (dans les mains de son inventeur, en uniforme) et la pelle Vervoode (celui-ci en chapeau, à l’extrême gauche). Le chef d’équipe s’est baissé pour montrer les rebords gradués sur lesquels on peut repérer les différentes positions de la raclette.

Pendant que A. Lalmand mettait son système à l’essai, il ne savait pas que, sur un autre groupe, le jeune chef de section Maurice Vervoode, préoccupé lui aussi du même problème, réalisait, à Ath, une pelle à raclette d’un modèle différent et qui vient d’être mise à peu près définitivement au point par l’atelier de Bascoup, compte tenu de l’expérience conjuguée des deux inventeurs, maintenant réunis dans le même secteur : M. Vervoode est attaché au groupe de Charleroi depuis mars 1959.

La pelle Vervoode, large de 34 cm., est pourvue, de chaque côté, de deux rebords gradués sur lesquels on peut repérer les différentes positions de la raclette correspondant aux quantités à souffler, ce qui n’exclut pas qu’on peut, en plus, ajouter des repères sur le manche, constitué d’un tube en acier de 25 mm. (il serait plus léger en duralumin). Ce tube guide un manchon qui commande la raclette par l’intermédiaire de deux lames flexibles. Cette disposition évite un inconvénient : la division de la pelle en deux compartiments par le tube-guide. La répartition de la grenaille est maintenant uniforme, et rien n’est plus facile que de doser la quantité nécessaire. C’est précis, robuste, maniable et quasi automatique.

Notons que les deux inventeurs ont encore d’autres réalisations à leur actif. Pour compléter avantageusement le système de soufflage mesuré, A. Lalmand a mis au point, sous forme d’une trémie, un bac à grenaille, qui présente un réel avantage sur les autres types utilisés jusqu’à présent. Toute fatigue est supprimée chez l’agent chargé d’y puiser la grenaille ; il suffit qu’il appuie à peine sa pelle sur la partie inférieure de la trémie, et la grenaille s’y étend par gravité. Il convient de signaler que M. Lalmand avait précédemment réalisé un dispositif du chauffage sur les draisines d’inspection. Quant à M. Vervoode, il a créé :

  • Un dansomètre pour le mesurage exact du vide sous les traverses danseuses, qui n’est plus influencé par les trépidations dues au passage des convois (la correction des traverses danseuses est un des facteurs essentiels des opérations inhérentes au soufflage mesuré) ;
  • Un gabarit petit modèle pour la partie basse : de construction légère, il permet de tenir compte des prescriptions du règlement général de la voie relatives à l’élargissement du gabarit en fonction des rayons des courbes ;
  • Un gabarit grand modèle pour la partie haute : léger, de transport facile et entièrement démontable, il permet l’indication directe des cotes d’encombrement et la vérification exacte pour l’acceptation des transports extraordinaires.

La Société, qui a récompensé l’initiative de ces deux agents, leur ingéniosité et leur ténacité aussi (il en a fallu pour vaincre pas mal de préjugés !), a décidé de généraliser l’utilisation de la pelle à raclette, cet outil susceptible d’alléger la peine des hommes et d’augmenter à la fois la qualité du travail et le rendement des équipes.


Source : Le Rail, septembre 1959