Bruxelles-Paris : 150 ans de trains (IV)

Des TEE aux TGV

1957 fut l’année de la signature du Traité de Rome inaugurant le Marché commun. Ce fut aussi un grand « millésime » pour les chemins de fer européens qui mirent en service, le 2 juin, le réseau des « Trans Europ Express » basé sur un matériel neuf constitué d’autorails rapides de 1^re classe avec supplément.

Un modèle unique de TEE ne put être concrétisé ; il existait des rames allemandes, françaises, italiennes et néerlando-suisses.

Voyons ce que cela donnait pour la ligne Bruxelles-Paris.

Le temps de parcours s’établissait à 2 h 45 !

Les TEE de 7 h 45 et 16 h 16 étaient assurés par des rames néerlando-suisses comportant 114 places assises et une petite salle de restaurant. En fait c’étaient de petits trains diesel à composition fixe formés d’une motrice (tirant ou poussant suivant le sens de la marche), de deux « remorques » intermédiaires et d’une remorque-pilote.

Le TEE de 20 h 55 était assuré par une rame française (dérivée des classiques RGP = rames à grand parcours) où les repas étaient servis aux voyageurs à leur place. Ces rames d’autorails présentaient davantage de flexibilité : elles circulaient à trois éléments entre Amsterdam et Bruxelles et à cinq éléments entre Bruxelles et Paris. La capacité maximale avoisinait alors les 190 places.

L’été 1958 fut marqué par l’Exposition universelle de Bruxelles et cette fois encore les visiteurs français furent nombreux. Le train de soirée venant d’Amsterdam fut alors dédoublé du 27 juin au 1^er eptembre entre Bruxelles et Paris. Par ailleurs, la faible capacité du TEE Étoile du Nord (départ de Bruxelles à 16 h 17) obligea la SNCB et la SNCF à faire circuler six minutes plus tôt un dédoublement constitué par une rame TEE française de deux éléments. Mais l’affluence était telle que souvent cette rame de dédoublement se révélait insuffisante avec ses 75 places et qu’elle dut être remplacée par un train à vapeur constitué de voitures ordinaires de 1^re classe !

Au cours des années suivantes, les réseaux belge et français électrifièrent progressivement l’artère Bruxelles-Paris ; ce qui obligea à « fractionner » les convois autres que les « diesels », partiellement en « vapeur » et partiellement en « électrique » avec d’inévitables détentes d’horaires. L’année 1963 vit la fin des travaux et la ligne complètement électrifiée fut inaugurée le 9 septembre. Bien que les courants de traction fussent différents (SNCB 3 000 volts en continu ; SNCF 25 000 volts en monophasé), il n’y eut pas d’arrêt à la frontière grâce à la mise en service de locomotives polycourant. Pour les rares convois ne disposant pas de ce type de locomotives, des voies « bifréquence » furent installées en gare de Quévy.

L’indicateur de l’hiver 1963-64 apporta de substantielles modifications. Le TEE Étoile du Nord fut avancé de plus de quatre heures (départ de Bruxelles à 11 h 50) et un nouveau TEE – le Brabant – fut créé l’après-midi (départ 17 h 17). Le meilleur temps TEE tomba à 2 h 38 minutes (près de 120 km/h de moyenne) tandis que les trains « ordinaires » reliaient les deux capitales en 3 heures et quelques minutes avec des arrêts à Mons, Aulnoye et Saint-Quentin.

Les voitures TEE « tractées » étaient en acier inox.

Elles furent commandées en commun par la SNCF et la SNCB et mises en « pool ». On y trouvait différentes dispositions :

huit compartiments à six places, voitures à couloir central pour le service des repas sur place, voitures mixtes avec cuisine ou bar, fourgon générateur pour la production d’air conditionné.

Le « train de nuit » fut supprimé : son utilité fut contestée, étant donné le raccourcissement des temps de parcours le jour.

Quant aux dernières voitures Pullman encore en service, leur style « art déco » parut vite désuet face au nouveau matériel et elles furent bientôt retirées de la circulation.

Mais le progrès ne s’arrêta pas le 9 septembre 1963.

Des gains de temps furent encore réalisés au cours des années suivantes. C’est ainsi qu’en 1968 on trouvait deux TEE qui accomplissaient le parcours en 2 h 20 (moyenne 133 km/h).

Ce "meilleur temps" fut le record absolu sur la ligne classique, il ne fut jamais dépassé. Quant aux trains "ordinaires", ils "faisaient la ligne" en moins de trois heures.

À l’hiver 1974-75 l’offre TEE fut encore améliorée par la création d’un train très matinal (le "Rubens") arrivant à Paris à 9 h 05 et d’un autre (baptisé "Memling") partant de Bruxelles à 18 h 40. Destinés aux hommes d’affaires, ces deux trains ne circulaient que du lundi au vendredi et étaient supprimés en juillet et août.

Les voyageurs "ordinaires" ne furent pas oubliés : on créa à leur intention, au milieu de l’après-midi, un nouveau train avec 1^re et 2^e classes venant de Cologne via Bruxelles.

En 1979, la grille des TEE était à peu près la même (quelques suppressions à des jours de faible fréquentation).

Un nouveau train "ordinaire" (voitures corail SNCF arrêts à Mons, Aulnoye, Saint-Quentin) partait de Bruxelles à 17 h 53 pour être à Paris à 20 h 40. Sur la demande insistante de la SNCF ce train fut mis "à supplément" en raison de sa situation dans un sillon fort recherché. Toutefois ce supplément exigé pour un train n’offrant ni vitesse, ni confort exceptionnels fut dissuasif et son taux d’occupation resta assez faible, du moins au départ de Bruxelles.

Par ailleurs le train de nuit fut réinstauré (Bruxelles-Midi 0 h 32, Paris 6 h 42 ou 6 h 50 selon les jours). Il comportait des couchettes de 1^re et 2^e classes. Venant d’Amsterdam, il transportait surtout une clientèle néerlandaise mais prit quand même à bord un certain nombre de Bruxellois désireux d’être à Paris à la première heure.

Toutefois la crise économique commencée vers 1975 se faisait de plus en plus sentir. Les voyages de prestige diminuèrent sensiblement et la clientèle des TEE se fit plus rare. L’offre apparut exagérée par rapport à la demande et les réseaux durent faire des économies de trains-km. Les négociations SNCB/SNCF aboutirent pour 1984 à la décision suivante : deux TEE (toujours exclusivement de 1^re classe) furent maintenus entre Bruxelles et Paris avec des horaires quelque peu détendus ; deux autres devinrent accessibles à la 2^e classe (un certain nombre de voitures inox furent transformées à cet effet) et portèrent désormais le sigle IC (Intercity) ; deux autres TEE disparaissaient purement et simplement.

Remarquons qu’un train de voitures-lits et couchettes, spécialisé dans le trafic Bénélux Côte d’Azur partait de Bruxelles tous les jours de juillet et août ainsi que certains jours de juin et septembre. Comme il "évitait" Paris, son étude sort du cadre de cet article.

Pour la petite histoire, signalons que ce fut à l’hiver 83/84 que débuta l’opération TEE-Opéra permettant aux Parisiens, amateurs de bel canto, de venir le dimanche après-midi aux représentations de "La Monnaie".

En 1987-88 plus de TEE ni d’IC ! Tous les trains de prestige devinrent EC (Eurocity) à la suite de l’accord conclu entre les réseaux de l’Europe occidentale. La grille horaire resta pratiquement inchangée sinon que le train de nuit fut accéléré et spécialisé dans le trafic Pays-Bas - France : il passait en effet à Bruxelles-Midi en pleine nuit à 1 h 53, ce qui découragea certainement les candidats voyageurs bruxellois !

Au début des années 90 les deux derniers EC-ex TEE encore exclusivement de 1^re classe s’ouvrirent à la clientèle de 2^e classe. Mais voici que le prestigieux nom TEE refaisait surface : il fut appliqué en 1993 aux rames inox Bruxelles-Paris. Un nouveau nom fit même son apparition sur la ligne : le TEE Watteau.

Ce fut alors le chant du cygne pour les TEE et les célèbres rames inox qui furent progressivement remplacées par des TGV utilisant la ligne 94 (Bruxelles-Lille) et le "TGV Nord" en France.

En 1995 le meilleur temps de parcours pour les TGV empruntant cet itinéraire était de 2 h 17 minutes.

Aujourd’hui

Et nous en arrivons au 2 juin 1996 (exactement 39 ans après la création des TEE) où l’exploitation Bruxelles-Paris est intégralement assurée par des TGV via le "TGV Nord" à l’exception du train de nuit Amsterdam-Paris qui continue à parcourir la ligne "classique". On regrette que la ligne à grande vitesse (LGV) n’ait pu être terminée sur le territoire belge pour le 150^e anniversaire de la liaison ferroviaire entre les deux capitales mais les péripéties politico-communautaires belgo-belges ont retardé l’achèvement du chantier qui ne sera fin prêt que dans deux ans. Les TGV suivent actuellement la ligne 96 jusqu’à Mons, puis la ligne 78 jusqu’à Antoing où ils rejoignent le premier tronçon belge de la LGV (ligne à grande vitesse).

La desserte est désormais cadencée : départ toutes les heures de 7 h 00 à 20 h 02 (sauf à 13 h 02 car il faut laisser « un blanc » sur la LGV Nord en France pour permettre l’entretien des caténaires). Le trajet s’effectue en 2 h 03 (2 h 05 minutes pour les trains s’arrêtant à Mons). Quatre TGV viennent d’Amsterdam (les rames Thalys qui sont aptes à circuler sur les NS), deux autres sont amorcés à Liège et un à Anvers.

En quelques pages nous avons parcouru un siècle et demi de liaison ferroviaire Bruxelles Paris.

À l’horizon du XXI^e siècle, les trains Bruxelles-Paris abordent avec confiance une ère nouvelle de leur histoire.

Principaux ouvrages consultés :

• Emile Pondevaux, Le Nord, Lille 1931 ;
• Ulysse Lamalle, Histoire des chemins de fer belges, Bruxelles 1942 ;
• La ligne internationale Bruxelles-Paris, éditions PFT, Bruxelles 1991 ;
• La Vie du Rail, numéro spécial Électrification Paris-Bruxelles, Octobre 1963.

Nous remercions Monsieur Bay, de la division 10.21 qui nous a procuré les horaires de 1958 à 1988.