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Comment l’A.C. Salzinnes se transforma pour réparer des locomotives diesel

R. Renaud.

mardi 17 août 2021, par rixke

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La conversion de l’A.C. Salzinnes en un atelier de réparation de locomotives diesel a été du beau travail, compte tenu des multiples questions qu’il a été nécessaire de résoudre pour y parvenir.

 Quel était le problème ?

Il fallait :

  • Connaître les nouvelles locomotives de façon approfondie ;
  • Assurer la réparation de toutes les locomotives à vapeur du réseau tout en affectant une partie des installations à la réparation des locomotives diesel ;
  • Aménager complètement ces dernières installations pour leur nouvelle destination ;
  • Acquérir les nombreux appareillages indispensables pour le démontage, le contrôle, la réparation et le remontage des multiples organes des locomotives ;
  • Mettre au point les procédés de réparation et fabriquer les outillages nécessaires à l’exécution des travaux ;
  • Assurer l’approvisionnement en pièces de rechange ;
  • Initier les agents à des travaux très différents de leurs activités antérieures.

 Le programme des activités nouvelles

L’A.C. Salzinnes fut d’abord chargé de réparer les locomotives suivantes :

  • Locomotives type 201, équipées d’un moteur Cockerill licence Baldwin. 8 cylindres. 4 temps, développant 1.750 ch. et d’une transmission électrique A.C.E.C. licence Westinghouse ;
  • Locomotives type 202, équipées d’un moteur « General Motors », 16 cylindres, 2 temps, développant 1.750 ch, et d’une transmission électrique « General Motors ».

Actuellement, l’A.C. doit assurer aussi la réparation de quelques types de locomotives de manœuvre :

  • Locomotives type 270, équipées d’un moteur Anglo-Belgian 8 cylindres, 4 temps, développant 700 ch. et d’une transmission électrique A.C.E.C. licence Westinghouse ;
  • Locomotives type 250. équipées d’un moteur Anglo-Belgian 6 cylindres, 4 temps, développant 550 ch, et d’une transmission hydraulique Voith-Mylius ;
  • Locomotives type 253, équipées d’un moteur Cockerill, licence Hamilton, 6 cylindres, 4 temps, développant 550 ch. et d’une transmission hydraulique Voith-Cockerill.
Armoire de la commande électrique d’une locomotive diesel.

 La connaissance du matériel

Le principe de fonctionnement des locomotives de ligne est le suivant : le moteur diesel entraîne une génératrice principale ; celle-ci transforme l’énergie mécanique en courant électrique et l’envoie aux moteurs de traction entraînant les roues. La locomotive peut donc être assimilée à une petite centrale électrique produisant et consommant son courant.

D’autre part, les locomotives diesel sont dotées de caractéristiques très intéressantes ; exemples :

  • Fonctionnement automatique : le mécanicien peut assurer la conduite par simple manœuvre de l’accélérateur ;
  • Le moteur diesel est protégé contre toute surcharge, et la transmission électrique s’adapte immédiatement, quels que soient le profil de la voie et les conditions d’exploitation ;
  • Plusieurs locomotives peuvent être accouplées et commandées automatiquement par un seul agent ;
  • La protection très poussée exclut pratiquement toute possibilité de fausse manœuvre.

Il est évident que ces avantages remarquables n’ont été obtenus qu’au prix d’une grande complexité, à l’aide de multiples appareillages. L’étude du nouveau matériel s’est donc révélée fort ardue. Il a été nécessaire :

  • D’étudier le fonctionnement de la machine et des divers appareillages à l’aide de la documentation fournie par les constructeurs ;
  • De compléter ou de préciser ces notions, nécessairement fragmentaires, lors du montage chez les constructeurs, où des visites ont été organisées régulièrement pour le personnel technique de base.

 Le chantier diesel

Le hangar de réparation des chaudières de locomotives a été choisi pour y installer les chantiers diesel. En effet :

  • Il pouvait être aménagé pour accepter les locomotives atteignant 19 m. de longueur ;
  • Il était possible de l’équiper des ponts roulants nécessaires pour transporter les pièces lourdes (moteurs diesel, génératrices principales, bogies, caisses complètement équipées pesant 72 tonnes).

On a donc concentré la réparation des chaudières dans une moitié du hangar afin d’aménager l’autre moitié pour la réparation des locomotives diesel.

La manutention d’un moteur à l’aide d’un pont de 50 T.

Il est évident que. pendant ces transformations, la réparation des chaudières devait continuer à la cadence normale. D’autre part, l’implantation des chaînes de réparation des chaudières a été fortement remaniée pour pallier les inconvénients résultant de la réduction de l’espace disponible.

 L’aménagement des installations diesel

D’importants aménagements ont été étudiés et réalisés pour approprier l’atelier à sa nouvelle fonction.

Première phase :

  1. Création de deux voies longitudinales, avec fosses de visite, pour permettre l’accès des machines dans le hangar ;
  2. Ouverture de deux baies dans la face nord du bâtiment, pour permettre l’entrée des machines ;
  3. Installation et montage d’un appareil de levage permettant de séparer la caisse de ses bogies ;
  4. Construction d’une cloison insonore entre le hangar « chaudronnerie » et le hangar « diesel » ;
  5. Fabrication de bogies postiches pour la manutention des caisses à l’intérieur de l’atelier ;
  6. Amélioration des locaux (peinture, pavage, installation du chauffage par thermobloc.) de façon qu’ils soient bien adaptés à des travaux demandant ordre, méthode et propreté parfaite.
Utilisation des deux ponts de 50 T. pour lever une caisse.

Deuxième phase :

  1. Un pont roulant de 50 T. est venu s’ajouter au pont identique qui existait déjà ; ces deux ponts, qui peuvent être jumelés, permettent d’améliorer la manutention des caisses et l’organisation de la réparation : il est possible de passer une caisse au-dessus des autres ;
  2. Fabrication de supports « chandelles » pour la pose des caisses ;
  3. Montage et équipement d’un banc d’essai des moteurs diesel installés sur la locomotive ; ce banc permet le réglage et le contrôle des moteurs, ainsi que l’essai en charge des moteurs jusqu’à 1.750 ch.

 L’équipement des stands de réparation

Tous les stands ont été aménagés pour permettre la réparation du matériel dans les meilleures conditions possibles.
En voici quelques exemples :

1° Stand de répartition des moteurs diesel

On a étudié et fabriqué des supports pour déposer les moteurs et des passerelles de travail pour faciliter les opérations et atteindre aisément les organes, quel que soit leur emplacement dans le moteur.

Passerelle de travail autour d’un moteur. A remarquer, à l’étage supérieur, les bacs pour déposer les pièces

Les passerelles sont pourvues d’une plate-forme permettant de déposer et de classer facilement les pièces démontées, avec le minimum d’effort.

2° Stand de réparation des culasses

Un support a été étudié pour la fixation des culasses, en permettant de donner à ces organes une position quelconque. Le contrôle et la remise en état sont ainsi possibles avec le maximum d’efficacité et le minimum d’effort.

Support pour la réparation des culasses, avec machine à rectifier les sièges de soupape

3° Stand de réparation des moteurs de traction

On a établi :

  • Un support de pose des moteurs pour permettre un travail aisé au stator ;
  • Un support de pose à galet pour le travail aux induits des moteurs de traction ; ce support est équipé aussi pour le tournage des induits en toute sécurité.
Stand de réparation des moteurs de traction. A l’avant-plan : supports de pose à galet pour le travail aux induits (rotors) ; le rotor, introduit à la verticale, est rabattu sur le support à galet. Au milieu : quatre stators. Dans le fond : des moteurs complets posés sur leurs supports.

 L’organisation de la réparation

Cette organisation présentait de grosses difficultés, car les locomotives de ligne étaient les premiers exemplaires acquis par la S.N.C.B. Nous ne disposions donc d’aucune expérience, et tout était à apprendre dans ce nouveau domaine.

Base des études

Les éléments de base qui devaient servir à l’organisation ont été puisés à plusieurs sources :

  • Les constructeurs des locomotives, qui ont pu, dans une certaine mesure, nous documenter sur les outillages nécessaires à la réparation du matériel ;
  • Les réseaux américains : ceux-ci ayant une expérience assez longue des locomotives diesel, la S.N.C.B. a envoyé quelques fonctionnaires aux U.S.A, pour suivre les cycles d’instruction « General Motors » et visiter les ateliers de réparation du matériel ;
  • Les chemins de fer français : comme ceux-ci possèdent des machines de manœuvre équipées d’un moteur à peu près identique à celui de nos locomotives type 201, un stage de 15 jours a été organisé aux ateliers d’Epernay à l’intention des premiers agents désignés pour réparer ce matériel ;
  • Les constructeurs d’éléments spéciaux (turbo-soufflante de suralimentation, régulateur Woordward. injecteur et pompe d’injection, radiateurs) : des agents sont allés étudier ces domaines particuliers sur place.

Outillage de réparation

II est évident qu’il fallait adapter les enseignements reçus à notre matériel et à la disposition des locaux.

Tous les organes des locomotives ont donc été examinés afin de déterminer quels devaient être :

  • Les appareillages et les outillages spéciaux à commander chez les constructeurs ou dans les firmes privées ;
  • Les appareillages et les outillages à étudier par le bureau d’étude et à réaliser par l’A.C. ;
  • Les machines spéciales indispensables dès le début de la réparation : machines pour l’essai des injecteurs et des pompes d’injection, machines pour la rectification des soupapes et des sièges de soupape, banc d’essai des régulateurs de moteur...) ;
  • Les outillages spéciaux de contrôle des pièces mécaniques ;
  • Les instruments de mesure électrique et les bancs d’essai des appareillages.

Procédés de réparation

Pour fixer les procédés de réparation, il a été nécessaire :

  • D’étudier les méthodes de démontage et de fabriquer les appareillages nécessaires à cette opération ;
  • De déterminer les procédés de nettoyage ;
  • D’adopter les méthodes de détection des avaries par fissure ou déformation aux diverses pièces ;
  • De mettre au point le contrôle des pièces et les limites de rebut des organes ;
  • De déterminer éventuellement les procédés de réparation de pièces à limite d’usure ou présentant des avaries ;
  • De codifier les procédés et de les faire entrer dans l’organisation générale.

Approvisionnement en pièces de rechange

Pour déterminer quelles devaient être les pièces de rechange à approvisionner, il a fallu un travail considérable et extrêmement ardu :

  • Etablir la nomenclature complète de toutes les pièces entrant dans la locomotive, chacune de ces pièces étant décomposée en tous ses éléments ; ce travail a été fait, en majeure partie, d’après la documentation fournie par les constructeurs ;
  • Examiner en détail chacun des appareillages, se rendre compte de son fonctionnement, déterminer les pièces soumises à usure ou bris, supputer la durée de fonctionnement et déterminer ainsi le nombre de pièces estimées nécessaires à l’entretien du matériel et à la remise en état en atelier ;
  • Opérer un triage parmi ce dernier ensemble de pièces :
    • Les pièces spéciales ne pouvant être fournies que par le constructeur (bielles, pistons, chemises de cylindre...) ;
    • Les pièces pouvant être trouvées sur le marché et pour lesquelles un appel à la concurrence pouvait être lancé : dans ce cas, il était nécessaire d’établir les plans des pièces, les spécifications précises des matières, les tolérances de fabrication, éventuellement les spécifications de réception ;
    • Les pièces pouvant être fabriquées par l’A.C. : en plus des sujétions reprises ci-avant, il était nécessaire d’étudier les gammes de fabrication ;
  • Equiper le magasin pour le stockage des pièces multiples ;
  • Etablir les fiches de stock et les modalités du réapprovisionnement.

 Initiation des agents

Il est évident que la conversion de l’A.C. entraînait la transformation des activités d’une partie des agents. Ces agents n’avaient aucune connaissance du matériel nouveau, et les travaux à effectuer étaient généralement très différents des travaux effectués aux locomotives à vapeur. De plus, la majorité des travaux nouveaux demandaient une grande habileté, une qualification professionnelle poussée, beaucoup de soin, de propreté et d’ordre.

Pour s’adapter et répondre aux services qu’on lui demandait, le personnel a suivi des cours décrivant le matériel et donnant l’explication du fonctionnement des organes, particulièrement pour le moteur diesel et ses accessoires.

Quant au personnel de maîtrise, en examinant attentivement le travail en atelier, il a supprimé les mauvaises méthodes et inculqué aux agents les soucis de propreté et de soin indispensables dans les travaux délicats.

 Conclusions

La conversion de l’A.C. peut être considérée comme un succès. Nous le devons :

  • A la qualité de nos locomotives diesel ;
  • A l’effort persévérant de l’ensemble du personnel à tous les échelons ;
  • A l’action constante du personnel de maîtrise et des chefs d’équipe ;
  • A la bonne volonté et à l’entier dévouement de tous les agents.

Source : Le Rail, décembre 1959

(Photos Geers)