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Dans les forêts de Saint-Hubert

R. G.

mardi 7 décembre 2021, par rixke

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Novembre, mois des morts et du souvenir. C’est le temps où les hommes, reliant avec une tradition millénaire, s’en vont retrouver les cimetières du monde. Devant les tombes, que l’on a fleuries abondamment, ils penseront aux êtres chers qui ne sont plus. De-ci de-là, au hasard des sentiers, curieusement, ils se pencheront sur un nom à moitié effacé. Ces pauvres pierres fatiguées, ces choses d’un âge révolu, tous ces rêves, tous ces amours qu’on ne saura jamais, oui, ceux-là, depuis longtemps, les hommes les ont oubliés. Et pourtant, ils sont toujours là – si proches, en vérité ! Un peu de terre les sépare des vivants, ce pas, cette seconde qui séparent le fini de l’infini, le temps de l’éternité.

Mais novembre, c’est aussi la fête des saints. L’Eglise a voulu que le premier jour de ce mois fût réjouissance chez ses élus ! Et parce que la vie doit l’emporter sur la mort, l’espérance sur le regret, parce qu’il faut que la chaîne continue, ce sera aussi joie chez tous les hommes, croyants ou non, joie de revoir la famille, les amis, le village, ce petit monde où l’on est né et que l’on avait laissé là, parce qu’on avait cru un beau jour qu’il serait à jamais trop étroit.

Ceux qui reverront l’Ardenne en ce pieux mois de novembre et ceux qui s’y rendront, attirés par les couleurs de ses forêts, se rappelleront-ils que le premier bienheureux honoré après la fête de tous les saints est justement son patron, Hubert, à la merveilleuse légende ?

Il était une fois un prince jeune, beau et vaillant. Il descendait des princes d’Aquitaine et avait reçu une éducation des plus raffinée. Il passa son adolescence à la cour de Neustrie, où sa passion pour la vénerie se déclara très tôt et ne fit que croître avec l’âge. Pour échapper à la tyrannie du maire Ebroïn, il quitta le palais et se réfugia auprès de son parent Pépin de Herstal. Cependant, son amour de la chasse était tel qu’il oubliait les devoirs religieux les plus élémentaires et négligeait sa femme, la jolie Floribanne, fille de Dagobert.

Or, il se fit qu’un jour de l’an 683, par un clair après-midi de novembre, Hubert chassait au milieu des forêts giboyeuses d’Andage. Tout à coup, il vit venir à lui un « dix cors » magnifique. La bête est réduite aux abois. Hubert s’apprête à sonner l’hallali. Mais alors, il se passe une chose étonnante ! Les bois du cerf se changent en une lyre magnifique, et, au milieu de cette lyre, apparaît une croix lumineuse. Hubert tombe à genoux, tandis que les chiens épouvantés s’enfuient. Soudain, du sein des frondaisons, une voix redoutable s’élève : « Hubert ! Hubert ! jusques à quand profaneras-tu mon nom ? » Le chasseur, terrorisé, reconnaît le Très-Haut. « Seigneur, implore-t-il, que faut-il que je fasse ? » - « Va vers Lambert, le saint évêque, reprend la voix, il te fera connaître mes volontés. »

Telle est, rapporte la tradition, l’histoire de la conversion du grand patron de l’Ardenne. Le miracle de l’apparition aurait eu lieu entre Saint-Hubert et Champion, près de l’endroit connu sous le nom de « Converserie ». Touché par la grâce, Hubert se rendit auprès de Lambert, qui l’envoya au monastère d’Andage. Puis, sa femme étant morte entre-temps, il s’enfonça dans la forêt, où il passa sept années de pénitence.

Hubert mourut à Tervueren en 727 et fut inhumé à Liège. Sous le roi Carloman, le 3 novembre 743, eut lieu l’exaltation des reliques ; on vit que le corps n’avait subi aucune altération. Les restes glorieux furent ramenés en grande pompe à Andage, le 30 septembre 825. Et, depuis ce jour-là, la petite cité ardennaise s’appela Saint-Hubert. Et depuis ce jour-là, et depuis ces temps prodigieux, tous les ans, le 3 novembre, des centaines de fidèles affluent à Saint-Hubert. Pèlerinage pathétique, tout empreint de sa primitive grandeur, et que n’oublieront certes pas ceux qui l’auront suivi !

Ce pèlerinage sera évidemment l’occasion de visiter la magnifique église abbatiale. Son origine remonte à 1525 ; elle a été élevée au rang de « basilica minor » le 4 juin 1927. Elle comprend cinq nefs et dix chapelles ; dans la dernière est exposée la châsse contenant les restes du saint. Autres curiosités de la ville : l’église Saint-Gilles, édifiée en 1050, et, face à l’Hôtel de ville, la belle « fontaine Redouté », hommage de la localité au célèbre peintre et lithographe Pierre-Joseph Redouté, l’un de ses plus illustres enfants.

Mais Saint-Hubert est aussi le cœur de l’Ardenne, le cœur de l’immense « Arduenna Sylva ». Si le « grand chemin de fer », pour des raisons que l’on a dites et redites (sans qu’on les comprenne pour autant), l’a malheureusement négligé, le « chemin de fer secondaire » a tenu à réparer cette bévue des hommes ; dès 1886, l’antique Andage était rattachée à la ligne Bruxelles-Luxembourg. Régulièrement desservi par le rail, et nœud routier important, Saint-Hubert offre à ses visiteurs de nombreuses possibilités touristiques.

Et d’abord, bien sûr, la forêt. Elle entoure la ville, elle l’enserre de ses milliers de bras. Bois de Warinsart, bois de Saint-Michel, forêt du Roi-Albert, forêt de Saint-Hubert, cœur innombrable et palpitant, ici, en vérité, la sylve est maîtresse ! Et combien belle, et combien romantique, dans les ors pâlissants de l’automne avancé ! Aimez-vous la marche, l’air vivifiant des hautes terres ? Je vous conseille cette visite à la chapelle de la « Converserie », à quelque sept kilomètres de la ville. Saint-Michel, non plus, n’est pas loin, et son fameux fourneau rénové. En chemin, au-dessus du plateau, vous vous arrêterez devant le très simple et très émouvant monument que l’Académie luxembourgeoise fit ériger à la mémoire du roi Albert.

Ou bien irez-vous à Nassogne, la vieille, la bimillénaire Nassogne, vous recueillir, dans la magnifique collégiale, devant la châsse de cet autre saint ardennais, le bon et courageux Monon ?

Ou irez-vous à Arville, le pays des « Lumeçons » (limaçons) ? Ou à Smuid, le pays des « Leups » (loups) ? Ou à Awenne, le pays des « Vais » (veaux) ? Ou à Anloy, le pays des « Fouâchettes » (perce-oreilles) ?

Mais tout proche, aussi, Amberloup, où en l’an 54, Indutiomar, chef des Trévires, et Ambiorix, chef des Eburons, s’entendirent secrètement pour surprendre les légions de Sabinus et de Cotta occupant, non loin de là, leur quartier d’hiver.

Et proches, de même, Grupont, Mirwart et Lesterny, ces perles ravissantes de la Lomme. Perles ferroviaires, aussi, car ces villages forestiers ont prêté leurs noms aux plus charmantes « haltes » du monde !

Ainsi s’achèvera, sur les rives du « grand chemin de fer », cette promenade automnale commencée dans un petit tramway de campagne.


Source : Le Rail, novembre 1961