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Nouvelles locomotives bitension à hautes performances

L. Gillieaux.

mercredi 24 mars 2021, par rixke

Notre entreprise et les chemins de fer luxembourgeois ont commandé ensemble, en décembre 1995, 80 nouvelles locomotives électriques auprès de ACEC Transport, appartenant au groupe GEC - Alsthom. Pour certains éléments de cet important marché, ACEC Transport est assisté en sous-traitance par BN - Bombardier Eurorail. De type bitension, puissantes et capables d’atteindre 200 km/h, ces locomotives à usage universel sont destinées à répondre aux besoins d’avenir de la traction électrique sur les réseaux de la SNCB et des CFL. Elles vont en effet permettre, grâce à leurs capacités, d’accroître les performances de vitesse et de charges remorquées sur plusieurs de nos lignes et sur celles du grand-duché de Luxembourg. Le point sur la conception, novatrice à bien des égards, de ces futures locomotives et sur les phases de développement du projet.

 Performances nouvelles pour STAR 21 et renouvellement du parc

Notre Société a mené diverses études en vue de définir les besoins futurs de la traction sur notre réseau dans le cadre du plan STAR 21 et des plans décennaux d’investissements qui en découlent, dont le projet de plan 1996-2005, qui a été élaboré fin 1995 par la SNCB.

Divers éléments ont été pris en considération, tels que

  • Les électrifications prévues ;
  • Les relèvements de vitesse commerciale recherchés, dont certains seront obtenus en faisant circuler des trains à 200 km/h sur certaines sections de lignes de notre pays ;
  • Les commandes en cours de nouvelles automotrices et voitures aptes aux vitesses élevées [1] ;
  • Les caractéristiques futures des trafics tant voyageurs que marchandises en fonction de l’évolution de l’économie nationale, etc.

De plus, les services d’études ont aussi prévu que le développement ultérieur de cette nouvelle série permettra le renouvellement d’une part importante du parc de locomotives électriques de ligne à partir du début des années 2000.

Celui-ci comptait, au 1er janvier 1996, 376 engins (voir encadré 1).

L’opération de renouvellement vise quelque 140 des locomotives appartenant aux séries 22, 23, 25 et 26. En effet, les deux premières séries approchent les quarante ans d’âge ou les ont dépassés, ont une vitesse limitée à 130 km/h et leur puissance n’excède pas 1 700 kW (2 250 ch). De ce fait, elles ne correspondent plus aux besoins futurs de la traction, compte tenu de la modernisation et de l’adaptation indispensable de nos moyens pour faire face avec succès à la concurrence.

La série 25, de son côté, est un développement de la série 23.

Les 35 locomotives de la série 26 connaissent, quant à elles, des problèmes assez nombreux, lesquels engendrent des coûts d’entretien élevés.

 Une locomotive « universelle »

Les services d’études ont pris en compte les différents besoins évoqués ci-dessus. Ils ont aussi été attentifs à des objectifs de standardisation et d’économies d’entretien comme de roulements, qui sont plus impératifs que jamais dans notre économie moderne. Ont également été prises en considération les dimensions relativement réduites de notre réseau, combinées au fait qu’à côté du 3 000 volts continu, plusieurs lignes sont ou seront électrifiées en 25 000 volts alternatif. Cette dualité de tensions impose dès lors de disposer d’engins mixtes, capables d’évoluer sous les deux types de courant.

Les spécialistes ont encore examiné les possibilités offertes actuellement par l’industrie de la construction ferroviaire, grâce aux développements des technologies. En faisant le bilan de tous leurs calculs et de leurs analyses, ils en sont arrivés à la conclusion qu’il était préférable de commander un seul nouveau type de locomotive permettant de faire face simultanément à tous ces besoins : une locomotive « universelle » pour notre réseau en quelque sorte. Les principales caractéristiques de cette nouvelle locomotive seront en effet les suivantes :

Rapide

Elle pourra atteindre la vitesse de 200 km/h afin d’assurer la traction de trains de voyageurs très rapides sur des sections de lignes où cette vitesse pourra être pratiquée.

Puissante

Elle disposera de 5 000 kW (environ 6 700 ch) pour tracter aussi les trains de marchandises lourds que la réorganisation de notre trafic nous amènera à prévoir à l’avenir. Le cas échéant, ces locomotives pourront être utilisées en double traction sur certaines sections de ligne au profil particulièrement sévère, la seconde locomotive étant alors télécommandée.

Bitension

Ces locomotives fonctionneront aussi bien sous 3 000 volts continu que sous 25 000 volts alternatif. De ce fait, elles pourront sillonner toutes les lignes électrifiées belges et luxembourgeoises. En outre, elles pourront parcourir aussi nombre d’artères du nord et de l’est de la France. À l’avenir on pourra donc prévoir des trains directs au départ du réseau belge, sans changement de locomotive, jusqu’à des destinations telles que Metz, dans l’est de la France ou Calais, à l’entrée de l’Eurotunnel.

Motorisation asynchrone

(voir encadré « 2 »)

Ce sont ces moteurs électriques modernes très performants et à usage varié qui permettent soit d’atteindre des vitesses très élevées (traction voyageurs), soit de disposer de très grandes puissances (traction marchandises). Ils sont de plus en plus utilisés sur les réseaux voisins, en France et surtout en Allemagne. Ils équipent aussi les Eurostar et ils seront aussi placés sur nos nouvelles automotrices de la série « AM 1996 », fort proches des voitures I 11 et, comme elles, en cours de construction.

Type BB

Cette configuration à deux bogies de deux essieux offre en effet de manière simple les meilleures possibilités d’utilisation de ces locomotives, grâce aux sollicitations limitées que ce type de bogie entraîne pour la voie.

Le choix d’un type unique de locomotive réunissant toutes ces caractéristiques a aussi tenu compte de la durée de vie assez élevée de ces engins et de la période relativement longue qui s’écoule entre le moment où leur étude débute et celui où les locomotives sont réellement disponibles. Ces éléments couplés aux avantages de la standardisation d’utilisation et d’entretien ont conduit à fixer d’emblée l’ensemble des capacités de ces locomotives, même si certaines d’entre elles ne pourront pas être utilisées tout de suite au maximum.

En effet, il n’aurait pas été économiquement justifié de prévoir un second type de locomotives ou de réaliser de coûteuses adaptations sur les premières, au fur et à mesure des réalisations des différents investissements de modernisation du réseau. Par contre, il est apparu préférable de prévoir dès à présent un type unique de locomotives pour faire face aux divers scénarios de l’avenir, au fur et à mesure où ceux-ci se réaliseront.

Commande groupée avec les CFL

Un autre élément est également intervenu dans ce choix.

Le réseau des CFL est maintenant complètement électrifié. Son alimentation se partage entre le 3 000 volts continu pour la ligne Arlon - Luxembourg et le 25 000 volts alternatif pour toutes les autres lignes, parmi lesquelles la ligne dite « du nord », vers Gouvy via Clervaux, dont l’électrification s’est achevée en décembre 1993.

Or, nos collègues sont aussi placés devant le même problème d’un important renouvellement de leur parc de traction, avant l’an 2000, pour ce qui les concerne.

Et, comme la taille de leur réseau est assez réduite, leur besoin de standardisation est encore plus élevé.

De plus, compte tenu des caractéristiques géographiques de leur pays, assez similaires à celles du sud du nôtre, et des interconnexions ferroviaires électrifiées existantes et prévues avec notre réseau, certaines des spécifications fixées pour les futures locomotives belges (puissance, bitension) intéressaient très fort nos collègues luxembourgeois.

En outre, les CFL ont une longue tradition de collaboration étroite avec la SNCB. Ils ont en effet déjà acquis des engins similaires aux nôtres, comme les locomotives diesel 1600 (proches de nos séries 52 et 53) et 1800 (série 55 SNCB). Par ailleurs, l’acquisition en commun de nouvelles locomotives ouvre la voie au développement des interpénétrations d’engins moteurs, d’où une utilisation plus économique des locomotives et une meilleure compensation des prestations de personnel entre les deux réseaux. De plus, une telle opération permet des économies complémentaires liées à une exploitation en pool.

C’est ainsi que les CFL ont passé une convention avec la SNCB pour procéder à une commande groupée d’un type unique de locomotives. Il a alors été décidé que les études de base et le suivi de l’exécution du projet seront assurés par la SNCB pour le compte des deux réseaux.

 Commande et perspectives

Un cahier de charges européen a été rédigé, eu égard aux nouvelles obligations légales en matière de marchés publics. Il reprenait les caractéristiques requises de ces locomotives, exposées ci-dessus, ainsi que diverses autres spécifications plus techniques, permettant de viser un haut degré de qualité tout en disposant de l’engin le plus économique possible, entre autres en termes d’entretien.

Ainsi, le souci de la fiabilité en service a conduit à prévoir qu’en cas de défaut de traction sur un bloc moteur, la locomotive devait quand même toujours pouvoir disposer des 3/4 de sa puissance de traction.

De même, l’objectif des économies d’usage et d’entretien a amené à demander des systèmes de freinage qui privilégient le freinage électrique par récupération ou l’utilisation de disques, au lieu des blocs qui sollicitent davantage les roues.

Après examen des propositions introduites, une commande commune de 80 locomotives a été passée fin 1995, auprès de ACEC Transport. Vingt de ces locomotives sont destinées aux CFL tandis que les soixante autres seront livrées à la SNCB, ce qui représente pour elle un investissement d’un peu plus de 9 milliards de francs, répartis sur le plan d’investissements 1996 - 2005.

La commande inclut aussi la fourniture de 21 pupitres de conduite identiques à ceux de ces locomotives. Ils équiperont les voitures I 11 pilotes (du type BDx) qui seront utilisées dans les rames I 11 réversibles accouplées à ces locomotives.

Mise en service et utilisation

En fonction de cette commande, la première locomotive de cette série – qui formera la série 13 – sera livrée en décembre 1997 pour subir les tests prévus. Le reste de la commande suivra, à raison de 22 locomotives par an, lorsque la chaîne de construction aura atteint son régime optimal. Ce calendrier permettra de disposer de l’ensemble des locomotives pour les deux réseaux en septembre 2001.

En l’état actuel des prévisions, les locomotives belges seraient utilisées tant pour les services voyageurs que marchandises.

En voyageurs, elles seraient affectées à la traction de trains rapides, composés du futur matériel I 11 [2] entre Ostende et Eupen, via Bruges, Gand, Bruxelles, Louvain, Liège et Verviers (actuel IC B). Entre Louvain et Liège, ces trains emprunteront la ligne nouvelle à grande vitesse dont la construction est prévue. Ils y circuleront à la vitesse de 200 km/h. Et ils rouleront aussi à cette vitesse sur les lignes Bruxelles - Louvain et Bruxelles - Bruges, lorsque ces lignes seront modernisées. Par ailleurs, ces locomotives circuleront sur la relation Charleroi - Anvers, attelées à des voitures I 11 utilisées en rames tractées/poussées.

En marchandises, les nouvelles locomotives seront entre autres largement utilisées sur les axes nord - sud, vers et via le grand-duché de Luxembourg. Notre entreprise réalise en effet actuellement d’importants travaux de modernisation d’un de ces axes – celui de la ligne dite Athus-Meuse – qu’elle électrifie en 25 000 volts alternatif. Ces investissements permettront l’acheminement direct de nombreux trains de marchandises entre la zone des ports et les destinations situées au Luxembourg, dans l’est de la France, en Suisse et même en Italie.

Grâce au fait qu’elles seront des engins bitension, ces locomotives pourront rester en tête des trains de bout en bout jusqu’au Luxembourg. Leur puissance leur permettra d’acheminer seules nombre de convois. Toutefois, la possibilité a été prévue de remorquer en double traction les trains les plus lourds au-delà de Ronet/Namur, la seconde locomotive étant alors télécommandée par la première. Quant aux locomotives luxembourgeoises, elles sillonneront tout le réseau des CFL et feront aussi de fréquentes incursions sur notre réseau.

Parc des locomotives électriques au 1er janvier 1996
Séries Caractéristiques et services principaux Effectif
11.8 Bitension 3 000 V cont./1 500 V cont. 3 130 kW - 160 km/h. Service Belgique - Pays-Bas (rames réversibles Bénélux) 12
12 Bitension 3 000 V cont/25 000 V alt. 3 130 kW - 160 km/h. Aptes à la réversibilité avec les voitures M4. Service Belgique - région lilloise 12
15 Tritension 3 000 V cont./1 500 V cont./25 000 V alt. 2 620 kW -160 km/h. Principalement service Bruxelles - Paris 5
16 Quadritension 3 000 V cont./1 500 V cont./25 000 V alt./15 000 V alt. 2 620 kW - 160 km/h. Principalement service Ostende - Cologne 7
18 Quadritension 3 000 V cont./1 500 V cont./25 000 V alt./15 000 V alt. 4 320 kW -180 km/h. Ostende - Cologne ; Paris - Cologne via Bruxelles ou Namur 6
19 Bitension 3 000 V cont./25 000 V alt. 4 500 kW - 160 km/h. Apte à la réversibilité avec les voitures M4 et M5. Service Belgique - région lilloise 1
20 Monotension 3 000 V cont. 5 130 kW - 160 km/h. Principalement les services vers le Luxembourg 24
21 Monotension 3 000 V cont. 3 130 kW - 160 km/h. Service mixte général. Couplables en unités multiples. Aptes à la réversibilité avec les voitures M4 et M5 59
22 Monotension 3 000 V cont. 1 740 kW - 130 km/h. Service mixte général 49
23 Monotension 3 000 V cont. 1 740 kW - 130 km/h - freinage par récupération. Couplables en unités multiples. Service mixte général 83
25 Monotension 3 000 V cont. 1 740 kW - 130 km/h. Service mixte général. Aptes à la réversibilité avec les voitures M2 14
25.5 Bitension 3 000 V cont./1 500 V cont. 1 740 kW - 130 km/h. Service Belgique - Pays-Bas 8
26 Monotension 3 000 V cont. 2 246 kW (cinq premières) ; 2 470 kW (autres) - 130 km/h. Service mixte général. Couplables en unités multiples 34
27 Monotension 3 000 V cont. 4 150 kW - 160 km/h. Service mixte général. Couplables en unités multiples. Aptes à la réversibilité avec les voitures M4 et M5 60
28 Monotension 3 000 V cont. 1 620 kW - 130 km/h. Transferts de rames Bruxelles-Midi - Forest 2

Les locomotives des séries 11.8, 12, 21 et 27, bien que différentes, ont un même « air de famille », ayant pratiquement le même modèle de caisse (peinture toutefois fort différente pour la série 11.8, compte tenu des services spécialisés assurés avec les rames tractées/poussées Bruxelles-Anvers-Amsterdam).

Il en va de même pour les séries 23, 25 et 25.5 et la série 22 qui est aussi assez proche des trois précitées.

Le moteur asynchrone

De façon schématique, le moteur asynchrone à courant alternatif se présente sous la forme d’un cadre métallique creux comportant un cylindre interne mobile. Le cadre métallique creux – le stator – est équipé de bobines alimentées par un courant alternatif triphasé créant un champ électromagnétique tournant. Le cylindre interne monté sur roulements à billes – le rotor – est entraîné par ce champ magnétique tournant et se met lui-même à tourner. Ce rotor entraîne à son tour les roues via la transmission.

Si les utilisations industrielles de ce moteur sont bien connues, son application à la traction ferroviaire, avec tout ce que cela suppose comme variations de vitesse et de charge, requiert un « pilotage » qui fait largement appel aux techniques de l’électronique et de l’informatique. Ce pilotage a pu être mis au point grâce aux progrès réalisés ces dernières années dans ces domaines.

Par ailleurs, du point de vue de sa construction et de son entretien, le moteur asynchrone constitue sans doute le type de moteur le plus avantageux.

Il est aussi relativement peu volumineux – et, partant, peu encombrant – pour les performances de vitesse et de puissance qu’il affiche.

Source : Le Rail, mars 1996