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GRAFFITI

Hendrik Hayen.

mercredi 12 mai 2021, par rixke

Que cachez-vous ?

 Les graffiti, une vieille histoire

D’aucuns les élèvent au rang de l’art, d’autres les considèrent comme un mal qu’il faut éliminer par tous les moyens possibles. Les graffiti seraient apparus dans les années 60 aux États-Unis. Que le film « West side story », dans lequel deux bandes rivales utilisent des bombes de peinture pour marquer leur territoire, en soit responsable, n’est pas avéré. Par contre, une chose est sûre : à cette époque, les tags et autres graffiti firent leur apparition dans les grandes villes américaines. Ils font aujourd’hui partie intégrante de la culture des jeunes. L’Europe fut épargnée jusque dans les années 80. À Bruxelles, les premiers graffiti auraient été signalés en 1988.

 Des graffiti uniques

La génération actuelle des « vrais » artistes de graffiti considère cette technique comme une ligne de conduite. Ils essaient de mettre en forme et en couleurs le rythme du Hip-Hop.

Ou concrètement, ils traduisent sur les murs la mélodie et l’ambiance musicale. De réelles œuvres d’art naissent parfois. Les graffiti laissent apparaître la vie « underground ». Comprenne qui pourra !

Néanmoins quand on parle de graffiti, on ne pense pas nécessairement à cet art de la rue mais plutôt aux slogans politiques, aux sentences grossières, au langage ordurier, aux tags. Les tags sont une émanation des graffiti, qu’on pourrait définir comme étant la reproduction stylisée d’un nom, lequel doit être reconnu et apparaître le plus souvent possible. Ces manifestations de l’esprit créatif s’accompagnent souvent de pratiques peu louables, à savoir la souillure de propriétés publique ou privée. Il n’y a plus d’endroit sûr. Le seuil de la tolérance diminue au fur et à mesure que des efforts sont consentis pour améliorer l’aspect esthétique des immeubles et des villes par le nettoyage et la restauration.

Les gares et leurs dépendances n’échappent pas à cette forme de vandalisme, elles offrent à cet égard quelques possibilités de se défouler. Une politique de prévention s’avère indispensable. Les projets originaux d’Anvers Dam et de Luchtbal méritent qu’on s’y attarde. J’ai rencontré pour l’occasion J. Hendrix, chef de secteur technique. Son terrain d’action ? Les ouvrages d’art, les bâtiments, les installations diverses... du district Nord Est.

 Action ? Réaction ?

Lorsque des graffiti sont signalés, les équipes d’entretien s’ébranlent aussitôt avec les produits nécessaires pour les effacer. Mais c’est difficile, et à certains endroits, les « taggeurs » récidivent sitôt le nettoyage terminé. Le risque d’être arrêté est dérisoire étant donné le peu de gens affectés à la surveillance des installations. Que faire pour qu’un mur blanc reste blanc ? J. Hendrix y a réfléchi longtemps avant de trouver la riposte.

Le profil des graffiteurs est connu. Ces jeunes essaient d’attirer l’attention sur eux et leurs graffiti sont une tentative de dialogue avec la société. Ils cherchent la satisfaction, la reconnaissance et leur travail est une forme de contestation de l’ordre établi. Les endroits où ils sévissent ainsi que le genre de graffiti qu’ils exécutent sont des facteurs à ne pas négliger.

J. Hendrix a voulu, dans sa réponse, tenir compte des utilisateurs du rail, qui doivent se sentir chez eux dans une gare. À Anvers Dam et à Luchtbal, la clientèle est essentiellement jeune. Dans les environs, il y a en effet de nombreuses écoles. Ce sont des quartiers défavorisés où de nombreux adeptes des graffiti ont trouvé refuge. D’où l’idée de décorer les couloirs souterrains – la cible préférée des vandales – avec des dessins qui correspondent au mode de vie de ces jeunes, Il a aussi pris en considération le fait qu’il existe un code dans le milieu de ceux qui s’exercent aux graffiti : les dessins des congénères sont d’autant plus respectés qu’ils ont été exécutés avec talent !

Les graffiti et les peintures murales d’Anvers Dam et de Luchtbal doivent être considérés comme une sorte d’antigraffiti. Il reste à espérer qu’ils ne seront pas dénaturés par des textes peu amènes !

 L’art sous la voie

Il y a une quinzaine d’années, l’académie de Hasselt avait proposé d’embellir les trois couloirs souterrains de la gare par des créations de ses étudiants. Elle assurait même le renouvellement des dessins muraux après deux ans. Ce fut une expérience positive pour les deux partenaires. Grâce à ces « muralistes » limbourgeois, la SNCB fut dispensée de repeindre ses murs et les gribouillis vulgaires furent éliminés. À Anvers, la démarche fut différente. Le projet ne naquit que parce qu’il y eut une plainte politique à propos de la dégradation du quartier voisin d’Anvers Sud. Il fallait y répondre. Une première étape fut franchie avec la convocation de toutes les écoles proches de la gare. Une campagne de sensibilisation y fut menée auprès des élèves pour les inviter à respecter le bien commun, dont on attendait aucun résultat. Ensuite, une approche plus positive fut privilégiée : les graffiti ne devaient plus être vus comme un barbouillage involontaire mais comme une partie intégrante de la gare.

 Luchtbal

Ce point d’arrêt, situé sur la ligne vers Essen, s’appelait, à son ouverture en 1932, Merxem. Ce nom fut modifié en 1956 en Luchtbal quand le point d’arrêt fut déplacé 2 km plus loin vers le sud. Longtemps, le souterrain fut l’exutoire des vandales. Triste carte de visite de la Société.

Les murs étaient recouverts de toutes sortes de graffitis et de tags qui auraient mieux fait de ne pas voir le jour. La clientèle, des écoliers et des jeunes du quartier, ne pouvait pas manquer d’y laisser sa « signature ». Fin 94, il fut décidé de repeindre les murs en blanc afin de les préparer à être décorés d’une fresque. E. Geuns, peintre du district Nord Est, fut sollicité à cause de sa formation artistique. Il transforma le souterrain en jungle, sujet qui n’était pas sans rappeler l’ambiance qui y régnait auparavant. De plus, ce décor attrayant convenait parfaitement aux jeunes et eut l’heur de plaire aux autres usagers, ravis de ce nouvel aspect du souterrain. Une fois achevée, la fresque camouflait encore d’anciens griffonnages.

 Anvers Dam

Anvers Dam est la gare que l’histoire retient comme étant celle qui fut intégralement déplacée. En effet, lors du rehaussement du nœud ferroviaire autour d’Anvers, il fut décidé de la déplacer de 36m, fondations comprises. Le souterrain de ce magnifique bâtiment néo-gothique fut aussi la proie des taggeurs. Il fut repeint en même temps que celui de Luchtbal, ce qui eut pour effet immédiat d’attirer à nouveau les graffiti. Anvers Dam se situe dans un quartier délabré et socialement défavorisé d’où la majorité des vandales sont originaires.

Fort de l’expérience de Luchtbal, J. Hendrix eut une autre idée lumineuse lorsqu’il entendit l’entretien télévisé du directeur du SISA (Stedelijk instituut voor sierkunsten en ambachten in Antwerpen), M. Leys.

Peut-être existait-il dans cette école des élèves capables de réaliser de beaux graffiti ?

Il contacta alors le directeur. Ses vœux furent exaucés. Bien que cette discipline ne soit pas enseignée dans cet établissement, il ne fallut pas chercher longtemps pour trouver des artistes expérimentés en graffiti. Leur mission fut de recouvrir en trois semaines les graffiti existants avec un sujet personnel où le tram interviendrait d’une façon ou d’une autre et qui soit accessible à tous. Le matériel – des centaines de bombes de peinture – était fourni par la SNCB. L’avant-projet fut concluant et les quatre étudiants se mirent à la tâche avec beaucoup d’enthousiasme. Tous leurs loisirs y passèrent et leur dédommagement financier ne fut pas leur motivation la plus forte.

Ils pouvaient enfin exercer légalement leur art. Ils accordèrent beaucoup d’attention à la qualité de leur travail au point d’évincer de leur groupe des « collègues » de moindre qualité artistique. Ils soignèrent aussi leur « service après vente » en revenant six mois plus tard. De plus, une couche protectrice contre la saleté et les taggeurs mal intentionnés paracheva leur travail. Code oblige : aucune atteinte à ce sujet original n’est à déplorer. Même la ville d’Anvers fut séduite, car après ce rafraîchissement, l’éclairage de la ville fut étendu jusqu’à l’entrée du souterrain.

 Anvers Sud

Étant donné le succès des tentatives précédentes, un nouveau projet est en route à Anvers Sud. Il concerne les piliers du pont des quais récemment repeints en blanc et aussitôt barbouillés. D’abord il y a le projet d’A. Peeters qui travaille à Anvers Central. Elle est artiste de cœur et d’esprit et a réagi positivement à l’idée d’habiller ces piliers à sa façon. Ensuite, le SISA est d’accord pour une nouvelle collaboration. L’école veut impliquer ses différentes disciplines dans ce projet, lequel sera repris l’année prochaine dans le programme scolaire. Il s’agit donc d’un nouveau partenariat entre l’école et la SNCB, pour lequel cette dernière conserve le pouvoir de décider in fine ce qui garnira les fameux piliers. Il est évident qu’à Anvers, la SNCB a décidé d’outrepasser les conventions pour donner vie aux graffiti sur leur propre terrain et une chose est sûre : le résultat est concluant. ?

 Que faire contre le vandalisme ?

L’utilisation de ces systèmes antigraffiti permet de nettoyer ultérieurement les surfaces avec des produits moins corrosifs et donc moins nocifs pour l’environnement

chaque année, des millions sont dépensés pour faire disparaître les graffiti de toutes sortes. Parfois ils sont tellement nombreux que les effacer est presque impossible. De graffiti en nettoyages successifs, les murs s’abîment au point de rendre les façades décrépites.

Il y a quelques années, un système antigraffiti a été mis au point. Il faut ici faire la distinction entre les systèmes imperméables qui agissent en profondeur et qui sont invisibles des systèmes superficiels, qui couvrent la surface d’un film plastique épais visible à la lumière et sous les couleurs.

L’utilisation de ces systèmes antigraffiti permet de nettoyer ultérieurement les surfaces avec des produits moins corrosifs et donc moins nocifs pour l’environnement.

Le nettoyage des surfaces traitées est aussi moins coûteux et le système antigraffiti rend plus facile l’enlèvement des tags tout en évitant la détérioration du support.

On peut encore combattre les graffiti en les prévenant par le choix des matériaux ou l’esthétique, par exemple, dans les nouvelles constructions. Sinon c’est plus coûteux, voire difficile. Mais ne perdons pas de vue que les progrès réalisés dans les traitements destinés à protéger ces matériaux vont malheureusement de pair avec la sophistication des peintures et autres bombes aérosol. La lutte est loin d’être finie !


Source : Le Rail, mai 1996