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Adieu TEE : bonjour EuroCity

Paul Arnould.

mercredi 30 juillet 2014, par rixke

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 Le train : révolution du transport

Un jour, il y eut le chemin de fer et tout allait changer. Quelques dizaines d’années seulement après le lancement du premier train, bien lent et fort inconfortable, entre Bruxelles et Malines, des convois allaient unir entre elles des villes très éloignées dans des conditions de commodité que l’homme de la fin du XXe siècle ne renierait pas.

II fallut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que l’on puisse entreprendre de longs voyages terrestres dans de parfaites conditions de confort. Avant, c’était l’aventure - avec des brigands au coin des bois pour dévaliser les voyageurs - ou une véritable expédition. Imagine-t-on, par exemple, ce que dut être le voyage Rome-Paris (et retour) du pape Pie VII, et de sa nombreuse suite, venu présider le Sacre de Napoléon à Notre-Dame en 1804 ? Pauvres chevaux devant tirer par monts et par vaux de lourds véhicules... et pauvre pape aussi, confiné pendant d’interminables journées dans un carrosse, somptueux sans doute, mais d’un confort plutôt relatif.

En 1843 déjà, un train franchissait une frontière pour la première fois. C’était entre Liège et Aix-la-Chapelle. La « révolution du transport », dans sa dimension internationale cette fois, avait débuté. En 1854, un train direct relie Bruxelles à Paris. L’élan est donné. Il sera d’autant plus important que le Belge Nagelmakers a imaginé les immenses possibilités du train pour les longs trajets. Il fait construire des voitures-lits, salons et restaurants, et en 1883, le grand coup d’envoi est donné : « L’Orient-Express » quitte Paris pour Istanbul, via Munich, Vienne, Budapest, Belgrade, Sofia... Train de rêve et de légende. Tout y est luxueux, cossu ; mets de choix et grands crus sont servis. C’est qu’à cette époque, seuls les gens riches voyagent loin, un peu pour leurs affaires, beaucoup pour leur plaisir, et la Compagnie internationale des Wagons-lits ne lésine sur rien...

TEE

Les voitures devenant de plus en plus confortables, les locomotives de plus en plus rapides et puissantes (en 1884, la « Type 1 » belge atteint la vitesse mythique de 100 km/h !) l’Europe est véritablement quadrillée par de grands express.

Durant les premières décennies du XXe siècle, le développement est fulgurant. Les trains issus de l’imagination de Nagelmakers sillonnent tout le continent, vont jusqu’au Moyen-Orient où le relais est assuré vers les Indes. Ils conduisent les riches touristes du Caire à Assouan, les coloniaux de Tanger à Casablanca.

Train EuroCity avec voitures Eurofima de type I6

Les progrès techniques, l’accession d’un nombre toujours plus grand de personnes à une relative aisance et l’avènement des congés payés favorisent cette expansion, et d’autant mieux que les voyages lointains par voie terrestre sont un monopole absolu du chemin de fer.

 La naissance des TEE

Les choses allaient changer à partir des années 50. L’air et la route ne tardent pas à se poser en rivaux sérieux et à tenter plus précisément les hommes d’affaires. Sur les longues distances, le train est détrôné par l’avion ; il risquait de l’être sur les moyennes par l’automobile. Pour ces dernières, les chemins de fer envisagèrent une parade : ce fut la création des « Trans-Europ-Express » qui, à partir de 1957, unirent les villes les plus importantes d’Europe occidentale.

Constitués tout d’abord d’automotrices diesel, puis de rames tractées par des locomotives électriques, matériels toujours conçus spécialement pour ces services haut-de-gamme, ils réunissent confort (la climatisation est de règle), luxe, vitesse, horaires judicieux, et leur succès sera immédiat. Leur cible : principalement les hommes d’affaires. Le sigle « TEE » sera désormais associé à une nouvelle et prestigieuse image de marque du voyage en chemin de fer.

A tel point que plusieurs réseaux tinrent à en faire bénéficier certains express du service intérieur, réunissant toutes les qualités des TEE internationaux.

Il y eut, parmi les plus célèbres, le « Rheingold » en Allemagne, qui ajoutait à un service de haute qualité l’agrément de sa voiture panoramique ; le « Mistral » en France qui, avec ses 700 tonnes, détenait le record de tonnage de tous les TEE, et aussi celui de la fréquentation avec cinq cents voyageurs quasi journellement ; le « Settebello » en Italie, premier train européen à rouler à 180 km/h en service commercial.

Plusieurs de ces TEE « nationaux » dépassèrent ensuite ce record en atteignant 200 km/h sur une partie de leur parcours. Citons « L’Aquitaine » (Paris - Bordeaux), « Le Capitale » (Paris - Toulouse) et le « Blauer Enzian » (Hambourg - Munich). Ces trains firent ainsi la démonstration quotidienne que des convois de conception traditionnelle utilisant une infrastructure classique pouvaient largement dépasser en toute sécurité le plafond de vitesse de 140 km/h, longtemps considéré comme un seuil technologique. Ce fut une sorte de banc d’essai des TGV d’aujourd’hui.

Des locomotives polycourants, en évitant les échanges aux frontières, permirent de réduire davantage le temps de parcours et, pour certaines liaisons, on adopta des solutions originales. C’est ainsi que le « Catalan Talgo » Genève - Barcelone, composé de véhicules courts offrant... dix-sept places chacun, résolvait le problème de la différence d’écartement entre les réseaux français et espagnol grâce à des roues à écartement variable.

 Le temps des IC...

Le succès commercial des TEE incita les réseaux à étendre leurs qualités à d’autres trains, ouverts à une clientèle plus large. Peu à peu, certains TEE furent remplacés par des trains internationaux « InterCity », sur les mêmes liaisons et selon les mêmes horaires. La différence consistait en l’adjonction de voitures de 2e classe.

En 1987, il ne restait plus qu’une douzaine de trains ayant gardé le label « TEE » sur la trentaine d’autrefois, mais les disparus avaient légué aux IC qui les remplaçaient toutes les qualités qui avaient fait leur succès. Un pas de plus était ainsi fait vers la démocratisation du transport ferroviaire de haute qualité.

 ... et celui des EuroCity

C’est cette même volonté qui a conduit les réseaux à proposer depuis le 31 mai de cette année, une nouvelle offre « voyageurs » à la clientèle européenne : « EuroCity ». Il s’agit d’un ensemble de 64 « paires » de trains internationaux « haut-de-gamme » offrant 50 000 places journellement et desservant plus de deux cents villes de treize pays : Autriche, Belgique, Allemagne fédérale, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Suède et Suisse.

La plupart de ces trains, qui roulaient soit comme TEE, soit comme IC, se voient ainsi conférer une identité de prestige, une nouvelle image de marque et constitueront désormais un réseau européen cohérent, comme le fut celui des TEE auquel il se substitue, en beaucoup plus large,

Si les TEE « ciblaient » principalement la clientèle des hommes d’affaires, les EC eux, s’adressent aussi aux familles, aux jeunes, aux groupes, afin de regagner une part du marché prise par la concurrence aérienne et routière, grâce à un standard de qualité et en exploitant les atouts exclusifs du rail : espace, pénétration au cœur même des agglomérations, capacité de transporter de grands groupes.

 Le cahier des charges des EC

Un cahier des charges, dont les spécifications ont un caractère obligatoire pour chaque réseau participant, définit les critères de qualité des EC. Il s’agit de critères minimum devant permettre dans l’immédiat à un nombre suffisant de trains de constituer le réseau. Après une période de deux ans, ces critères seront révisés pour atteindre un plus haut niveau encore.

Voitures Eurofima de type I10 de 2e classe

Ces critères visent à donner au réseau « EC » une renommée comparable à celle qui avait fait le succès des TEE et exploiter, en l’actualisant, une part de prestige qui reste associée aux grands express européens.

A l’exception de quelques trains qui seront uniquement composés de voitures de 1re classe, les « EC » comporteront des voitures des deux classes, et dans tous les cas, les voitures seront choisies parmi les meilleures du parc de chaque réseau. Elles seront climatisées, ou tout au moins de construction récente. La SNCB utilisera les voitures « I6 », dites « Eurofima » et celles des anciens TEE. Au fur et à mesure de leur livraison, les nouvelles voitures de la série « I10 » (dans leur version climatisée) entreront dans la composition des « EC ».

Voitures Eurofima de type I10 de 1re classe

On exige que ce matériel fasse l’objet d’un nettoyage intensifié avant le départ, mais également en cours de route.

La vitesse commerciale moyenne ne peut être inférieure à 90 km/h sur le parcours de bout en bout, sauf si le train couvre un trajet en haute montagne. Dans ce cas, la vitesse moyenne ne pourra être inférieure à 80 km/h sur le parcours total. Les arrêts ont donc été réduits au minimum, tant en durée qu’en nombre. Seules les gares desservant de grandes agglomérations ou ayant une justification commerciale ont été retenues.

Mais encore faut-il que les horaires soient respectés. Les « EC » bénéficient donc d’une priorité absolue pour leur acheminement, même en cas de retard.

Une attention toute spéciale est portée à l’accueil et à l’information, au niveau des services de renseignements, de réservation et de vente, tandis que des agents seront à quai avant l’arrivée des trains pour aider les voyageurs. Chariots à bagages ou porteurs seront prévus.

Le personnel d’accompagnement des trains a reçu une formation spécifique et est au moins bilingue. Sa mission, au-delà du contrôle habituel, sera orientée vers le service et l’assistance. Il accueillera le voyageur dans le train et l’aidera à trouver sa place. En cas de nécessité il s’occupera également du problème des bagages.

Sur le réseau de la SNCB, ce personnel sera composé exclusivement de chefs gardes contrôleurs.

La restauration à bord des trains - qui a souvent été jugée négativement en ce qui concerne le rapport qualité/pnx - fait évidemment l’objet des préoccupations des réseaux, qui sont partis du principe que les services devaient s’adapter au voyageur afin qu’il puisse profiter à son gré et de façon agréable de son « temps perdu ».

A quelques exceptions près, une restauration complète est prévue aux heures des repas, soit de 7 h à 9 h, de 11 h 30 à 14 h et de 18 h 30 à 21 h. En dehors des heures de repas, restauration légère et boissons fraîches et chaudes seront disponibles.

Au plan de l’information, des fiches horaires avec indication des correspondances dans les gares d’arrêt seront déposées dans les compartiments.

Le nom « EuroCity » et le logo sont présents dans les salles d’attente, sur les documents d’information, ainsi que sur les uniformes (cravate et badge).

Enfin, les réseaux ont été invités à prévoir, dans un avenir aussi proche que possible, des installations permettant d’obtenir des communications téléphoniques nationales et internationales à partir des trains EC.

 Trains de nuit

Le réseau « EC » comprend en plus des trains de jour, des liaisons de nuit au nombre de huit dans la phase initiale, et qui concernent la France vers l’Italie et l’Espagne, l’Allemagne vers la Suisse et la Scandinavie et la Hollande vers la Grande-Bretagne.

Ces trains doivent être composés de voitures-lits et de voitures-couchettes climatisées ou de construction récente.

Quant aux horaires de ces trains, ils doivent encadrer au mieux le créneau de 0 h à 6 h et ne prévoient pas, en principe, d’arrêts commerciaux entre ces heures.

 L’avenir

L’offre « EC » est appelée à évoluer au cours des prochaines années.

On pense à développer les liaisons nocturnes, notamment au départ de la Belgique, avec un « EC » Bruxelles - Rome se substituant à l’actuel « Italia-Express » et un « EC » saisonnier vers l’Espagne.

L’offre de jour devrait connaître une intensification des liaisons, une amélioration de la qualité du service et un élargissement du champ d’action.

L’Irlande, le Portugal, la Grèce, tous les pays Scandinaves devraient s’intégrer dans le réseau, et une liaison Vienne - Budapest est envisagée.

Ainsi se réalisera pour la dernière décennie du siècle un réseau de trains de plus en plus rapides et confortables, de nature à satisfaire la clientèle des années 2000...


Source : Le Rail, août 1987

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