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Freeman Wills Crofts

P. Vankeer.

mercredi 19 juillet 2023, par rixke

L’ingénieur du rail qui devint auteur de romans policiers

Le milieu ferroviaire a souvent servi de cadre aux romans policiers. Pensons à Agatha Christie (Le crime de l’Orient-Express, Le Train bleu), à Patricia Highsmith (L’inconnu du Nord-Express), à Simenon (L’homme de Londres, Jeumont 51 minutes d’arrêt) et bien d’autres encore. Nous voudrions évoquer aujourd’hui un écrivain dont la vie et l’œuvre furent intimement mêlées au rail puisqu’il fut à la fois cheminot et auteur de « détective novels ». Il s’agit de Freeman Wills Crofts, dont les livres sont actuellement encore réédités en anglais dans la collection des « Penguin Books » alors qu’ils sont à peu près oubliés du public francophone, à l’exception de quelques amateurs du genre.

Né en 1879 à Dublin, Crofts (dont le nom d’ascendance écossaise signifie « petite ferme ») entame à l’âge de 17 ans des études d’ingénieur qu’il termine en 1899 pour entrer au service du « Belfast and Northern Conties Railway » où il obtient en 1909 le grade d’ingénieur en chef assistant. En 1919, de graves problèmes de santé l’obligent à prendre un long repos. En guise de dérivatif, il écrit un roman policier The Cask (La Barrique) qui est publié et remporte un franc succès. Encouragé par ces débuts prometteurs, Crofts continue sur sa lancée et « produit » presque chaque année un volume du même genre avant de prendre une retraite anticipée en 1929, année où il s’installe dans le riant comté du Surrey et se consacre exclusivement à son activité littéraire. Passant de l’état d’ingénieur ferroviaire à celui d’écrivain, le virus du rail ne le quitte pourtant pas. Beaucoup de ses livres font une large place au décor ferroviaire. En voici quelques exemples.

 Le dernier voyage de Sir Magill

(Sir John Magill’s lastjourney), Editions Gallimard, collection chefs-d’œuvre du roman d’aventures 1930.

Le roman débute dans le décor typique des chemins de fer britanniques : c’est l’express de nuit qui relie Londres (Euston) à Stranraer sur la côte ouest de l’Ecosse d’où l’on s’embarque pour une courte traversée jusqu’à Larne en Ulster pour continuer en train jusqu’à Belfast. Sir Magill, riche industriel, voyage dans l’express de nuit en voiture-lits. On l’aperçoit encore sur le bateau, un témoin le reconnaît près de Belfast mais son comportement devient erratique et l’on perd définitivement sa trace. L’inspecteur French, de Scotland Yard, (qui est l’enquêteur-type de l’auteur) refait le chemin parcouru par le disparu et détricote le stratagème utilisé par ses meurtriers.

 L’affaire Ponson

(The Ponson Case), Éditions Excelsior 1933.

Le corps de M. Ponson a été retrouvé noyé. Le suspect a un alibi en béton : le soir de la disparition de la « victime », il voyageait dans l’express de nuit Londres - Ecosse. Toutefois l’enquête prouve qu’il aurait pu se trouver à temps sur les lieux du « crime » et rattraper l’express dans une gare intermédiaire...

 Le meurtre de Groote Park

(The Groote Park Murder), Editions Excelsior 1933.

L’intrigue se passe pour les deux tiers en Afrique du Sud et pour un tiers en Ecosse. Ici aussi les hommes de Scotland Yard découvrent en consultant l’indicateur que le suspect numéro un a pu se rendre à Londres et en revenir suffisamment à temps pour commettre son méfait.

 Le rail sanglant

(Death on the way), Éditions Excelsior 1933.

Ici l’auteur nous plonge en plein cœur de l’activité ferroviaire. Une ligne est en construction dans le sud de l’Angleterre. Un ingénieur, puis un autre sont trouvés morts non loin des travaux. À force de recherches et de patience, l’inspecteur French trouve que ces crimes ont servi à dissimuler de fausses estimations du cubage des terres déplacées et il débusque le coupable.

 Le drame de l’île de Wight

(Mistery on Southampton Water) collection « L’Empreinte » 1935.

Une scène essentielle de ce roman se passe dans une voiture salon-pullman du train reliant Londres à Southampton en fin d’après-midi. À l’heure du thé (cérémonie sacrée pour les Anglais) un chimiste indélicat réussit à endormir son concurrent en introduisant dans le sucrier un sucre additionné d’un somnifère. Il s’empare du trousseau de clefs du voyageur endormi et prend une empreinte de la clef d’un laboratoire, ceci pour mettre la main sur un secret industriel.

 Mort d’un train

(Death of a train) Éditions Albin Michel 1950.

Un chef-d’œuvre ! L’action de ce roman se situe dans l’Angleterre des années de guerre. Un train composé de wagons vides déraille pour des raisons mystérieuses. Ce ne serait qu’un banal incident si ce train n’avait pas circulé dans le sillon horaire d’un train militaire chargé de produits stratégiques fragiles destinés aux armées en Afrique du Nord. C’était donc ce train militaire qui était visé et qu’un retard imprévu a fait circuler après le convoi de « vides ». il y a eu sabotage et l’inspecteur French remonte pas à pas vers le groupe d’espions pronazis qui a organisé le déraillement et parvient, au péril de sa vie, à mettre la bande hors d’état de nuire.

Il est à remarquer que F. W. Crofts précise toujours dans ses romans les heures de départ et d’arrivée des trains « enquêtes » et cela en conformité avec la réalité (et nous avons vérifié leur exactitude en consultant un indicateur des chemins de fer britanniques des années trente), à tel point que des critiques mauvaises langues ont dit que Crofts connaissait mieux l’indicateur des chemins de fer que le fonctionnement réel de Scotland Yard !

Spécialiste du roman d’enquête, Crofts possède l’art de créer une atmosphère de mystère dont seul un raisonnement impitoyable et de longues recherches permettent de démêler l’intrigue. L’inspecteur French fait chaque fois un véritable travail de fourmi en rassemblant tous les indices et en suivant patiemment les déductions rationnelles qui conduisent au but. Il est curieux de constater combien ce policier britannique se montre logique, voire cartésien, tout le contraire de son collègue français en littérature, le commissaire Maigret, de Simenon, qui agit, en « pragmatique », se fiant à son intuition et à son « flair ». Comme nous le disions en commençant, les livres de Crofts sont actuellement peu connus du public francophone. Aucun éditeur ne les a republiés depuis 1950 à l’exception d’une réimpression du Drame de l’île de Wight chez Slatkine en 1981. Il faut espérer qu’il se trouvera une maison d’édition qui aura la hardiesse de lancer une collection « omnibus » (encore un terme ferroviaire !) de ces excellents romans policiers. En attendant il vous reste la possibilité de fouiller dans les brocantes et chez les bouquinistes. Si d’aventure vous dénichez un des romans de Crofts cités plus haut, vous passerez un moment agréable à sa lecture.


Source principale consultée : Henri Mermet « L’homme qui venait du fer » dans « 813, Les Amis de la littérature policière », n° 52, 1995.

Source : Le Rail, juillet 1998