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Ca chauffe

Paul Pastiels.

mercredi 16 octobre 2013, par rixke

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Au début de l’ère ferroviaire, le chauffage des trains de voyageurs a été considéré comme un luxe, exclusivement réservé aux voyageurs de 1re classe.

De nos jours, le chauffage fait partie du confort auquel tout voyageur peut légitimement prétendre. Le chauffage pour tous qui a coïncidé avec l’introduction à la fin du siècle dernier des troisièmes classes dans les express internationaux a compliqué singulièrement la question : augmentation subite du nombre de compartiments à chauffer.

Confrontés à de multiples difficultés techniques, les ingénieurs durent plus d’une fois se presser les méninges.

Voici à quoi aboutirent ces cogitations. A la « belle époque » le chauffage des trains de voyageurs commence réglementairement le 15 octobre et finit le 1er mai, mais il n’est total que du 3 novembre au 31 mars. Pendant les périodes transitoires (du 15 octobre au 3 novembre, du 1er avril au 1er mai), le chauffage est limité aux trains de nuit, c’est-à-dire aux trains internationaux dont le départ a lieu entre 20h et 4h du matin, aux trains locaux partant entre 23 h 15 et Oh30. Le chauffage de ces trains se fait exclusivement à l’aide de chaufferettes à eau.

D’une manière générale, on utilise à cette époque les chaufferettes, les calorifères, les thermosiphons, les briquettes de charbon de bois comprimé : selon les véhicules utilisés. Ainsi, tous les compartiments des voitures non munies de calorifères ou d’un système de chauffage spécial, les compartiments à bagages des voitures à vapeur Belpaire type I, les compartiments des fourgons dits « légers » (lorsque le garde en manifeste le désir), les guérites à frein sont chauffés à l’aide de chaufferettes. Les calorifères sont utilisés dans les fourgons des trains de voyageurs, dans les compartiments à bagages des locomotives-fourgons, des voitures à vapeur Belpaire type II et des voitures-fourgons des trains légers, dans les voitures entrant dans la composition des trains légers et des trains-tramways [1].

Les thermosiphons et les briquettes sont d’un usage plutôt limité. Examinons maintenant de plus près ces différents modes de chauffage.

 Les chaufferettes

L’usage des bouillottes à eau chaude remonte, sur notre réseau ferré, à 1847 environ. Il entre en vigueur dès que le thermomètre se situe à 5°C au-dessus du zéro. Les chaufferettes se composent d’un cylindre aplati en tôle galvanisée, fermé à ses deux extrémités par des culasses en laiton ou en bronze, soudées à la tôle. L’une des culasses porte une ouverture fermée par un bouchon à vis, par laquelle on introduit l’eau chaude à la température de 80 à 90° C. Les stations principales du réseau sont pourvues d’appareils à eau chaude pour l’alimentation des chaufferettes.

Dans d’autres stations, moins importantes, on utilise l’eau des chaudières des petites machines fixes ou des locomotives de réserve.

Chaque chaufferette porte une marque distincte selon la station à laquelle elle appartient, ainsi qu’un numéro d’ordre. Dans chaque station de départ ou d’échange, un ouvrier est spécialement chargé de l’entretien des appareils de chauffage, du retrait et du placement des chaufferettes dans les voitures. Il maintient les chaudières toujours pleines et les pousse à un degré suffisant d’ébullition au moment où il faut remplir les chaufferettes. Cette opération commence, aux stations de départ, dix minutes seulement avant le départ en question, et à l’instant où le convoi est signalé dans les stations intermédiaires. Cet ouvrier veille à ce que les chaufferettes soient bien remplies, que les bouchons soient hermétiquement fermés et qu’il n’y ait aucune fuite. Le préposé d’une gare-terminus a soin de retirer les chaufferettes des voitures et de les vider complètement.

En 1854, seules les voitures de 1re classe étaient munies de chaufferettes en hiver : chaque caisse (compartiment d’alors !) en possédait deux. Dès 1879, les chaufferettes furent placées dans toutes les voitures des trains express, dans toutes les voitures de 1re classe des autres trains, un compartiment de 2e classe et un compartiment de 3e classe pour les dames étant chauffés dans chaque train. De plus, les tapis d’été « genre Smyrne » sont remplacés, dans les voitures de 1re classe, par des housses en peau de mouton ou par des tapis fortement lainés. Les voitures de 2e et de 3e classes sont garnies de foin et, ensuite vers 1879, de nattes. Le chef de gare veille à ce que les peaux de mouton soient retirées des voitures et battues au moins tous les deux jours. « Le maniement des chaufferettes doit se faire avec soin, sans brutalité, tant lors du retrait des fourgons et des voitures que lors du placement dans ces véhicules. Il est sévèrement interdit de jeter ces appareils à terre lors du retrait, comme aussi de les lancer violemment dans les voitures, lors du placement... », dit le règlement [2].

Le chauffage produit par ces bouillottes est très irrégulier et présente beaucoup d’inconvénients : trop fort au début, il devient insuffisant après 2 ou 2h30. Leur fréquent remplacement est onéreux pour la compagnie exploitante et demande un personnel important ; de plus, il est fort gênant pour les voyageurs. Les tricycles chargés de chaufferettes chaudes ou froides encombrent les quais. Les opérations de vidange et de remplissage deviennent gênantes lorsqu’il y a beaucoup de bouillottes.

On a perfectionné ce système de chauffage : citons les chaufferettes Ancelin, à l’acétate de soude, qui ont un refroidissement plus lent (8 h) et le système Radelet dont la capacité calorifique se situe entre cinq et six heures.

 Les calorifères

Ce sont des poêles composés d’un seau à glissière réglable et d’une enveloppe fixe, placés dans la cloison séparant deux compartiments. De solides boulons les fixent au plancher. On les alimente de diverses façons : des gailletins pour les fourgons, du coke en morceaux de trois à cinq centimètres de diamètre (30/50) ou des braisettes anthraciteuses de 20/30 pour les voitures. Les seaux des calorifères, parfaitement préparés et remplis de combustible, doivent être allumés par le dessous. On les place dans les voitures froides respectivement trente ou quarante minutes avant le premier départ du train, selon que la température extérieure se trouve au-dessus ou en dessous du fatidique zéro degré centigrade. Leur entretien est délicat - gare à la fumée ! - et requiert tous les soins attentifs du personnel du train. Le calorifère ne peut être chargé que lorsque le feu est bien clair, toute surchauffe du compartiment doit être évitée. Combien de fois ces engins diaboliques ont-ils provoqué l’exaspération des voyageurs, des chefs gardes, des boutefeux et des nettoyeurs surchargés de travail !

 Les thermosiphons

Les usagers des voitures cellulaires ont un régime privilégié : ils bénéficient - les veinards ! - du thermosiphon, minichauffage central inventé par le physicien Bonnemain, qui a connu une grande vogue en Amérique.

Ce système à circulation d’eau chaude, mélangée à un corps destiné à prévenir sa congélation éventuelle, comprend un poêle en fonte, un vase d’expansion et une tuyauterie de chauffage. Les foyers des thermosiphons sont alimentés au coke ou à l’anthracite. Les gardiens des détenus entretiennent les feux au cours du voyage et disposent à cet effet d’un bac à combustible placé sous la banquette de leur compartiment.

 Les briquettes

L’usage de briquettes de charbon de bois comprimé, placées sous les banquettes dans des tiroirs, est réservé au chauffage de certaines voitures étrangères circulant sur notre réseau. Les briquettes doivent être parfaitement sèches pour fournir une période de chauffe régulière et complète. « A cet effet, il est recommandé de tenir les briquettes dans un endroit sec, chaud si possible, et bien aéré. Les caisses qui les contiennent ne doivent jamais être déposées directement sur le sol ; il faut les placer sur des cales qui les isolent et facilitent la circulation de l’air. Avant de remplir les tiroirs de briquettes, il convient de les avoir vidés des cendres ou des escarbilles provenant des combustions précédentes. Il faut aussi vérifier si les trous d’air des tiroirs ne sont pas bouchés... » (1).

 Les chauffages continus

Le chauffage continu à eau chaude (système Belleroche) ou à vapeur se substituera progressivement, dans les voitures et fourgons des trains de voyageurs, dès le début du siècle, aux antiques appareils amovibles dont il vient d’être question. Pourtant, en 1902, on dénombre encore quelque 1283 calorifères et 41132 chaufferettes (leur nombre restera pratiquement constant jusqu’en 1914 ; on en retrouvera à peine 2000 à l’Armistice ). Notons aussi une tentative d’utilisation du chauffage au gaz dans les voitures de l’Etat belge : les chaufferettes sont fixes et encastrées dans le plancher.

Les premières tentatives d’utilisation de la vapeur ont été effectuées en Allemagne, il y a bien longtemps, sans résultats satisfaisants. Ceux qui sont dus à l’ingénieur Belleroche, de la Compagnie du Grand Central Belge, sont plus encourageants : ils consistent en un injecteur permettant de lancer, d’un bout à l’autre du train, un courant d’eau chaude, dont la température peut être réglée par un ensemble de dispositifs ingénieux, et qui peut revenir à son point de départ (c.-à-d. : le tender) par une conduite en retour.

Dans chaque compartiment sont placés à demeure deux chauffe-pieds en fonte, reliés par les deux conduites parallèles dont l’une sert pour l’aller, l’autre pour le retour.

C’est le principe du chauffage continu à eau chaude finalement adopté dans nos voitures. Quant à l’emploi de la vapeur, l’appareillage est semblable : la vapeur de la conduite générale, fournie par la locomotive, est distribuée dans les radiateurs des compartiments, elle est ensuite évacuée sous forme condensée.

L’appareillage des voitures dépend du système utilisé et de ses derniers perfectionnements (système Haag, Lancrenon, Westinghouse, Etat Belge 1902 ou 1908,...) : il comprend une conduite générale inclinée vers les deux extrémités de la voiture, des sécheurs de vapeur, des appareils de chauffe (cylindres fermés, serpentins placés sous les banquettes, chauffe-pieds,...), un réservoir de condensation. Le délai de chauffe est d’au moins 40 minutes avant le départ et varie selon la composition du train et la température extérieure.

Les moyens de chauffage des voitures à voyageurs ne manquent donc pas ! Ils évoluent de nos jours vers le chauffage par air, vers le chauffage électrique. Il subsiste néanmoins encore deux gros problèmes que nous n’avons pas abordés : l’un est la bonne isolation thermique des voitures, l’autre est la bonne répartition de la chaleur émise au sein des voitures. Mais ça c’est une autre histoire...


Source : Le Rail, avril 1979


[1O.S. n°234 du 07.11.1896.

[2O.S. n°234 du 07.11.1896.