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Wagons-Lits

K. Destoop.

samedi 8 avril 2023, par rixke

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 La fondation de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits

L’initiative de fonder la société fut prise par Georges Nagelmackers, un fils de banquier liégeois, qui, lors d’un voyage à travers l’Amérique, fut tellement impressionné par le confort des trains qu’il voulut mettre sur pied un système analogue en Europe. En 1872, Nagelmackers fit construire les premières voitures-lits en Belgique ; elles furent mises en service sur la ligne Ostende-Berlin et, peu après, entre Pans et Cologne et Paris et Vienne.

Georges Nagelmackers

Quatre ans plus tard, le 04.12.1876, il fonda à Bruxelles, la Compagnie internationale des Wagons-lits avec un capital de départ de 4 millions de francs.

En 1883, la Compagnie lança le premier grand train international, l’Orient-Express, sur le trajet Paris-Vienne. La société prit rapidement de l’extension, d’abord en Europe, puis en Asie et en Afrique. A la veille de la Première Guerre mondiale, elle comptait quelque 1 600 voitures qui circulaient à travers presque toute l’Europe, la Russie incluse. De plus en plus de pays furent desservis par la société : la Syrie, l’Egypte, la Palestine, la Turquie, la Chine...

La société ne limitait pas ses activités au chemin de fer, mais était également présente dans l’hôtellerie. Le tourisme n’avait pas échappé à son attention et allait jouer un rôle important grâce notamment à ses nouveaux liens avec la société Cook.

 Les idées de Nagelmackers

Le but de Nagelmackers était d’offrir aux usagers du chemin de fer en Europe un confort identique à celui dont bénéficiaient les voyageurs en Amérique. Ses premiers efforts furent axés sur la construction de voitures-lits confortables, équipées de jolis cabinets de toilette et pouvant être intégrées aux trains internationaux.

Par la suite, il eut l’idée de faire servir des repas complets à bord des trains afin d’éviter de trop longs arrêts. C’est ainsi que la voiture-restaurant, une formule jusque-là inédite, vit le jour. Plus tard, les voitures-salons, connues sous l’appellation de « voitures-Pullman » firent leur apparition.

Dès le début, Nagelmackers dut tenir compte des préférences spécifiques du public européen : des petits compartiments séparés, pour une ou deux personnes, qui communiquaient entre eux. Les grands dortoirs de type américain, avec leur atmosphère particulière, n’étaient pas du goût du public européen raffiné et attaché à ses traditions. L’option en faveur des petits compartiments séparés réduisait toutefois la capacité des voitures.

 Les premières voitures

Les premières voitures-lits furent construites en 1872-73. Bien qu’elles n’aient pas encore été équipées de bogies, comme les voitures américaines, elles comportaient déjà des améliorations sensibles par rapport au matériel circulant à l’époque sur les réseaux européens. Elles étaient équipées de deux essieux et de roues à disques de bois ; la caisse reposait sur le châssis au moyen d’une bague de caoutchouc.

Wagon-Lits N° 15
Paris-Francfort (1873).
G. Nagelmackers est assis.

Les voitures étaient divisées en trois compartiments reliés entre eux par un long corridor central sur lequel débouchait un couloir transversal ; celui-ci donnait accès aux deux toilettes.

Le jour, chaque compartiment se composait de quatre sièges confortables qui, la nuit, pouvaient être transformés en deux lits « du bas ». Les deux lits « du haut », tout comme la literie, étaient retenus au plafond par des lanières.

Intérieur d’une 1re classe d’un wagon-lits.

L’éclairage s’effectuait au moyen d’huile de navette ou d’huile minérale améliorée. Pour le chauffage, on utilisait généralement des briquettes.

En 1873-74, de nouvelles voitures à deux ou trois essieux furent lancées. La division et l’aménagement des compartiments ne différaient cependant que peu des précédents. Les compartiments étaient toutefois plus larges de sorte qu’ils pouvaient être partagés par deux ou quatre personnes, selon que l’on voyageait en première ou en deuxième classe.

Certaines voitures étaient déjà équipées de l’éclairage au gaz mais, dans la plupart des cas, l’éclairage fonctionnait toujours à l’huile minérale.

Le chauffage était assuré par un thermosiphon avec circuit d’eau chaude, ce qui nécessita l’installation d’un système de tuyaux à travers la voiture. Ce système de chauffage fut amélioré et simplifié dans les nouvelles voitures.

En 1875, la Compagnie développa un nouveau type de voiture à trois essieux qui pouvait offrir de la place à douze personnes. La voiture comptait deux compartiments à quatre personnes et deux compartiments à deux personnes, le long desquels passait un couloir.

Le couloir transversal fut maintenu mais placé à l’extrémité du couloir principal. Au fond de ce couloir transversal se trouvaient les WC et le cabinet de toilette pour dames, les lavabos étant pourvus d’eau chaude et d’eau froide. Rien d’autre ne fut changé à l’équipement, à la suspension et au chauffage. Seul l’éclairage au gaz fut étendu.

Affiche « The Golden Arrow » London-Calais-Paris.

Les premières voitures à plates-formes ouvertes aux extrémités apparurent entre 1878 et 1881. Ces nouvelles voitures offraient de la place à douze ou quatorze personnes et étaient divisées en compartiments de deux ou quatre personnes avec des lits en bas et en haut. Comme nouveauté, il y avait une petite table rabattable sous la fenêtre et une toilette équipée d’un lavabo entre les compartiments aux extrémités et les plates-formes.

 Voitures mixtes lits et places assises

Aux alentours de 1880, diverses sociétés de chemin de fer insistèrent auprès de la Compagnie pour qu’elle prévoie dans les voitures-lits des places assises ordinaires de 1re et 2e classe.

C’est ainsi que fut conçu un nouveau type de voiture, équipée de trois essieux et de plates-formes ouvertes. A partir d’un couloir central, les voyageurs avaient accès à un compartiment-lits à quatre places, trois compartiments-lits à deux places et deux compartiments à trois et six places assises. Le confort était au moins égal à celui des voitures de 1re classe des trains de voyageurs ordinaires.

Petit à petit, la suspension des voitures s’améliora grâce à l’emploi de bagues et de ressorts spéciaux qui rendirent les trajets plus agréables.

Le président des Etats-Unis Theodore Roosevelt.

En 1880 furent construites les premières voitures destinées à la Russie. Elles étaient plus larges et plus grandes que les voitures à voie normale et permettaient d’embarquer quatorze personnes dans des compartiments de deux et trois places. En raison du climat très froid de la Russie, il fut décidé de fermer les plates-formes d’où il serait dorénavant possible d’accéder à la voiture suivante grâce à une petite passerelle.

Wagon-lits pour le service Vienne-Nice Express (1896).

Pour mieux résister au froid intense, la caisse était faite de planches doubles entre lesquelles était mis du carton pressé ; toutes les fenêtres étaient pourvues de double vitrage.

 Une nouveauté révolutionnaire

En 1880, la première voiture à bogies fut mise en service par la Compagnie internationale des Wagons-lits sur la ligne Francfort-Berlin. Dans un premier temps, divers réseaux ferroviaires s’opposèrent à cette nouveauté, mais la sécurité et la stabilité du système, même à vitesse élevée, finirent par convaincre ses adversaires les plus acharnés. En 1883, la société « Est français » adoptait ces nouvelles voitures en vue de les intégrer dans l’Orient-Express et, à partir de cette date, la Compagnie équipa toutes ses voitures de ces bogies.

C’est sur ce type de voiture que furent introduits les premiers soufflets.

 Les voitures-restaurants

Parmi les premières voitures à bogies se trouvait aussi le wagon-restaurant. Son précurseur direct était une voiture de troisième classe transformée du chemin de fer d’Anhalt.

Les repas n’étaient pas encore confectionnés dans la voiture, mais étaient livrés dans des paniers par les buffets situés le long de l’itinéraire.

Intérieur d’un train de luxe en 1912.

La voiture-restaurant N° 107 à trois bogies datait de 1882 et comportait deux salles à manger – une pour les fumeurs et une pour les non-fumeurs – séparées par la cuisine. Les plates-formes à l’extrémité des voitures permettaient d’accéder au restaurant.

Les parois et les chaises étaient rehaussées de cuir de Cordoue ; les rideaux étaient bleu clair, le plafond peint et décoré à l’italienne. Malheureusement, la stabilité de ces premières voitures-restaurants était loin d’être idéale et ne permettait pas de se restaurer à son aise. Cet inconvénient allait disparaître avec les nouvelles voitures, qui, en plus, offraient une capacité accrue. La division en deux salles fut conservée ; parfois la plus petite des deux était transformée en salon, éventuellement pour fumeurs, comme dans l’Orient-Express.

Intérieur d’un wagon-lits vers 1900.

La caisse de ces voitures était toujours en bois, principalement en teck, mais aussi en chêne et en sapin : le châssis était partiellement en fer.

Au début des années 1890, toutes les voitures furent aménagées pour l’éclairage au gaz enrichi, système plus coûteux mais qui offrait l’avantage d’une répartition égale de la lumière. En outre, le système était réglable et l’acétylène donnait trois fois plus de lumière que les installations antérieures.

 Voitures uniques

En 1897, la Compagnie mit en service une voiture unique qui reçut le nom de Voiture royale. Elle était utilisée pour les déplacements de chefs d’état et des personnalités officielles en visite. La plateforme avait été transformée en terrasse vitrée faisant office de salon. Par ailleurs, la voiture comportait un grand salon, deux compartiments avec lit et WC, un compartiment à deux lits et WC et un compartiment à quatre lits pour le personnel. L’éclairage fonctionnait déjà à l’électricité.

Dans les derniers mois du 19e siècle, des voitures isolées firent leur apparition. Les plus connues étaient les voitures-lits destinées à l’Egypte. En raison de la chaleur torride, les voitures devaient offrir un maximum d’espace aux voyageurs. C’est ainsi que les lits du bas furent disposés dans le sens de la largeur et ceux du haut dans le sens de la longueur. Ce furent les premières voitures où l’éclairage électrique fonctionnait selon le système Stone : l’électricité était fournie par une dynamo et emmagasinée dans un accumulateur. L’avantage était que chaque voiture pouvait être desservie séparément.

La Compagnie internationale des Wagons-lits équipa les voitures du luxueux Transsibérien-Express de manière à ce que les voyageurs jouissent d’un maximum de confort durant le trajet long de huit jours.

Les doubles parois, le double plancher en bois et le double vitrage assuraient l’isolation optimale de ces voitures. Les voyageurs disposaient, à côté des voitures-lits et de la voiture-restaurant, d’une voiture-salon style Louis XVI, d’un gymnase, d’un salon de coiffure, d’une salle de bain complètement équipée, d’une salle de massage et d’une pharmacie. Le fourgon à bagages contenait notamment une chambre à provisions avec réfrigérateur.

 A la veille de la Première Guerre mondiale

Les compartiments à quatre personnes des voitures-lits, disparurent entre les années 1900 et 1914. Désormais la plupart des trains allaient disposer de voitures-lits à neuf compartiments à deux personnes.

Ce qui était nouveau, c’était le système de ventilation : il consistait en deux plaques de verre mobiles incrustées dans la partie supérieure des fenêtres, aussi bien dans les voitures-lits que dans les voitures-restaurants. La plupart des voitures-restaurants disposaient de tables pour deux ou quatre personnes et d’un petit salon particulier où quelques voyageurs pouvaient être servis. Dès 1908, le châssis, jusqu’alors réalisé partiellement en bois et en fer, fut remplacé par un châssis complètement métallique. La caisse, par contre, était toujours en teck. La guerre 14-18 causa de grosses pertes au parc de voitures de la Compagnie : des centaines de voitures furent détruites, réquisitionnées ou employées à des fins militaires et médicales. Ces pertes ne furent que partiellement compensées par la construction d’une cinquantaine de nouvelles voitures.

 Entre les deux guerres mondiales

A partir de 1922, la Compagnie utilisa des voitures en métal. Ces voitures-lits du type S2 offraient de la place à seize personnes, à raison de quatre compartiments à deux personnes et huit compartiments à une seule personne.

Intérieur d’une voiture de luxe 16 (1929).

Le chauffage fonctionnait grâce à un double circuit de vapeur et d’eau chaude, complété par un poêle à charbon dans le couloir. L’éclairage électrique de chaque compartiment consistait en deux luminaires, une lampe de nuit et une liseuse près de chaque lit.

L’air était renouvelé en déplaçant deux petites vitres mobiles situées dans la partie supérieure des fenêtres.

Malgré le succès croissant des voitures métalliques, des caisses en teck continuaient d’être livrées (notamment en France et en Italie).

En 1925, apparut une nouvelle voiture-lits, de type Z, pour vingt-quatre personnes. Les cloisons de séparation entre les compartiments n’étaient plus droites mais formaient un Z le long de l’une des cloisons.

Une telle disposition permettait d’installer un lavabo dans le recoin.

Cette cloison en forme de Z fut conservée dans une voiture-lits luxueuse, datant de 1929, qui consistait en dix compartiments de première classe avec un large lit, de même que dans les voitures de type Y de 1930. Ce dernier type de voiture fut construit à de multiples reprises car il s’avérait très maniable au niveau de l’exploitation. Les compartiments pouvaient être convertis en 1re ou 2e classe au gré des voyageurs.

 L’après-guerre

Pour la compagnie, la Deuxième Guerre mondiale fut encore plus catastrophique que le conflit précédent : quatre cents voitures furent détruites ou disparurent. Ce n’est qu’en 1948 que fut lancée la première série de nouvelles voitures-lits.

Les voitures de type Y firent sensation avec leurs compartiments de troisième classe qui contenaient des lits superposés à trois niveaux. Cette voiture était appelée à favoriser dans une large mesure la démocratisation des voitures-lits et à donner une forte impulsion au développement du tourisme.

Les voitures de type P et U apparurent dans le courant des années 50. La différence essentielle avec le matériel antérieur résidait dans la souplesse d’emploi de ces voitures, surtout celles du type U, dont la classe des compartiments pouvait être adaptée en fonction des billets des voyageurs. Ainsi, il y avait la 1re classe pour une personne, la 1re classe pour deux personnes et la classe touriste pour trois personnes (trois lits superposés).

La voiture U comportait des compartiments de plain-pied dont les lits, faits à l’avance, pouvaient être rabattus contre les parois offrant ainsi trois sièges. La nuit, on remettait ainsi à la disposition des voyageurs le nombre de lits voulus. Chaque compartiment était équipé d’un lavabo, d’une prise de contact, de liseuses et de veilleuses.

La voiture P était composée de deux étages. Les lits des compartiments supérieurs étaient fixes, ceux des compartiments inférieurs étant rabattables. Les compartiments pouvaient être utilisés par une ou deux personnes. Les voitures des deux types étaient chauffées à l’air chaud. Un thermostat maintenait la température à un niveau constant.

Pour encore mieux servir ses clients, la société a introduit le type T2, dont les compartiments pour deux personnes sont accessibles aux porteurs d’un billet de seconde classe. La voiture comporte deux étages à neuf compartiments. Chaque compartiment inférieur peut être utilisé par une seule personne munie dans ce cas d’un billet de première classe.

Les compartiments supérieurs disposent de deux lits fixes et les compartiments inférieurs renferment un lit rabattable avec éventuellement un lit superposé.

Un grand luminaire fluorescent et des liseuses réglables également fluorescentes, fournissent l’éclairage.

Toutes les nouvelles voitures construites par la Compagnie internationale des Wagons-lits se rattachaient à l’un de ces trois types principaux, lesquels récoltèrent, par ailleurs, un énorme succès auprès du public.

La société dut abandonner le luxe et le romantisme qu’incarnaient ses voitures du début du siècle, qu’il s’agisse de l’Orient-Express ou du Transsibérien. C’est ainsi qu’elle parvint à transformer un luxe hors de prix en un confort à la portée de toutes les bourses.


Source : Le Rail, octobre 1987