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Notre réseau s’adapte

dimanche 6 février 2022, par rixke

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M. le directeur ADAM, de la Direction générale, a bien voulu nous recevoir pour répondre aux questions que nous lui avons posées au nom de nos lecteurs. Nous l’en remercions vivement.

LE RAIL. – Nous nous sommes livrés à un sondage pour connaître l’opinion de nos lecteurs à l’égard du chemin de fer. Il en résulte que, contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, les agents en service et même les pensionnés éprouvent plus d’intérêt pour le présent que de nostalgie envers le passé. En plus de sa documentation sociale, la plupart d’entre eux attendent de notre revue qu’elle leur apprenne d’abord des nouveautés sur la vie du rail. Loin d’en être restés au temps du prétendu « monopole ferroviaire », les hommes du rail sont résolument de plain-pied dans la réalité et, malgré la concurrence des autres moyens de transport, ils croient toujours en l’avenir des chemins de fer. Ils savent que, malgré son importance primordiale, notre réseau, comme tout moyen de transport, n’est pas une fin en soi, mais qu’il n’existe qu’en fonction des besoins, des nécessités ou des possibilités de la vie sociale et économique de la communauté. Ils savent qu’il doit donc toujours s’adapter. Mais ils aimeraient avoir des idées plus claires sur les questions actuelles de cette adaptation et de la coordination des transports.

Pour faire le point du problème, certains l’abordent par la notion des « distances d’équilibre ». Que faut-il en penser ?

M. ADAM. – Le rail par rapport à la route, la voie aérienne par rapport au rail, ont un handicap : celui de plus lourdes charges terminales (le camion arrive à domicile, la gare est plus près du cœur des villes que l’aéroport). Les avantages du train et de l’avion « en ligne » ne peuvent combler ce handicap que si les parcours sont suffisamment longs. D’où la notion de « distance d’équilibre ». Il serait commode de pouvoir simplifier le problème en attribuant, par exemple, à la route les transports de moins de 50 km, au rail ceux de 50 à 1.000 km et à l’avion ceux de plus de 1.000 km.

Mais il est impossible de s’accorder sur ces limites. Dans certains cas, les conditions locales justifient une incursion dans le domaine du voisin. Et même sur le plan général, le problème est complexe. Que l’on songe, par exemple, au succès des trains de nuit (20 h o 8 h) qui relient des grands centres distants de 1.200 km ! Que l’on pense aux centaines de milliers de voyageurs de banlieue que les trains débarquent quotidiennement dans les gares de Londres, de Paris, de Bruxelles ! Imaginerait-on, sous prétexte que leur parcours est de moins de 50 km, de les renvoyer à la route ? Ce serait l’embouteillage complet des grandes villes.

La distance seule n’est pas un critère suffisant de partage.

LE RAIL. – Sur quel autre principe pourrait-on baser une politique de coordination des transports ?

M. ADAM. – Le premier objectif de la coordination est de pouvoir, en capacité et en qualité, répondre aux besoins des usagers dans le cadre des impératifs présents et futurs. Pour y arriver, il faut faire en sorte que chaque transport revienne à la technique qui, à qualité égale, l’assure au meilleur prix. Mais ce prix doit être calculé dans des conditions de départ identiques, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il faudrait notamment que chaque mode de transport paie équitablement sa part du coût de construction, d’exploitation, d’entretien et de renouvellement de son infrastructure et que la participation de chaque transporteur corresponde à l’usage qu’il fait de l’infrastructure. Par parenthèse, savez-vous qu’on a calculé que, dans certains cas, le seul intérêt des capitaux engagés dans l’aménagement d’une voie d’eau aurait permis au chemin de fer d’assurer gratuitement le transport de tout tonnage prévisible ? Il faudrait encore mettre chaque mode de transport sur le même pied en matière d’obligations, de fiscalité et de responsabilité. Ces principes d’une saine concurrence, tous les chemins de fer réunis au sein de l’U.I.C. s’emploient à les faire reconnaître.

LE RAIL. – En attendant, selon quels critères faut-il adapter notre réseau ?

M. ADAM. – L’adaptation de nos chemins de fer, c’est, en fait, la mise en harmonie de nos moyens d’action (personnel, matériel et installations) avec les besoins de transport par rail. Ces moyens ont chacun leurs facultés propres d’adaptation aux déplacements géographiques du trafic et aux fluctuations de son volume total.

L’effort incombe d’abord aux cheminots. Ils ont donné, depuis la Libération, des preuves de leur savoir-faire dans une période de remise en marche et de reconversion. Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines ; l’adhésion de chacun au programme nécessaire, la cohésion de tous pour le réaliser rapidement, sont plus que jamais indispensables.

Le matériel roulant, mobile par essence, peut être adapté suivant les besoins.

Les installations fixes ne peuvent servir que sur place. Encore existe-t-il entre elles des différences. Pour les ateliers et les bureaux centraux, qui sont en relation avec le volume de trafic de l’ensemble ou d’une partie importante du réseau, volume dont les fluctuations sont relativement lentes, il est possible de faire des prévisions solides pour des périodes assez longues. Les grandes lignes ont une stabilité qui justifie d’importants investissements de modernisation. Les lignes moyennes requièrent en matière d’installations fixes une politique prudente, dans laquelle interviennent notamment les simplifications et les concentrations de postes de commande. Quant aux lignes sur lesquelles personne, après consultation de toutes les autorités compétentes, n’entrevoit une reprise substantielle du trafic (que l’on songe, à ce sujet, aux milliers de voyageurs et de tonnes que l’on peut faire passer journellement sur une simple voie), une seule attitude s’inscrit dans la logique des faits : suppression immédiate de toute dépense autre que celle nécessaire à une desserte simplifiée.

LE RAIL. – Dans ce qui vient d’être dit, vous avez, monsieur le Directeur, implicitement supposé que le volume des moyens d’action croît et décroît avec celui du trafic. En est-il bien ainsi ?

M. ADAM. – Cette hypothèse est de pure forme ; elle ne se justifie que par l’ordonnance de l’exposé.

En réalité, tous les efforts visent à améliorer le rendement des moyens d’action.

En ce qui concerne le personnel, cet effort porte sur la préparation des agents et l’étude des tâches. Il comporte la formation et la spécialisation professionnelles, l’organisation, la mécanisation, la concentration des commandes, le développement des télécommunications, l’usage des ensembles électroniques de gestion.

Pour le matériel de traction, c’est l’élimination de la vapeur au profit des techniques jeunes : diesel et électricité.

Pour les wagons, on augmente leur capacité, on réduit le nombre des types généraux en vue d’accroître la rotation, on conçoit des wagons spéciaux de grande contenance et à manutention rapide pour les exploitations en navette.

Quant aux voitures, on doit chercher à minimiser les conséquences des pointes marquées durant lesquelles il faut mettre en ligne de nombreux véhicules qui restent sans utilisation pendant les heures creuses.

LE RAIL. – II a été question jusqu’à présent de l’organisation des transports en gestation et de l’adaptation du rail à l’évolution des besoins. Pouvons-nous vous demander de nous parler maintenant des efforts pour retenir et accroître la clientèle ?

M. ADAM. – Afin de servir le plus de clients possible – c’est évidemment la préoccupation fondamentale de la S.N.C.B. –, il faut améliorer les services que nous rendons déjà et en présenter de nouveaux.

Dans le rayon des voyageurs, nous portons surtout notre effort dans les domaines qui correspondent au génie propre de notre entreprise : transports de masse et transports à moyenne et grande distance. Pour les transports de masse, nos services ne sont suivis que s’ils sont fréquents, et que s’ils conduisent à pied d’œuvre : le succès de la gare Centrale de Bruxelles en est la preuve. Pour les voyages de moyenne distance, une cadence suffisante (par exemple, horaire), combinée à une vitesse élevée, nous assure une bonne clientèle lorsqu’il s’agit de relier des centres et des nœuds importants. Pour les longues distances, la vitesse prend une importance particulière : Bruxelles-Paris en 2 h 30, Bruxelles-Cologne en 2 h 15, par exemple, sont des objectifs qui justifient des sacrifices dans le domaine de la traction comme dans celui du tracé des voies. Pour tous les services, enfin, des correspondances bien étudiées doivent permettre, à dépenses égales, d’améliorer certaines relations et d’attirer un complément non négligeable de clientèle.

Et quand on voit l’importance que prend l’automobile dans la vie moderne, il ne faut pas s’étonner qu’en adjoignant ce service à notre transport – soit que nous mettions une voiture à disposition du voyageur à destination, soit que nous transportions sa propre voiture –, nous ayons intéressé une clientèle qui avait abandonné le rail. Location d’autos sans chauffeurs et transport d’autos accompagnées remportent des succès appréciables.

Dans le secteur des marchandises, l’organisation des acheminements vise à une plus grande célérité : réduction des triages et des escales, dessertes régionales à partir de gares disposant de locotracteurs, exploitations en navettes, acheminements internationaux accélérés.

Comme de nombreux expéditeurs sont séduits par les commodités de manutention dont s’accompagne le transport par camion, une campagne commerciale informe les industriels des facilités que le rail est à même de leur offrir. L’étude en commun des problèmes de chargement et de déchargement nous a assuré de nouveaux transports.

La prospection constante des besoins de l’économie permet de trouver de nouveaux débouchés.

Mais tous ces efforts seraient vains si nous ne pouvions maintenir nos prix de revient à un niveau compétitif, car, dans tous les domaines, nous subissons une concurrence aiguë.

LE RAIL. – Toujours dans le cadre de son adaptation aux besoins, comment le chemin de fer, étroitement lié à la vie économique du pays, intervient-il dans les problèmes d’aménagement du territoire ?

M. ADAM. – Les anciennes zones industrielles étaient riveraines du chemin de fer. Actuellement, beaucoup de ces régions s’étendent et se reconvertissent. De nouvelles se créent. Parfois, les programmes industriels sont combinés à des objectifs routiers et urbanistes. Le chemin de fer est entraîné à modifier certaines gares, voire à déplacer des lignes, à construire de nouveaux raccordements. Plusieurs fois, la participation de notre société à l’examen des problèmes a permis de dégager des solutions conciliant avec harmonie la rationalisation du réseau, la reconversion industrielle et l’urbanisme.

En outre, un vaste programme de sécurité routière vise à résoudre le problème du croisement de la route et du rail. Suivant la nature et l’intensité de la circulation, diverses solutions sont adoptées : signalisation routière automatique, détournement par un ouvrage d’art voisin ou construction d’un nouvel ouvrage d’art.

LE RAIL. – Pouvons-nous encore vous demander, monsieur le Directeur, ce qu’il faut attendre de l’évolution du cadre international dans lequel s’exerce l’activité des chemins de fer ?

M. ADAM. – La Communauté économique européenne est un stimulant énergique. Elle crée de nouveaux besoins de transport sur des distances et pour des volumes qui cadrent avec les possibilités du chemin de fer moderne. Le trafic international représente dès à présent les trois quarts du tonnage kilométrique « marchandises » de notre réseau.

Photo J. Warotte.

Nos problèmes ont pris une nouvelle dimension, qui accentue l’intérêt et l’urgence des solutions envisagées sur le plan intérieur. Déjà, une grande partie de nos wagons est exploitée en communauté, des dispositions financières communes créent entre les réseaux adhérents une mutualité d’investissements et leur garantissent un cadre plus large d’amortissement, les échanges d’informations s’intensifient.

Pour un petit réseau qui, du fait des courtes distances en service intérieur, est aux premières lignes du front de la concurrence routière, l’unification européenne est une providence, une promesse d’ère nouvelle dans l’activité du rail.


Source : Le Rail, mai 1962