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Le pont sur l’Escaut à Chercq

A. Soete, ingénieur principal.

mercredi 4 janvier 2012, par rixke

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Pour celui qui n’est pas familiarisé avec la technique des ponts, l’ouvrage qui a été reconstruit, sur l’Escaut, à Chercq n’a sans doute rien de particulier ; il n’y voit qu’une grosse poutre en béton. Mais s’il pouvait jeter un coup d’œil à l’intérieur, il verrait que cette masse de béton est, en fait, un double bac, dans lequel passent plus d’un millier de fils en acier. Il s’agit, en effet, d’un pont en béton précontraint.

Le béton résiste très bien à la compression, mais sa résistance à la traction est faible. C’est pourquoi on soumet les zones du béton où des tensions de traction sont à prévoir à une forte compression, qu’on appelle la précontrainte. De cette façon, tout se passe comme si le béton résistait aussi bien à la traction qu’à la compression. Dans une construction comme le pont de Chercq, qui est soumis à flexion, il se présente sur la face supérieure des tensions de compression et sur la face inférieure des tensions de traction. La précontrainte est appliquée uniquement du côté où se présentent les tractions.

Il existe différentes façons d’exercer la précontrainte ; généralement, elle se pratique à l’aide de câbles, passant à l’intérieur ou à l’extérieur de la poutre, qui sont mis sous traction avec appui sur le béton. C’est cette méthode qui a été utilisée à Chercq. La coupe transversale de ce pont, d’une portée d’environ 49 m., présente un double caisson trapézoïdal de 2,53 m. de hauteur, avec des parois en béton de 20 cm. d’épaisseur et une dalle supérieure de 36 cm.

La précontrainte, qui atteint une valeur de près de 4.000 tonnes, est assurée par 1.056 fils de 7 mm. de diamètre, représentant une longueur totale de plus de 50 km. Ces fils, parallèles et distants d’axe en axe de 12 mm., sont groupés en 20 câbles. Les câbles peuvent se trouver dans des gaines, posées dans le béton avant bétonnage, ou bien, comme c’est le cas ici, passer librement à l’intérieur des caissons, d’un bout à l’autre de la poutre. Toutefois, comme ils ne sont pas droits, des plaques métalliques sont placées à l’endroit de certains voiles transversaux, pour permettre des déviations.

Le béton doit être de très bonne qualité et, en outre, être légèrement armé pour éviter la fissuration.

Le pont a été construit sur des échafaudages tubulaires. Au-dessus de la passe navigable, les étançons ont été remplacés par des poutrelles. Ces poutrelles, de 15,50 m. de longueur, fléchissent inévitablement au cours du bétonnage, ce qui peut provoquer une fissuration du béton de la poutre : à ce moment, celui-ci ne résiste pas encore aux tensions de traction, la précontrainte n’étant pas encore appliquée. C’est pourquoi la construction du pont de Chercq a été réalisée en trois tronçons entièrement indépendants et séparés par un vide d’environ 20 cm. Les vides ont été remplis en dernier lieu, pendant qu’on introduisait les câbles, qu’il fallait enfiler d’un bout à l’autre du pont. Quand le béton eut obtenu la résistance désirée, on passa à la mise sous précontrainte. Une autre qualité caractéristique du béton précontraint est ainsi illustrée : on peut assembler différents blocs pour en faire une poutre résistante sans autre liaison que la précontrainte exercée sur ces blocs.

Pour mettre les câbles sous tension, il existe, différents systèmes, mais on utilise généralement des vérins hydrauliques. Les fils sont fixés à l’aide de clavettes sur ces vérins des deux côtés du pont, et on mesure simultanément l’allongement des fils et l’effort exercé. L’effort sur les fils était de 7.700 kg. pour deux fils de 7 mm. de diamètre, tendus simultanément. Avec ces grands efforts, les allongements sont évidemment très importants. A Chercq, ils étaient de l’ordre de 25 cm. Pour réduire les frottements sur les plaques de déviation, les vérins étaient installés aux deux extrémités du pont. Les équipes se trouvant de chaque côté étaient en communication radio-téléphonique.

Dès que l’allongement désiré est obtenu, les fils sont calés à l’aide d’appareils d’ancrage similaires à ceux utilisés pour fixer les fils au vérin. Ces calages viennent dans des blocs d’about spéciaux qui doivent transmettre l’effort de précontrainte au béton.

Quand tous les fils sont ainsi mis sous tension, il ne reste plus qu’à les protéger contre la rouille. II est, en effet, reconnu que les fils fortement tendus présentent de grands risques de corrosion. On les a donc enrobés complètement de mortier, et, grâce au trou d’homme prévu dans le pont, une inspection régulière reste possible.

Grâce à l’utilisation du béton précontraint, une économie très importante a pu être réalisée pour la reconstruction de ce pont, tant au point de vue du coût d’établissement qu’au point de vue des frais d’entretien.


Source : Le Rail, février 1960