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A deux ans de l’an 2000

L. Gillieaux.

mercredi 15 mars 2023, par rixke

Enfant de la révolution industrielle, le chemin de fer a connu un essor rapide et un développement continu. Aujourd’hui, plus que jamais, il prouve son extraordinaire vitalité.

En cette veille du troisième millénaire, rappelons brièvement son histoire - récente à l’échelle de celle de l’humanité - ainsi que les défis qu’il devra relever dans un proche avenir.

Dès l’origine au service de la nation

D’emblée, les chemins de fer ont constitué un enjeu vital pour notre jeune nation. Une fois l’indépendance conquise, notre pays dut très rapidement se doter de moyens de transport en vue d’assurer son développement économique grâce aux échanges avec les pays voisins. Or, du fait de notre séparation brutale avec les Pays-Bas, la voie maritime de l’Escaut, passant par ce pays, nous était coupée. Il fallut donc, en toute hâte, chercher d’autres voies de communication avec les pays limitrophes.

À cette époque, un nouveau mode de transport, tout à fait original, venait de faire son apparition en Grande-Bretagne : le chemin de fer ! Immédiatement, le jeune gouvernement belge s’y intéressa.

Les études furent promptement menées et une loi créant les chemins de fer fut votée en 1834. On se mit immédiatement à l’ouvrage et l’ardeur fut telle que le premier tronçon, Bruxelles - Malines, fut solennellement inauguré le 5 mai 1835, moins d’un an après le début des travaux.

Le rythme initial se maintint par la suite : dès 1845, nos chemins de fer atteignaient l’Allemagne et la France.

En 10 ans, le réseau initialement prévu s’étendait sur 592 kilomètres et, jusqu’en 1870, près de 2 500 kilomètres de lignes allaient venir s’ajouter aux voies posées au cours des premières années.

 Le rail au service du pays et de ses habitants

Les concepteurs du chemin de fer perçurent très tôt le rôle essentiel qu’il pouvait jouer dans l’essor économique de la Belgique. Les faits leur ont donné raison : desservant de plus en plus de régions de notre pays, il transforma leur mode de vie, dynamisa leur économie et ouvrit leur population au monde environnant.

Progrès industriel et technique

Le chemin de fer offrait une très grande capacité de transport, sans commune mesure avec les possibilités antérieures. Et cette capacité s’accrut sans cesse, grâce à de multiples perfectionnements. Il ouvrit la porte à de nouveaux débouchés commerciaux dans tout le pays comme à l’étranger. La production industrielle augmentait et il fallait transporter toujours plus de matières premières et de produits finis. Le chemin de fer favorisa la prospérité et la création d’emplois.

Son propre développement y contribua aussi. En effet, le rail était lui-même un important client de l’industrie, tant ses besoins étaient importants pour la construction des lignes comme du matériel. Il suscita également le progrès technique et appela le développement de nouvelles connaissances dans de nombreux domaines : résistance des matériaux, conception des ponts, recherches sur les premiers moteurs électriques, le téléphone et le télégraphe pour la transmission des dépêches, etc.

Notre pays acquit une excellente réputation et notre industrie put exporter des productions ferroviaires un peu partout dans le monde : Afrique, Asie...

Progrès humain et social

À l’origine, le chemin de fer fut pensé dans une optique de transport de marchandises. Mais d’aucuns saisirent d’emblée les possibilités qu’il offrait également pour le transport de voyageurs. Il se développa donc aussi très vite dans ce domaine : gares pour les voyageurs, matériel de plus en plus rapide, confortable et sûr, nombreuses possibilités de déplacements et de voyages en Belgique bien sûr, mais aussi à l’étranger.

Il devint tout naturellement un facteur de cohésion nationale. Ainsi, le chemin de fer favorisa l’unification de l’heure en Belgique. Auparavant, chaque ville importante calculait son heure sur son territoire par rapport au lever du soleil. On adopta l’heure unique pour éviter d’importants décalages horaires lors des circulations ferroviaires.

Le développement même des localités fut directement marqué par le chemin de fer : à titre d’exemple, citons Malines, qui fut à l’origine de notre réseau et qui connut une très forte croissance de sa population au cours du premier siècle d’existence du chemin de fer.

Celui-ci contribua aussi très activement à la promotion sociale de nombre de nos concitoyens. Les tarifs sociaux firent leur apparition dans la seconde moitié du XIXe siècle : dès 1878, les ouvriers pouvaient bénéficier d’un abonnement à la semaine. Le mot « navetteur » allait bientôt prendre tout son sens dans notre société en évolution. Le rail allait asseoir sa réputation de transporteur de masse et ouvrir la voie de la mobilité au sens moderne du terme.

Des fortunes diverses au cours du XXe siècle

 De la vapeur à l’électricité

De nombreux changements importants caractérisèrent la période de l’Entre-deux-guerres.

À la fin du premier conflit mondial, il fallut remettre en état près d’un tiers du réseau et se préoccuper aussi du matériel qui avait également beaucoup souffert. La SNCB vit le jour en 1926. Bien des évolutions allaient suivre. À cet égard, soulignons d’emblée que, sur le plan des relations sociales, la société mit au point, pour son personnel, un système d’assurance-maladie exemplaire, dont le pays tout entier s’inspira par la suite. Elle créa aussi un concept inédit de relations sociales, en mettant en place la toute première commission paritaire de l’histoire belge.

Quant au réseau lui-même, le mouvement de rachat des concessions de ligne, amorcé dès 1870, fut poursuivi et les services, issus des anciennes compagnies, furent rationalisés. Les infrastructures et l’organisation du trafic furent modernisées, tandis que les voitures en bois commençaient à céder la place aux premières voitures métalliques.

Cependant, un événement particulièrement marquant se produisit le 5 mai 1935 : ce jour-là, 100 ans jour pour jour après l’ouverture de la première ligne entre Bruxelles et Malines, la SNCB inaugura sa première ligne électrifiée en 3 000 volts en continu, entre Bruxelles et Anvers. C’était une étape symbolique essentielle dans un vaste plan de modernisation qui visait à rendre nos chemins de fer plus compétitifs face à la concurrence de la route déjà bien sensible dès ce moment.

 La fin d’un monopole et les adaptations

Le trafic routier s’était déjà progressivement développé dans l’Entre-deux-guerres. Mais le second conflit mondial allait bouleverser toutes les prévisions antérieures. Outre les destructions qu’il provoqua sur le réseau ferroviaire, il fut à la source d’un important développement des trafics routier et aérien.

Les chemins de fer ne restèrent toutefois pas sans réaction. Là aussi, les cheminots s’adaptèrent aux circonstances nouvelles pour que le rail continue à être au service du pays, de sa population et de son économie. L’accroissement de la productivité devint un souci de plus en plus constant. Les travaux d’électrification, interrompus par la guerre, furent relancés : choisissant pour l’avenir une source d’énergie plus performante que la vapeur, les chemins de fer devenaient en même temps des pionniers de l’écologie avant la lettre. La jonction nord-midi à Bruxelles – conçue dès le milieu du XIXe siècle et commencée en 1911 – était enfin mise en service en 1952. Elle allait multiplier les possibilités du réseau.

Les services s’adaptèrent eux aussi à l’évolution des attentes de la clientèle : disparition de la 3e classe en 1956, lancement des mythiques TEE en 1957, fin de la vapeur en 1966, mise en service de nouvelles voitures plus confortables et plus fonctionnelles, réorganisation des dessertes, offre de formules commerciales attractives pour favoriser le développement des voyages de tourisme et de loisirs.

Malgré tous ces efforts, ces améliorations et ces progrès, la part du trafic ferroviaire diminua sans cesse dans les années 60 et 70, au profit des trafics aérien et routier. Le transport ferroviaire était-il condamné ? Allait-il être relégué à une fonction auxiliaire voire marginale dans certains secteurs limités ?

 La redécouverte du rail

La réponse à ces questions a été tout autre. Une réaction de grande ampleur s’est amorcée, et son développement continue encore aujourd’hui.

Progressivement, la Belgique et l’Europe ont pris de plus en plus conscience des problèmes de congestion des routes et du ciel, de pollution, de consommation d’énergie, de sécurité des transports... Et l’on a redécouvert les atouts fondamentaux du train : économe en énergie comme en espace, respectueux de l’environnement, particulièrement sûr. Nombre de responsables estiment qu’il a une place essentielle dans l’organisation générale des transports et qu’il doit même jouer un rôle plus important à l’avenir, ce qui implique des modernisations et donc, des investissements et des adaptations.

Les cheminots vont relever le gant.

Ils vont prendre en charge la modernisation du réseau, décrite dans le Plan Star 21 qui trace les axes du chemin de fer pour le XXIe siècle : maintien en état du réseau et modernisation de celui-ci, accroissement de la capacité des lignes et de la vitesse, amélioration de la desserte des grandes agglomérations, poursuite de la modernisation du matériel roulant pour le rendre plus confortable et plus rapide, nouvelle dynamique commerciale et amélioration de l’accueil et de l’information dans les gares comme dans les trains, modernisation des ateliers du matériel et de l’infrastructure, développement des systèmes électroniques et des réseaux de télécommunications... Ces divers objectifs sont poursuivis sans relâche au travers des plans décennaux d’investissements successifs – 370 milliards de francs d’investissements pour le plan 1996-2005 ! – et moyennant des réorganisations ainsi que des améliorations techniques et commerciales des services offerts.

Dorénavant, l’usager cède la place au client, que le cheminot doit servir et satisfaire pour qu’il revienne le plus souvent possible.

Dans le même temps, les cheminots conduisent aussi le projet TGV qui vise à doter notre pays d’infrastructures et de matériel pour la grande vitesse, l’inscrivant ainsi au cœur du réseau européen à grande vitesse en train de naître. Très vite, les premiers services voient le jour. Novembre 1994 : Eurostar entre en service entre Bruxelles et Londres. Juin 1996 : Thalys assure les dessertes Bruxelles - Paris avec des prolongements vers Liège, Anvers et les Pays-Bas. 14 décembre 1997 : cette fois, les 300 km/h sont effectifs sur toute la branche ouest de la grande vitesse, de Lembeek à la frontière française. Paris est à 1 h 25 de Bruxelles et Londres à 2 h 40. Namur, Charleroi, Mons ainsi que Gand, Bruges et Ostende sont aussi directement reliés à Paris en Thalys. Le projet est certes encore loin d’être achevé mais des résultats marquants sont déjà là, sur les plans commercial et technique.

En outre, il y a, dans l’ensemble du projet, une volonté permanente de combiner au mieux les possibilités et améliorations du réseau intérieur avec les apports du TGV pour dynamiser au maximum l’ensemble des services.

Tant en service intérieur que pour les relations internationales, le chemin de fer prouve qu’il a de très sérieux atouts et de belles possibilités à faire valoir à l’aube du XXIe siècle.

Faire face aux défis de l’avenir

Notre ciel n’est cependant pas sans nuages.

Comme notre pays, dont il partage étroitement l’histoire, notre chemin de fer est très ouvert sur l’extérieur, sur l’Europe qui se développe et se transforme considérablement. Or, celle-ci est directement confrontée à la mondialisation de l’économie et au développement planétaire d’une concurrence extrêmement vive. Il lui faut donc stimuler à son tour la compétitivité en son sein, tout en s’efforçant de tenir compte des spécificités humaines et sociales propres au continent.

Dans cette optique, les responsables européens veulent croire en l’avenir des chemins de fer en Europe et leur conférer un rôle plus important. Ils se fondent sur leurs capacités et performances qui peuvent être développées de même que sur leurs atouts essentiels en matière de sécurité et de respect de l’environnement. Mais ils estiment que les chemins de fer doivent se restructurer et devenir plus compétitifs, tant face aux autres modes de transport qu’entre eux, afin de les revitaliser et de les amener à mieux répondre aux attentes de la clientèle.

Le défi est de taille. Et même si les chemins de fer réclament entre autres, à juste titre, une harmonisation des conditions de concurrence ainsi que la prise en compte des charges qui leur ont été imposées dans le passé, il doivent aussi s’adapter à nouveau à ces évolutions de la vie sociale, qui ne sont pas arrivées à leur terme...

 De nouveaux enjeux pour la SNCB

Les chemins de fer belges se sont déjà préparés activement à ces nouveaux défis : la loi a attribué davantage d’autonomie à la SNCB. Elle a aussi opéré la distinction entre les missions de service public (d’une part, le transport intérieur de voyageurs par trains du service ordinaire ; d’autre part, la construction, l’entretien et la gestion de l’infrastructure) et celles qui relèvent dorénavant du domaine purement commercial et concurrentiel : le transport international de voyageurs et l’ensemble du transport de marchandises. Relativement à ses missions de service public, la SNCB aura notamment à participer à l’amélioration de la desserte des grandes agglomérations et, spécialement, celle de Bruxelles. L’importante réorganisation des dessertes et des horaires qui sera appliquée à l’été 1998 répond entre autres, en partie, à ce besoin. En outre, elle plaide pour que des accords de financement interviennent rapidement entre tous les partenaires concernés (État, Régions, sociétés de transport) pour réaliser le projet de réseau express régional, qui est un élément essentiel dans la solution des problèmes de mobilité et de pollution.

Par ailleurs, la SNCB ne ménage pas ses efforts pour répondre aux attentes des clients des zones faiblement peuplées : citons entre autres la mise en service prochaine d’autorails modernes, confortables et performants ainsi que l’intensification des correspondances avec les autres sociétés de transport. Dans le secteur des marchandises, outre la recherche de nouveaux trafics, la SNCB devra continuer à perfectionner l’acheminement du trafic diffus par wagons isolés ainsi que le transport combiné. D’autres secteurs porteurs d’avenir devront être développés, telles les gares multifonctionnelles offrant des services de transport complets à leurs clients, incluant par exemple la gestion de stocks, voire d’autres services d’une chaîne complète de transports. Le domaine encore tout neuf des « corridors » européens pour le fret retiendra, lui aussi, une attention toute particulière car les grandes capacités de transport des chemins de fer pourraient très bien y exprimer toutes leurs possibilités à l’avenir. Tous ces efforts se conjuguent avec une restructuration de l’entreprise visant à assainir et à équilibrer fondamentalement sa situation financière à l’horizon 2005, mais aussi à accroître son dynamisme et son efficacité tout en maintenant son unité fondamentale, à la différence de ce qui se fait parfois dans d’autre pays.

L’objectif général de tous ces changements et modernisations en cours ou à venir consiste à offrir un meilleur service et, partant, à attirer davantage de clients. Ainsi, notre entreprise pourra mieux faire face à la concurrence et devenir le mode de transport de référence du XXIe siècle.


Source : Le Rai, mars 1998