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Le problème posé par les différents systèmes de traction électrique

J. Neruez.

mercredi 29 février 2012, par rixke

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En marge de l’électrification Bruxelles-Paris

Lorsqu’elle apparut, la traction électrique n’était qu’un moyen de surmonter localement certaines difficultés techniques : difficultés de traction à la montée de rampes importantes, difficultés de ventilation à la traversée de tunnels, etc.

Peu à peu, il s’avéra qu’elle était aussi un moyen de faire des économies d’exploitation même sur des lignes à profil facile, à condition que le trafic soit suffisant pour assurer la rentabilité financière des installations. Ce fut, vers 1900, le point de départ du développement de la traction électrique à l’échelle des réseaux.

 Les divers systèmes et leur origine.

L’électricité s’est prodigieusement développée dans ses applications et la production de l’énergie électrique est concentrée dans les centrales électriques, de plus en plus puissantes, qui jalonnent les divers pays. Cette énergie électrique en sort sous la forme de courant alternatif à la fréquence de 50 périodes par seconde (alternatif signifie que ce courant varie et change de sens, par opposition à confina qui signifie constant ; fréquence 50 signifie que le cycle de variations se reproduit semblablement 50 fois par seconde).

Dans la majorité des applications de l’électricité, ce courant convient et est utilisé comme tel, après appropriation éventuelle de la tension d’utilisation par le moyen très simple de transformateurs. Dans certaines applications toutefois, il ne convient pas : il faut convertir le courant. C’est le cas pour la traction électrique.

En fait, la traction électrique pose deux problèmes : celui du transport de l’énergie électrique jusqu’au pantographe et celui de l’utilisation de cette énergie sur le véhicule.

Ceux qui, à l’origine, se sont surtout attachés au problème de l’utilisation, au problème de la meilleure locomotive, ont choisi le moteur à courant continu. C’était - et c’est encore - le meilleur moteur de traction. Ils se sont ensuite heurtés au problème du transport du courant continu ; la transformation de la tension du courant continu ne pouvant se faire de façon simple, il fallait alimenter la ligne de contact à la tension de la locomotive, donc à une tension relativement basse : 1.500 V. ou 3.000 V.

Ceux qui, au contraire, se sont surtout préoccupés du transport de l’énergie ont adopté le courant alternatif ; la transformation de la tension se faisant alors très facilement, ils ont pu alimenter la ligne de contact à une tension élevée : 15.000 V ou 25.000 V et abaisser la tension à son entrée dans la locomotive par le moyen très simple du transformateur. Ils se sont ensuite heurtés au problème de faire un bon moteur de traction : cela n’a pas été - et n’est toujours pas - facile.

Les Suisses furent les premiers en Europe à développer la traction électrique à l’échelle de leur territoire vers 1900-1910 ; à l’époque, le transport d’un courant continu à une tension raisonnable était chose impossible, alors que le courant alternatif pouvait très facilement se transporter à une tension élevée. Ils choisirent donc le courant alternatif, mais ne parvinrent à faire fonctionner le moteur de traction qu’en utilisant une fréquence plus basse que la fréquence industrielle de 50 : 16 2/3 périodes par seconde, le tiers de 50.

C’est ainsi que naquit le 1er système : courant alternatif - tension 15.000 V - fréquence 16 2/3 - appliqué en Suisse, en Autriche, dans les pays Scandinaves et par l’un de nos voisins, l’Allemagne.

Vers 1920, la France entreprit l’électrification de son réseau dans la partie située au sud de Paris ; l’état de la technique et les conditions économiques du moment lui firent choisir un nouveau système, le deuxième : courant continu à la tension de 1500 V. La partie de la France au sud de Paris est électrifiée suivant ce système ; il en est de même de la Hollande.

Cette tension de 1.500 V se révélant assez basse pour le transport, les progrès furent axés vers l’élévation de cette tension, et c’est ainsi que naquit le 3e système : courant continu à la tension de 3.000 V. C’est le système que nous avons adopté pour l’électrification de notre réseau, qui débuta en 1935 avec la ligne Bruxelles-Anvers ; c’est aussi le système adopté par l’Italie, la Russie, la Pologne, la Yougoslavie.

Depuis les débuts de la traction électrique, on a essayé de se servir du courant tel qu’il est fourni, c’est-à-dire sous forme alternative à la fréquence de 50, mais sans succès. Vers 1950, il apparut cependant que les difficultés techniques qui avaient empêché jusque-là de faire de bonnes locomotives alimentées en courant alternatif à la fréquence 50 pouvaient être surmontées. L’expérience devait toutefois montrer qu’il était souhaitable d’équiper ces locomotives de moteurs à courant continu et d’installer à bord des locomotives des appareils de conversion du courant alternatif en courant continu ; c’est le 4e système : courant alternatif - tension 25.000 V - fréquence 50. C’est suivant ce système que le réseau français est en cours d’électrification dans sa partie au nord de Paris, donc dans la parue voisine de notre pays ; ce système a été retenu au Portugal, en Turquie, en Grande-Bretagne et partiellement en Russie.

 La rencontre des systèmes : les points de transition.

Au moment où un réseau décide d’un programme d’électrification, il choisit le système qui, à ce moment, lui semble convenir le mieux techniquement et économiquement. Il n’aboutit pas nécessairement aux mêmes conclusions que le voisin, d’où la diversité des systèmes.

L’inconvénient de cette diversité, c’est que les systèmes ne peuvent pas se « mélanger ». Au point où deux systèmes différents se rencontrent, il faut créer des gares de transition compliquées, des gares « bicourant », où les deux systèmes coexistent, ce qui rend l’exploitation de la gare très lourde et très dangereuse. Il ne peut du reste être question de reconvertir dans un autre système une partie du réseau déjà électrifié, sans engager des dépenses presque aussi élevées que celles nécessitées lors de la première électrification.

C’est dire qu’un réseau qui a commencé son électrification suivant un système est amené à continuer suivant ce même système.

Ce n’est que dans des cas particuliers, pour des réseaux présentant une configuration et un mode d’exploitation bien approprié au problème, que l’on peut faire coexister deux systèmes dans un même pays sans trop entraver l’exploitation. Telles sont, par exemple : la Russie avec ses grandes distances, la France dont la partie au nord et la partie au sud de Paris, électrifiées suivant deux systèmes différents, n’ont pratiquement pas de liaison entre elles.

 Les relations internationales.

Sauf conditions particulières, chaque pays a donc essayé de s’en tenir à un seul système de traction électrique. Mais, comme chaque pays a développé son système sans se soucier de son voisin, le problème se pose à la frontière lorsqu’une ligne internationale est électrifiée. Le hasard a voulu que nos voisins et nous totalisions les quatre systèmes existants.

Les problèmes que nous affrontons ne sont pas nouveaux. Ils se sont déjà posés pour des réseaux qui ont étendu plus tôt leur électrification. La solution a été de tous temps le changement de locomotives dans une gare « bicourant », où généralement il existe une ou plusieurs voies « commutables », c’est-à-dire une voie dont la ligne de contact peut être alimentée par l’un ou l’autre des systèmes, ce qui facilite l’échange des locomotives et réduit le temps de stationnement.

Comme les systèmes ne peuvent absolument pas se mélanger, on conçoit aisément les complications et les difficultés d’exploitation de ces gares « bicourant ». La règle en la matière est de n’établir la gare « bicourant » qu’en cas d’absolue nécessité et de l’établir si possible dans une petite gare à trafic réduit.

Jusqu’ici, divers éléments techniques nous ont favorisés en ce sens qu’ils militèrent en faveur de l’établissement de la gare « bicourant » sur le territoire de nos voisins. Lors de l’électrification Bruxelles - Luxembourg en courant continu 3.000 V et Luxembourg - Bâle en courant alternatif 25.000 V fréquence 50, c’est en effet à Luxembourg que fut établie la gare « bicourant ». Lors de l’électrification Bruxelles - Amsterdam en courant continu 3.000 V sur la partie belge et en courant continu 1.500 V sur le parcours néerlandais, c’est à proximité de la gare frontière néerlandaise de Roosendaal que fut éiablie la zone de séparation des deux systèmes.

 L’électrification Bruxelles - Paris.

La décision d’électrifier conjointement avec la S.N.C.F la ligne Bruxelles - Paris allait nous créer un nouveau point de transition, puisque la France, dans la partie qui nous voisine, électrifie en 25.000 V alternatif fréquence 50.

Cette gare de transition « bicourant », on a souligné plus haut la nécessité de l’installer si possible dans une petite gare sans grand trafic.

Il s’indiquait dès lors de choisir l’un des points frontières : c’est ainsi que fut désignée la gare frontière belge de Quévy, qui est déjà la gare internationale du point de vue douanier ; à titre de réciprocité la gare frontière française de Jeumont sera la gare « bicourant » de la ligne Paris - Liège - Cologne, qui sera électrifiée immédiatement après celle de Bruxelles - Paris.

Voici venu te temps...

Voici venu le temps d’embrasser les nationalités les plus diverses pour que s’engage enfin un dialogue d’hommes à hommes, dans le sens d’un renouvellement, auquel je crois.

Voici venu le temps de rassembler dans une même communauté des groupements humains qui garderont leur originalité propre et qui, selon le mot de Paul Valéry, « s’enrichiront de leurs mutuelles différences ». Là est l’avenir. Ce vers quoi doit tendre l’unité humaine en se cultivant réciproquement.

Au sortir des guerres dans lesquelles on a va agoniser le vieux monde et où on a touché du doigt la précarité de la condition humaine, la vie ne mérite d’être vécue que dans la mesure on des hommes différents s’uniront pour construire un monde nouveau où l’homme sera UN.

Là est le salut : dans un humanisme renouvelé par la connaissance des cultures diverses et la prise de conscience du monde nouveau des travailleurs. L’idéal ne peut être autre que celui de l’unité.

Humanisme et unité, tels sont les facteurs de renouvellement en Occident comme ailleurs. Cela est moins chimérique et plus lourd de devoirs concrets qu’il ne paraît aux sceptiques. Cela tend à mettre l’Occident en directes relations de travail, de loisirs et de culture avec les pays et les peuples d’Afrique et d’Asie, en particulier, qui ont droit, eux aussi, à l’humanisme et à l’unité. Cela obligera à former an nouveau milieu humain, à retrouver la vie dans d’autres vies et à rechercher ensemble ce supplément d’âme dont tout un chacun a besoin...

Léon-G. DAMAS.

L’échange des locomotives électriques se fera donc dans la gare de Quévy, pourvue à cet effet d’un certain nombre de voies « commutables » pouvant être alimentées suivant les deux systèmes.

 Les locomotives tricourant.

Si pour les trains de marchandises et pour certains trains de voyageurs, qui s’arrêtent de toute façon à Quévy, le changement de locomotive n’est pas une sujétion, il n’en va pas de même pour les trains internationaux rapides ; au moment où l’on s’efforce d’accélérer les trains de plus en plus et d’effacer les frontières, il n’était pas souhaitable de créer à Quévy une « frontière électrique » et d’y perdre une partie du gain de temps apporté par la traction électrique.

C’est dans cet esprit qu’il fut envisagé de confier la remorque des trains de voyageurs rapides à des locomotives électriques spéciales, aptes à remorquer les trains de bout en bout à pleine puissance. L’électrification Bruxelles - Amsterdam étant d’autre part une réalité depuis quelques années, il apparaissait logique de considérer l’axe Amsterdam - Bruxelles - Paris comme un tout et d’examiner la possibilité de construire une locomotive capable d’évoluer à pleine puissance sur les trois réseaux (1.500 V continu des Pays-Bas, 3.000 V continu de la Belgique, 25.000 V alternatif fréquence 50 de la France), de construire donc ce qu’il est convenu d’appeler une locomotive « tricourant ». La difficulté du problème se précise si l’on songe que cette locomotive, outre son caractère tricourant, doit être aussi une locomotive à grande vitesse donc à puissance élevée, et que le tout doit être assemblé dans un engin qui ne soit pas « un monstre », mais qui conserve le caractère élégant d’une locomotive électrique du type ordinaire à quatre essieux.

Les progrès récents de la technique apportent maintenant des solutions à ce problème. Cette opinion est partagée par les réseaux voisins qui ont senti aussi que le moment était venu de construire élégamment l’engin moteur de traction électrique « polycourant », capable d’évoluer sous différents systèmes.

C’est dans ces conditions que notre société a décidé de faire construire par l’industrie nationale cinq locomotives « tricourant » qui lui permettront d’assurer sa part du trafic des trains internationaux rapides sur l’artère Amsterdam - Bruxelles - Paris.

Nous aurons l’occasion de revenir en détail ultérieurement sur ces locomotives dont l’étude est en cours, mais dont les principes de base sont désormais arrêtés : locomotive à deux boggies totalisant quatre essieux, poids maximum : 84 tonnes (ce poids est impératif, la circulation à grande vitesse ne tolérant pas plus de 21 tonnes par essieu), puissance 3.600 chevaux, répartie sur quatre moteurs de traction, vitesse maximum 150 km.-h.

Cette locomotive utilisera pour la première fois les possibilités nouvelles offertes par l’électronique. En tenant compte des améliorations de tracé de la voie et du relèvement de la vitesse autorisée, elle assurera, à la tête d’un train de dix voitures, la liaison Bruxelles - Paris, sans arrêt, en 2 heures 30.


Source : Le Rail, février 1961