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Impressions d’Inde

F. B.

mercredi 11 janvier 2012, par rixke

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Longtemps avant mon départ, j’avais, en vue de préparer mon voyage, consulté quantité de livres et de brochures touristiques. J’avais conclu de mes lectures que l’Inde est un pays très beau, riche d’espoir, mais compliqué.

Complication des transports. Les distances sont énormes : New Delhi-Calcutta représente 1.450 km., Calcutta-Bombay représente 1.670 km. Complication des religions : hindouisme, bouddhisme, jaïnisme, sikhisme, islam, christianisme, zoroastrisme, judaïsme, etc. Complication des langues, due aux divisions ethniques profondes : Aryens au nord, Dravidiens au sud. On y parle bengali et punjabi, la langue du Bangalore ou de l’Haïderabad, etc. Le Gouvernement essaie d’imposer une langue commune : le hindi, mais, avec les étrangers, les Indiens se servent de l’anglais.

De retour en Belgique, je retiens les souvenirs de beaux temples, de paysages grandioses, d’un peuple courageux, d’une industrie en plein développement, d’un climat qui me plaît mieux que le ciel gris et la pluie belges (34 degrés à l’ombre, à Bombay), de l’hospitalité extrême de ses habitants. La publicité d’Air-India montre un petit Indien enturbanné qui vous salue cordialement. En Inde, le visiteur est respecté. On est attentif à le satisfaire ; il attire des bénédictions sur ceux qui le reçoivent. L’Indien n’admet pas qu’on le remercie pour les services qu’il a rendus : c’était son « devoir » de vous faire plaisir. C’est cela l’Inde.

Mausolée de Safdar Jung.

Mais commençons par le début.

 Bruxelles - New Delhi

La distance est d’environ 8.000 km. Départ de Melsbroek à t 2 h. 20 pour Genève, en « Convair » de la Sabena. On arrive à 14 h. 25. Vol à 3.500 m., par Troyes et Dijon. La visibilité n’est pas bonne. Lunch dans l’avion. A l’approche de Genève, le lac reste invisible, mais le massif du mont Blanc se dégage, au-dessus des nuages, dans toute sa splendeur ensoleillée. Spectacle magnifique. Serrer la ceinture, éteindre la cigarette : on descend. Promenade, en attendant la correspondance.

A 19 h 55, départ avec un « Super-Constellation » de l’Air-India, qui nous conduira jusqu’à New Delhi. Appareil de 35 m. de long, équipé de quatre moteurs pouvant développer une puissance totale de 13.000 ch., offrant 40 places en classe touriste et 19 places en première classe.

On vole entre 6.500 et 7.000 m. C’est la nuit. On ne voit strictement rien de ce qui vit sur terre. Mais les feux de position qui clignotent aux bouts des ailes et les flammes qui jaillissent des tuyaux d’échappement des moteurs prouvent que ceci n’est pas un rêve.

Copieux dîner, arrosé de boissons agréables, et préparation pour le repos nocturne. Vers 2 h., l’avion traverse un violent orage, et les passagers sont secoués comme de la salade dans un panier. Le ciel s’éclaircit rapidement, et on reconnaît l’île de Chypre, complètement illuminée.

Atterrissage à Beyrouth, à 4 h. Débarquement obligatoire, malgré l’heure matinale ! Une tasse de café dans l’aérogare, rembarquement et décollage à 4 h. 45 pour Delhi. Petit déjeuner à 5 h. 30. Vers 6 h. 15, le commandant de bord avise les passagers qu’on monte à 17.000 pieds (5.500 m.) et qu’il est 9 h. 45 à New Delhi.

Je me réveillerai demain...

On assiste au lever du soleil. Spectacle grandiose, en « technicolor », sur grand écran panoramique ! Paysage sur terre : le désert, couleur ocre sale.

J’ai avancé ma montre, d’une heure pour me mettre d’accord avec le temps légal de Beyrouth. A 9 h. 35, l’hôtesse m’apporte un grand verre d’apéritif et, voyant mon ahurissement, elle m’annonce - avec le sourire - qu’il est midi à Delhi. Il n’y a donc pas à discuter t

Survol de Bahrein : « pipe-lines » de pétrole, mer de couleur turquoise, minuscules bateaux-citernes... Survol de Karachi vers 16 h.

Atterrissage à Delhi à 18 h. 25 (heure locale). Il fait complètement noir, éclairs des photographes. C’est nous les vedettes ! Quelques fonctionnaires des Indian Railways et un long Sikh, sévère et barbu, la tête recouverte d’un turban blanc, nous accueillent comme des « important persons ». Formalités de douane et de police simplifiées : on s’inquiète seulement de savoir combien d’appareils photographiques et de machines à écrire (?) j’amène dans mes bagages. Mais, avant de me laisser débarquer de l’avion, on m’a demandé de remplir un formulaire farci de questions indiscrètes (endroits où j’ai passé mes neuf dernières nuits !) et on m’a saupoudré de DDT. La confiance règne.

Hôtel, et repos.

Je me réveille le lendemain matin, à sept heures précises, la chambre étant brillamment éclairée et chauffée par un immense soleil resplendissant dans le ciel bleu.

 New Delhi

Jacques Bainville a écrit : « Pays que tu vas, usages que tu trouves. Mangez des nids d’hirondelles en Chine, et ne demandez pas de bœuf saignant à Palerme. » Je suis inquiet pour mon petit déjeuner. Après analyse, il me paraît anglais : jus de fruits, porridge, œufs au lard, thé et pain grillé, fruits.

Départ pour le bureau : table de travail, papiers, téléphone, ventilateurs à longues pales qui remuent l’air chaud. Mais je ne vais pas vous importuner avec la description des travaux préparatoires à une réunion de l’Association internationale du Congrès des Chemins de fer.

La conférence de New Delhi

Répondant à une invitation des Indian Railways, les membres de la Commission permanente de l’Association internationale du Congrès des Chemins de fer (A.I.C.C.F.) se sont réunis à New Delhi, en décembre 1959, pour y discuter des problèmes soulevés par la conception d’engins moteurs polycourants.

Les documents fournis en réponse au questionnaire adressé par l’A.I.C.C.F. aux administrations d’une cinquantaine de pays du monde entier ont permis de rédiger deux importants rapports. Outre des renseignements extrêmement intéressants relatifs aux techniques déjà appliquées pour les engins moteurs polycourants, il y figure des idées générales en ce qui concerne leur évolution future.

Parler d’engins moteurs polycourants, c’est d’abord évoquer les systèmes généralement appliqués en traction électrique (courant continu 1.500 et 3.000 V, courant alternatif 15.000 et 25.000 V) ; c’est aussi aborder les problèmes qui se posent à la jonction de deux systèmes.

Si les Indian Railways ont invité l’A.I.C.C.F. à tenir sa réunion en Inde, c’est qu’ils sont avides de nouer des contacts avec les techniciens étrangers ; c’est aussi parce qu’ils appliquent trois systèmes de traction électrique dans leur pays. Les sujets à discuter avaient donc pour eux une importance primordiale.

La mission accomplie en Inde par la délégation belge était double :

  • Apporter son expérience et son aide pour l’organisation des diverses séances ;
  • Présider les réunions et en assurer le secrétariat.



Des visites d’information technique ont d’autre part permis à la délégation d’examiner les solutions appliquées par les Indian Railways dans différents domaines.

Comme il nous l’avait promis, M. Baeyens, secrétaire technique de l’A.I.C.C.F., nous a envoyé le journal de son voyage. Nous le remercions vivement et nous espérons que ce fidèle collaborateur de notre revue pensera encore à nous, d’Utrecht cette fois, et nous parlera bientôt de l’Office de Recherches et d’Essais, dont il vient d’être nommé directeur.

Visitons Delhi. Deux villes : l’une ancienne, l’autre moderne. Capitale de l’Inde depuis 1192, ayant été soumise aux dynasties des Khilji, des Lodi, des Moghuls et... des Anglais. Chacun y a laissé sa marque. Cité ancienne : grande mosquée, Fort Rouge, des ruelles commerçantes, le grouillement de la foule. Cité moderne : avenues larges, bordées d’arbres verts et de haies derrière lesquelles se cachent des habitations confortables, Parlement, ministères en grés rosé, mausolée du mahatma Gandhi.

Splendide campagne environnante, riche de souvenirs historiques : mausolées de Humayun, de Safdar Jung et de Lodi, observatoire Jantar Mantar, les tours de Qutb Minar.

Et, quelles que soient les dimensions des artères parcourues : des piétons qui circulent sur la chaussée, des cyclistes nombreux et maladroits, des autos qui se fraient un chemin à coups de klaxon, et des vaches nonchalantes qui arrêtent brusquement l’écoulement du trafic. Les distances à parcourir sont toujours énormes, mais un voyage en taxi est plein de risques et d’aventures : à l’approche d’un carrefour, je ferme les yeux, car mon chauffeur se prend pour... Fangio I

 Jaïpur

La ville de Jaïpur est située à 310 km. de Delhi. Pour la visiter sans perdre trop de temps, il faut soit prendre l’avion, soit s’armer de beaucoup de courage et... prendre le train.

J’ai choisi la dernière solution. On me remet un libre-parcours, et celui-ci non seulement donne droit à une place dans un compartiment-lits à quatre personnes, mais il accorde aussi la gratuité de transport pour un poids imposant de bagages et... deux hommes pour les porter !

Départ à 22 h. 10. Arrivée le lendemain à 5 h. 10. Chemin de fer à voie métrique. Le naturel ne perd pas ses droits, et, à l’arrivée, il y a une belle discussion avec mes compagnons de voyage sur l’origine des secousses ressenties au cours de la randonnée : matériel ou voie ? Quant à moi, je soutiens que, sur un tronçon de la ligne, on avait oublié de mettre les rails !

Complément de repos dans une chambre du Rajasthan State Hôtel, jusqu’au lever du jour, qui est bruyamment annoncé par les cris des corbeaux, les jacassements des perroquets et les appels des paons. Dans le ciel devenu subitement bleu, des rapaces planent majestueusement.

Visite de la ville. Dans la rue principale, bordée de maisons roses et où se dresse le palais des vents (Hawa Mahal), circulent des vélos et des vaches, des chars à bœufs, des ânes et des dromadaires.

En avant vers le palais d’Ajmer ! On l’atteint par une route splendide, bordée de petits monuments blancs, autant d’abris contre le soleil pour la population qui assiste aux processions religieuses. Un paysage de lacs et de montagnes, de beaux arbres, où pullulent de sympathiques petits singes gris. A l’entrée du palais, ni tigres ni cobras I Mais deux éléphants de parade stationnent dans l’attente de touristes américains. Il s’agit d’abord de se débarrasser de ses chaussures, de ses bas et de tous accessoires en cuir (ceinture, étuis d’appareils photographiques) pour pouvoir visiter le temple de Shiva. Une sentinelle en armes, baïonnette au canon, veille au respect des règlements et... à la parfaite conservation des objets qu’on abandonne à terre. Shiva est le dieu de la force et de la destruction, auquel le guide qui nous accompagne voue sa dévotion. Coup de cloche pour s’annoncer, échange compliqué d’objets rituels avec le prêtre tout vêtu de rouge, offrande de quelque menue monnaie, application d’une marque rouge sur le front. Le prêtre a accepté les dons ; en échange, il offre quelques douceurs. Visite du palais immense, tout de marbre, avec ses cours ensoleillées, ses chambres fraîches, ses fenêtres à écrans (d’où l’on peut voir sans être vu), ses fontaines, ses escaliers et ses plans inclinés.

Retour à Jaïpur, dont on parcourt maintenant les quartiers populeux, sous un soleil brûlant, pour voir les mausolées des maharajahs : autres dentelles de marbre blanc découpé, sculpté, poli et torturé.

A midi, on déjeune à l’indienne : soupe aux lentilles, viande de mouton, riz saupoudré de curry incendiaire, gâteau aux noix de coco.

L’après-midi est consacré à la visite des quartiers modernes de la cité universitaire. « Five o’ clock tea » chez le « Divisional Superintendant » des Chemins de fer, suivi d’un... deuxième thé au palais du gouverneur de l’Etat de Rajasthan. Sa magnifique demeure est entièrement parfumée par les centaines de roses déposées sur des plateaux de cuivre gravés au burin. Très belle figure souriante, rayonnante de bonté, exprimant une remarquable intelligence, le gouverneur nous confie son intérêt pour les questions économiques et sociales, et, tout en avouant que ni son père, ni lui-même, ni son fils n’ont adoré les mathématiques et la science pure, il nous impose la dégustation de douceurs indiennes qui... brûlent nos faibles palais d’Européens !

On flâne le soir dans des rues étroites, mal éclairées, où toute la population de Jaïpur semble s’être donné rendez-vous pour regarder les boutiques : tissus, soieries, cuivres, objets d’art, comestibles, bijoux...

 De New Delhi à Calcutta

La distance est de 1.450 km. On effectue le voyage en train spécial, composé de voitures-lits confortables et spacieuses, avec air conditionné. Les arrêts nécessaires sont prévus pour réaliser un programme dosant savamment des visites techniques et touristiques.

On se croirait en Europe...

Embarqués dans ce train le 10 décembre, nous en sommes finalement sortis définitivement le 15 ! Cela nous a permis de voir Agra, Bénarès, le triage de Mughalsarai, les ateliers de construction de Chittaranjan, l’atelier électrique de Howrah, Calcutta, et d’assister aux cérémonies d’inauguration d’une électrification en courant monophasé 25.000 V.


Source : Le Rail, mars 1960