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Le folklore ferroviaire (IV)

Joseph Delmelle.

mercredi 13 mars 2013, par rixke

 Médailles cartes illustrées et bibelots.

Le vacancier ne manque pas d’envoyer, à ceux qui lui sont chers, des cartes illustrées. De plus, il arrive fréquemment que le touriste rapporte, à ses proches ou à ses amis, quelque bibelot marqué du nom d’une des étapes de son voyage. Ce faisant, il répète, sous une autre forme, un usage qui remonte au XIe siècle.

Les pèlerins du Moyen Age avaient généralement, comme but de leurs lointaines expéditions, quelque réputé sanctuaire. Ils en rapportaient des médailles que, lors de leur retour au pays, ils offraient à leurs parents... Mais, comme certains filous en revendaient, à des prix usuraires, à des captifs qui, pour obtenir le pardon de leurs fautes, étaient condamnés à visiter quelque lieu saint, la possession d’une médaille ne fut plus considérée comme probante. La ruse des fraudeurs ayant été éventée, on exigea que le délinquant revint porteur d’un tatouage réalisé sur le lieu même où il avait été envoyé.

Le bibelot et la carte illustrée perpétuent donc une curieuse et ancienne coutume. La généralisation du voyage par rail a eu pour effet d’influencer la présentation de ces objets, dont beaucoup sont illustrés d’un motif ferroviaire.

Les plus âges de nos lecteurs ont connu le temps où nombre de cartes illustrées montraient une locomotive fumante avec, en médaillon, un jeune homme ou une jeune femme portant un bouquet de fleurs. Une formule dégageait le sens de la composition artistique ou du montage photographique. Elle disait, par exemple, Je serai bientôt de retour ou Mon cœur voyage vers vous. Parfois, l’effigie figurait sur l’avant de la machine. Ces images étaient très « parlantes ».

La décoration des assiettes, nappes, napperons, foulards et autres « souvenirs » continue à recourir, assez souvent, au motif ferroviaire qui, de plus en plus répandu, se retrouve sur certains cahiers d’écoliers. Une série de ces cahiers, encore en circulation dans le milieu scolaire, évoque « les plus grandes réalisations européennes », dont celles du rail. Sont reproduites, en couverture, deux locomotives récentes. Bien entendu, il ne s’agit pas là d’une exception, mais d’un exemple choisi, au hasard, parmi beaucoup d’autres.

 Affiches.

Les cartes illustrées et les bibelots dont nous venons de parler brièvement pourraient être considérés comme des agents de publicité déguisés. Les cartes illustrées ne sont-elles pas, eu quelque sorte, des affiches en réduction ?

L’affiche illustrée, qui apparut en France au XVIIIe siècle, lisons-nous dans le Larousse en deux volumes, s’est développée avec la lithographie et est devenue un art depuis que Chérel imagina, vers 1866, les affiches en plusieurs tons.

Suivant le mouvement d’ensemble de l’évolution esthétique, l’affiche est devenue un puissant élément de persuasion commerciale auquel les sociétés ferroviaires ne manquent pas d’avoir recours. Il y aurait beaucoup de choses à dire au sujet de ce moyen de propagande ou de publicité, de son histoire et de l’utilisation des sujets empruntés au rail ou, par exemple, à l’univers paysagiste dont le rail favorise la découverte. Les réflexions suivantes [7], faites au sujet des vitrauphanies publicitaires qui étaient apposées sur les vitres des motrices et des remorques des tramways urbains et vicinaux, sont d’application en l’occurrence : En regardant ces affichettes, on est surpris de constater à quel point le goût des artistes publicitaires et même du public a évolué en quarante ans. La plupart de ces compositions semblent vieillottes et quelque peu ridicules, même aux gens d’un certain âge ; quant aux jeunes qui préparent les « Beaux-Arts » ou qui suivent les cours de publicité, ils jugent que ces dessins sont mauvais... C’est une tranche intéressante de l’histoire de la publicité... C’est de l’actualité périmée. C’est le reflet des grands et menus faits de l’existence d’un peuple. C’est du folklore.

Il y aurait beaucoup à dire, répétons-le, au sujet des affiches et des autres moyens publicitaires dont le rail a fait et continue à faire usage. Ce n’est pas toujours à son seul profit que le chemin de fer a fait alliance avec la publicité. Contentons-nous de rappeler, à ce propos, l’époque du gouvernement Van Acker, époque qui vit fleurir, sur les flancs de certaines locomotives, l’inscription Ne vous laissez pas faire !

La publicité fait généralement appel à l’art, particulièrement au dessin. Si la S.N.C.B. a fait appel aux dessinateurs pour ses campagnes publicitaires, elle a aussi eu recours à eux dans le but de moderniser les formes de ses machines et pour résoudre le problème de l’aménagement des voitures. Les architectes, qui se rattachent à la grande famille des dessinateurs, ont été mis à contribution afin d’adapter les gares et les bâtiments administratifs aux lignes d’harmonie du paysage, que celui-ci soit urbain ou rural, ainsi qu’aux caractères traditionnels de chaque région. Commandées par l’évolution du goût et par les nécessités de l’exploitation, ces adaptations ne font que mettre la permanence au présent. Le principe demeure, la base subsiste, mais la vie, qui ne cesse jamais d’avancer, exige des « actualisations » qui permettent à ce qui fut d’être ce qui est et ce qui sera.

 Indicateurs.

Nous avons dit un mot des « bibliothèques de gares » ainsi que des cartes et des affiches. Restons dans le domaine des « imprimés » et parlons, en ordre principal, des « guides ».

Le premier « guide officiel » des chemins de fer belges n’était nullement comparable aux indicateurs actuels. En fait, il se réduisait à quelques lignes insérées aux pages du journal officiel : le Moniteur. C’est ainsi que, en date du 28 avril 1836, celui-ci publiait comme suit, en tête du numéro, les heures de départ de la seule ligne Bruxelles-Anvers qui existait alors :

PARTIE OFFICIELLE

Ministère de l’Intérieur

CHEMIN DE FER

Fixation des heures de départ

Le ministre de l’Intérieur fait connaître qu’à partir du 4 mai prochain, les départs auront lieu sur le chemin de fer aux heures suivantes :

De Bruxelles et d’Anvers

6 ½ heures du matin ;

9 ½ heures du matin ;

11 ½ heures du matin ;

2 ½ heures de relevée ;

4 ½ heures de relevée ;

6 ½ heures du soir.

Les départs auront lieu de Malines, soit pour Bruxelles, soit pour Anvers, au moment du passage des convois en destination pour ces deux villes.

Les voyageurs sont invités à se trouver à la station à Matines trente minutes après les heures fixées pour les départs de Bruxelles ou d’Anvers.

Le ministre de l’Intérieur, DE THEUX.

Le premier Guide officiel des Voyageurs sur les Chemins de Fer de Belgique devait être publié, en 1848, non pas par la direction du rail, mais par un éditeur privé couvert par l’approbation de l’Administration des Chemins de Fer, Postes & Télégraphes. Auparavant, divers ouvrages avaient vu le jour, parmi lesquels un Guide indispensable du Voyageur ayant pour auteur Duplessy (1840), un Atlas pittoresque des Chemins de Fer de la Belgique par Alphonse Wauters (1840) et un Itinéraire général topographique et descriptif des Chemins de Fer belges réalisé par Landoy (1843). Ces différents ouvrages répondaient à une nécessité, la plupart des usagers du rail ne lisant pas le Moniteur, qui se bornait à ne renseigner que l’essentiel. Ajoutons que, à partir de 1846, des feuilles volantes, reproduisant les tableaux horaires des diverses lignes du réseau, furent mises à la disposition des usagers.

Les ouvrages édités par des particuliers furent très appréciés par les voyageurs de l’ère héroïque du chemin de fer. Au sujet de l’Atlas de Wauters, Pierre Novelier faisait observer : Nos pères pas pratiques ? Mauvais touristes ? Assis dans leur compartiment, ils ouvraient l’atlas, qui leur permettait, à tout instant, de suivre sur un plan le tracé de la ligne empruntée et de voir représentés églises, hôtels de ville, moulins, châteaux, etc., visibles de leur observatoire mouvant... [8]. De leur côté, les livres de Duplessy et de Landoy contenaient des descriptions, quelquefois emphatiques, des parties les plus intéressantes du réseau. C’est ainsi que, parlant de la ligne de la Vesdre, ouverte depuis peu à la circulation des trains, Landoy disait : Nous quittons Liège ; nous allons parcourir la section la plus intéressante des chemins de fer belges ; là, des difficultés insurmontables en apparence ont été vaincues, de profondes vallées ont été comblées, de hautes collines formées du roc le plus dur ont été percées à leur base ; des ponts, gigantesques par leurs proportions, admirables par leurs formes, ont été jetés d’une rive à l’autre des rivières et des torrents, pour laisser passer ces chemins qui laissent loin derrière eux les chaussées romaines, naguère encore objets d’une curieuse et impuissante admiration...

Mais revenons-en au « guide officiel », né, ainsi que nous l’avons rappelé, en 1848. Ce premier indicateur n’avait que huit pages rosés. En 1868, le « guide », qui paraît alors mensuellement, a 112 pages. Son éditeur ayant changé, sa présentation est modifiée en 1869. Pendant deux années, en 1879 et 1880, il devient partiellement bilingue pour redevenir, ensuite, unilingue français. En 1897, il subit une transformation radicale : la couverture est polychrome, décorée des armes et du Lion de Belgique entourés des écussons des neuf provinces. Le volume prend de l’importance : près de 400 pages. En octobre 1909, le guide devient entièrement bilingue. Un essai d’édition unilingue flamand avait été entrepris auparavant mais n’avait pas eu beaucoup d’acheteurs : 12.000, alors que l’édition française liquidait aisément ses 150.000 exemplaires. Pour réagir contre le guide bilingue encombrant, impratique et désagréable, contre lequel protestent avec énergie la grande masse des voyageurs [9], la Ligue nationale pour la Défense de la Langue française fit paraître un guide commode parce que plus clair et moins volumineux. Par ailleurs, en 1911 et 1912, l’éditeur Dufrane-Friart, de Frameries, sortit des Horaires abrégés. La formule a été reprise il y a quelques années par la S.N.C.B., qui, outre ses indicateurs officiels, propose à sa clientèle un fascicule : Nos meilleurs trains, présenté sous une couverture d’allure publicitaire, avec dessin et légende : Hommes d’Affaires, prenez le Train.

On pourrait parler ici d’autres imprimés, dépliants, tableaux, brochures diverses, qui sont, en quelque sorte, complémentaires à l’indicateur officiel, qui, s’étoffent et s’améliorent d’année en année, est devenu le plus précieux auxiliaire du voyageur.

(A suivre.)


Source : Le Rail, janvier 1966


[7Revue Nos Vicinaux de décembre 1963.

[8Article Guides de la Belgique dans le journal Le Soir du 2 avril 1964.

[9Georges Leroy dans Les guides horaires des trains en Belgique, Bulletin officiel du T.C.B. du 15 juin 1914.