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Gand

R. G.

mercredi 12 janvier 2022, par rixke

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Gand n’est pas un pur alliage.
Amalgame de tous les âges,
Mêlant l’espoir au souvenir,
Gand c’est la mode et l’habitude,
C’est la ville en décrépitude
En perpétuel devenir !

Edmond Boonen.

Gans, ville d’art et de souvenirs, n’a pas fini d’écrire son histoire...

Certains étymologistes ont pensé expliquer l’origine de son nom par le celtique « ganda », embouchure, vocable qu’auraient conféré à un habitat primitif, établi au confluent de l’Escaut et de la Lys, des éléments celtes ou protoceltes apparus en Occident au cours du premier millénaire avant notre ère. Plus vraisemblablement, la localité remonte au VIIe siècle, lorsque saint Amand, l’apôtre de la Flandre, y fonda deux abbayes, celle de Saint-Pierre sur le Mont-Blandin et celle de Saint-Bavon dans l’actuelle ville basse.

En 1180, Philippe d’Alsace, comte de Flandre, érigea, sur les ruines d’une antique forteresse, le fameux « Château des Comtes », auquel la restauration du XXe siècle devait rendre son aspect grandiose. Gand, dès lors, s’affirma comme le chef-lieu d’une Flandre déjà en pleine révolution économique. L’industrie drapière et lainière s’y étant fermement établie, la cité devint rapidement un port prospère. Une des premières, en Occident, elle pourra se prévaloir d’avoir constitué un corps de « métiers » et de « corporations » – les guildes – associations communales d’entraide, que les chartes, dont elles surent se fortifier, conduisirent, en pleine féodalité, à une véritable démocratie moyenâgeuse.

Des lustres de conflits et de guerres, souvent tragiques, n’empêchèrent pas la cité de prendre une surprenante extension. Au XVIe siècle, elle est désignée comme l’une des plus grandes villes de la chrétienté : « Je mettray Paris dans mon Gant », dira, fort orgueilleusement, à son rival François Ier, l’empereur Charles Quint. Quant à Guichardin, qui la visita en 1565, il verra en elle le sosie de l’opulente Milan.

L’ascension de la ville devait se poursuivre, du reste, et ceci malgré des hauts et des bas, tout au long de l’histoire. L’importation – mouvementée – des métiers mécaniques, dont le souvenir restera lié à jamais à l’extraordinaire aventure de Liévin Bauwens, assura au travail des textiles, dès le début du XIXe siècle, un fabuleux renouveau. En 1804, Gand est devenue la troisième ville manufacturière de l’empire français ; désormais, elle a droit au titre de « Manchester belge ». La fondation de l’Université, le creusement du canal maritime de Terneuzen, l’implantation des voies ferrées, qui permettait l’instauration de nouvelles industries, l’essor de son horticulture, enfin et particulièrement de la culture des fleurs, contribuèrent à faire de Gand, aujourd’hui peuplée avec ses faubourgs de 250.000 habitants, une métropole moderne et heureuse.

Car Gand, c’est aussi la ville des fleurs. La première exposition eut lieu en février 1809, dans un petit estaminet du quartier de la Coupure. Sur quelques planches frustes, religieusement posées sur les tables, s’alignaient une cinquantaine de plantes, le premier prix, raconte-t-on, devant récompenser une « rose mousse en fleurs ». Las ! il ne fut point décerné, nul « rosier mousse » n’ayant consenti à fleurir pour la date fixée. Ce qui n’empêcha pas, bien sûr, la « Société d’Agriculture et de Botanique » de poursuivre héroïquement ses efforts. Et les expositions se multiplièrent. Celle de 1814 ouvrit ses portes aux plénipotentiaires américains venus à Gand pour conclure la paix avec l’Angleterre. Guillaume Ier s’y intéressa, de même que Léopold Ier et la reine Victoria d’Angleterre. En 1837, tandis que s’achevaient les travaux de la ligne de chemin de fer de Bruxelles à Gand, la première exposition internationale d’horticulture en Europe était organisée.

Jusqu’alors, les manifestations florales avaient été annuelles, voire semestrielles. A partir de 1839, on décida que les expositions internationales auraient lieu tous les cinq ans. Les célèbres « Floralies » étaient nées ; leur faste, bientôt, allait étonner le monde. Quant aux établissements horticoles, ils s’accroissaient, dans le même temps, à un rythme accéléré. Ce sont eux qui fournirent à la ville de Nice, vers la moitié du XIXe siècle, les premiers palmiers de la « Promenade des Anglais ». De nos jours, Gand s’est spécialisée dans la culture des bégonias, des orchidées, des plantes vertes d’appartement et, surtout, des azalées, qu’elle considère comme son plus beau fleuron.

Riche d’une histoire admirable, Gand renferme une foule de trésors. En fait, elle est la ville qui compte, en Occident, le plus de monuments classés. Que nous citions seulement la cathédrale Saint-Bavon qui conserve « l’Adoration de l’Agneau Mystique », des frères Van Eyck, et « l’Entrée au Couvent de saint Bavon », de Rubens, le courageux beffroi, symbole des libertés communales, les églises Saint-Nicolas, Saint-Michel et Saint-Jacques, le fameux hôtel d’Hane-Steenhuyse, où descendit Louis XVIII fuyant Napoléon débarqué de l’île d’Elbe, son Hôtel de ville, sa halte aux Draps, ses béguinages, ses musées et, bien entendu, le château des Comtes et cet autre saisissant vestige des âges féodaux qu’est le ténébreux château de Gérard le Diable.

Oui, tant de grandeurs, tant de génie assemblé en ces lieux par les hommes, tant de chefs-d’œuvre glorieux, témoins d’un temps de lutte, de ferveur et de foi. Mais Gand n’est pas seulement un poème de pierre, un temple de froide beauté ! Il est couleurs, néons, musiques – joie de vivre ! Il est, pour le touriste, pour tous ceux-là qui aspirent à quelques jours de saine et reposante évasion, un délicieux rendez-vous de vacances.

Gand vous invite, en juin, à ses Régates internationales ; en juillet, à ses populaires fêtes communales ; en septembre, à son Corso fleuri, à son Festival international de Musique, à sa célèbre Foire internationale ; et, chaque soir, de juillet à septembre, au « Jeu du Château des Comtes », une extraordinaire évocation musicale en « stéréorama ». Extraordinaire, à la vérité, car ce nouveau procédé, où la musique détrônant le texte prend une place prépondérante, est une véritable révolution dans l’art du « Son et Lumière ». Grâce à des magnétophones à quatre sillons, la stéréophonie envahit littéralement l’espace. Les sons courent dans les pierres ; l’éclairage les suit, les habille, les matérialise. Ressuscitée par le stéréorama, la geste du château des Comtes atteint à un tragique qui la porte aux cimaises de l’art le plus pur.

Gand, cité de beauté et de poésie, où le présent baigne dans un parfum suranné. Gand des venelles somnolentes et des peupliers fatigués. Gand de l’Escaut tranquille, où passent, pareils à des maisons rêveuses, les lourds chalands venus de Tournai et de France. Gand d’Ermerik et de Baudouin Bras de Fer. Gand des trains claironnants et des sirènes mugissantes. Gand des fleurs, Gand de la plaine, du large vent et des mouettes attardées...

Le long du quai, quelque part sur les chemins du rail, des wagons viennent d’accoster, qui s’en vont faire un beau voyage. Le prendrez-vous, ce train déjà impatient, vous qui avez rêvé un jour de connaître cette ville qu’on appelle Gand ?


Source : Le Rail, février 1962