Accueil > Le Rail > Poésie - Lecture - Peinture > Le folklore ferroviaire (I)

Le folklore ferroviaire (I)

Joseph Delmelle.

vendredi 1er décembre 2023, par rixke

 Jeux et modélisme

Le folklore nous accompagne dans les différents âges de la vie. Dès l’enfance, le rail s’introduit, à sa façon, dans nos faits et gestes.

En Hainaut, dans le Centre, le jeu du roub dou doub consiste à faire sauter l’enfant sur les jambes des parents en imitant le roulement du train avec la secousse régulièrement provoquée par les séparations existant entre les tronçons de rails. Généralisé dans tout le pays, ce jeu ressemble fort à celui qui, se pratiquant de même, évoque le trot ou le galop d’un cheval. Il change quelque peu d’appellation selon les régions. C’est ainsi qu’il devient le roum’ dou doum’ à Verviers et dans les environs.

Les enfants aiment aussi, comme on dit en Wallonie, « jouer à machine » ou à « faire tchouc tchouc tchouc ». Très simple, le jeu consiste à courir à allure modérée, en levant les genoux assez haut et en balançant alternativement les bras pliés en angle droit, poings fermés, de façon à imiter le mouvement des bielles de la locomotive. Les pieds frappent le sol assez violemment tandis que le halètement de la machine est évoqué de la voix. Le jeu s’effectue seul ou à plusieurs, en chaîne. Dans ce cas, les éléments de la suite sont censés représenter les wagons ou, mieux, plusieurs locomotives accrochées les unes aux autres.

A Montignies-sur-Sambre, lorsqu’elles sautent à la corde, les petites filles s’accompagnent parfois de chansons naïves dont l’une commence de la sorte :

Bijou, acajou
Caramel de mon cœur
Machine à vapeur
Qui roule sur mon coeur...

Il s’agit là d’une de ces innombrables comptines nées de la fantaisie inventive, déroutant quelque peu notre logique, des enfants, ces poètes-nés. Certains auteurs se sont intéressés à ces « rimettes » ou « formulettes », dans lesquelles ils ont vu la forme la plus gratuite et la plus spontanée du lyrisme populaire. Maurice Carême [14] en a recueilli plusieurs dizaines dont celle-ci, pareille à un haï-kaï :

Sur la grand-route du ciel
Deux trains mystérieux se croisent
Et les voyageurs se saluent.

A côté des jeux, il y a les jouets, et chacun sait la place que le train occupe au royaume de ces derniers. Autrefois, les jouets entraient en possession des enfants grâce au « train de saint Nicolas », mais le patron des petits garçons et des petites filles sages semble avoir renoncé, aujourd’hui, au voyage par chemin de fer, empruntant de préférence l’avion et l’hélicoptère. Toutefois, le bon évêque continue à transporter, dans sa hotte, des jouets ferroviaires : trains en bois, à tirer au moyen d’une ficelle, pour les plus jeunes ; trains à usage de tirelire pour les petits épargnants , trains mécaniques, à locomotive à ressort ou à pression, et – enfin – trains électriques, dont certains respectent leurs modèles jusqu’en leurs moindres détails. Ces trains électriques, avec véhicules pour voyageurs ou marchandises, gares, haltes, ponts, viaducs, tunnels, passages à niveau, voies de garage, signaux, caténaires, etc., constituent de véritables maquettes circulant sur des réseaux en miniature, quelquefois très étendus. S’ils amusent les enfants, ils passionnent souvent les adultes, et la chose a souvent inspiré les dessinateurs humoristiques.

On trouve, même parmi les grands de ce monde, des amateurs acharnés du petit train électrique possédant, chez eux, d’extraordinaires circuits avec gares, aiguillages, signaux et tunnels, le tout situé dans un décor accidenté qui évoque une région alpestre. Certains organisent même des courses de locomotives miniatures. C’est ainsi que le Napoléon de l’hôtellerie française, Charles Ritz (73 ans en 1964), a rassemblé, autour de son réseau hors série, des princes et des magnats de l’industrie dont, si nous en croyons un écho publié il y a quelques mois dans la presse, le chah d’Iran, Je richissime Paul Getty, le roi du pétrole Nubar Gulbenkian, la « star » Barbara Hutton, etc. Le mystérieux appartement où est installé le circuit n’est accessible qu’à quelques-uns. Voir passer le petit train du Ritz, disait un de ses familiers, croyez-moi, c’est bien plus difficile que de gagner son premier milliard ! Evidemment, le plaisir de jouer au petit train électrique n’est pas l’apanage des seules personnes riches. Combien de personnes de condition sociale modeste n’y consacrent pas une partie au moins de leurs loisirs ?

Les adultes ne sont souvent que des enfants ayant oublié de ne pas grandir. Un de nos quotidiens [15] titrait un jour un de ses articles : Un Marcinellois qui n’a pas honte de jouer avec des petits trains. Nous en détachons ces quelques lignes : Camille Petit, qui habite 2, rue des Cayats, à Marcinelle, a un passe-temps auquel il consacre ses loisirs et un réel talent : dans son grenier s’enchevêtre un réseau ferroviaire miniature de 88 mètres de long... quelque cent cinquante wagons qu’il a construits lui-même... Deux matériaux ont nettement sa préférence sur tous les autres : des boites à allumettes et des plaques de radiographie...

Innée chez tous les hommes, la passion du jeu se conjugue, en l’occurrence, avec celle du bricolage ou, mieux, du modélisme et avec le goût d’apprendre. Appartenant à la catégorie des jouets scientifiques, le train électrique peut être autre chose qu’un moyen de divertissement. Signalons, à ce sujet, qu’il a été adopté – de préférence à la courroie transporteuse – par certains laboratoires spécialisés dans la recherche nucléaire, notamment à Wantage, dans le Berkshire, en Grande-Bretagne. Ce mode de transport inattendu, commandé à distance, permet de prélever sans danger des échantillons de matière radio-active à l’intérieur d’une chambre forte et de les emmener vers des appareils de contrôle de radiations.

Signalons en outre, ici, que certaines grandes personnes s’intéressent au jouet ferroviaire en tant qu’objet de collection. Afin de satisfaire leurs exigences (comme celles des enfants d’aujourd’hui qui recherchent l’illusion de la réalité bien davantage que ne le faisaient leurs devanciers), les fabriques et usines ont changé leurs techniques de production. Le jouet a gagné en exactitude ce qu’il a perdu en naïveté. D’autres collectionneurs, tournant le dos à ce qui se fait actuellement, recherchent les jouets du passé et, grâce à de vieux catalogues, peuvent dater leurs trouvailles avec exactitude et, le cas échéant, les reconstituer à la perfection. Certains de ces collectionneurs se bornent uniquement à rassembler les trains mécaniques d’autrefois dont, par exemple, les locomotives « catastrophe » fabriquées en France à partir de 1892 et considérées par eux comme de véritables petites œuvres d’art.

 Sur les champs de foire et les parcs d’attraction

Enfants et adultes trouvent leur agrément à jouer au train électrique. Il leur arrive bien souvent de se côtoyer aussi sur les champs de foire.

Dans leur ensemble, les foires d’aujourd’hui ressemblent assez bien, quoi qu’il semble, à celles d’il y a cinquante ou soixante ans. Une évolution s’est accomplie, certes. Les tourniquets ne sont plus ceux de jadis, écrivait déjà – en 1901 – un reporter ; la vapeur a remplacé la rosse étique qui faisait mouvoir la machine en tournant à l’infini dans son cercle fatal ; l’électricité a chassé les quinquets à l’huile. Mais ce sont les mêmes grosses farces débitées par des pitres ; c’est la gloire des biceps proclamée dans les mêmes défis superbes.

Les foires n’ont changé que dans le détail, étant moins romantiques et moins naïves que dans le passé. Nombre des attractions qu’elles rassemblent existaient déjà à la fin du XIXe siècle, moins perfectionnées qu’actuellement mais illustrant toujours un même principe, obéissant à une même technique.

Il y a longtemps, par exemple, que le train est présent dans l’agitation et le bruit des fêtes foraines, sous différentes formes. L’une de celles ayant le plus de succès demeure la « montagne russe ». En 1889, la foire du Midi, à Bruxelles, comptait déjà une de ces attractions remarquées. La « montagne russe » d’alors était toutefois circulaire. Cette même foire de 1889 comptait une innovation : un « téléférique » permettant la descente vertigineuse, à l’aide d’une roulette, au long d’un fil de fer faisant office de rail et utilisant fréquemment, comme moyen d’entraînement, la crémaillère (comme les chemins de fer de montagne) et, comme surface de mouvement, le rail qui servait déjà au « galopant » à chevaux de bois et à barquettes avec baldaquin de gala, inspiré – semble-t-il – des carrousels équestres que les dragons et lanciers de Léopold II ou de Napoléon III dessinaient lors des grandes festivités patriotiques.

L’attraction de la « montagne russe » existe toujours et continue à bénéficier de l’engouement populaire. Voici enfin, mascaret suprême de cet écoulement de clameurs, de girations et d’envols, écrivait un journaliste en 1932 [16], les hautes montagnes russes. Plus près de nous, en 1957, un autre journaliste notait : Dans le ciel se découpent les angles de fer des montagnes russes. Les wagonnets escaladent les rails en grinçant, péniblement. Et, tout en haut, ils hésitent, ils basculent dans le vide et tombent, vertigineusement, dans un bruit atroce de métal frotté. On a le visage fouetté, les muscles durs, le cœur entre les dents... [17].

Il y a la « montagne russe » et, aussi, le « train fantôme » qui s’avance dans un labyrinthe en tunnel peuplé de monstres et de spectres aux yeux effrayants, la « chenille » qui glisse sur ses rails luisants et dont la grosse toile dissimule fort à propos les amourettes naissantes. Il y a les carrousels avec vélos, motos, autos, tramways, locomotives et wagons. Il y a encore les petits canons sur voie ferrée qu’il faut lancer, à la seule puissance du biceps, jusqu’à la cible située tout au sommet d’une rampe difficile ; quand la cible est atteinte, un pétard explose, saluant le triomphe du joueur qui, du coup, est le point de mire matamoresque du cercle des badauds.

(à suivre)


Source : Le Rail, octobre 1965


[14Voir notamment La Poésie de l’Enfance dans le Journal des Poètes, 1re année, n° 7. 16 mai 1931.

[15La Dernière Heure du 18 janvier 1964.

[16Cité par Louis Quiévreux dans son Guide de Bruxelles, Ed. A. De Boeck, Bruxelles, nouvelle édition, sans date.

[17Yvon Toussaint dans La Fête continue... dans Le Soir du 25 juillet 1957.