Accueil > Le Rail > Histoire > La gare fantôme

La gare fantôme

H. Hayen.

mercredi 12 avril 2023, par rixke

 Du petit village congolais au palais

En 1897, l’Exposition universelle de Bruxels fut l’occasion rêvée pour le roi Léopold II d’attirer l’attention sur la colonie belge, sa grande affaire. Jusqu’alors l’intérêt pour ce territoire lointain était modéré. Il fit donc construire quelques pavillons ainsi qu’un petit village congolais à Tervueren, en prolongement de la véritable exposition. Pour authentifier ces aménagements, il fit encore venir 250 Noirs pour s’y « exposer ». Il favorisa l’accès du site par la création de la prestigieuse avenue de Tervueren qui relie cette commune au Cinquantenaire. Cette carte de visite n’était pas innocente : elle visait à couper court aux critiques de l’étranger relativement à l’exploitation de notre colonie.

C’était un projet de grande envergure et il eut été dommage de ne pas conserver les collections dans un site définitif. L’architecte A. Giraud, pressenti à ce sujet, leur dessina un palais et le musée de Tervueren fut inauguré en 1910. Il a fêté son centième anniversaire l’année dernière.

 En train à Tervueren

Durant l’exposition, la ligne ferroviaire Bruxelles - Tervueren fut abondamment fréquentée. Ce fut d’ailleurs une des périodes les plus rentables de l’histoire de la ligne. Une histoire qui commença avec « La Patache », sorte de diligence primitive qui assurait une fois par jour l’aller et retour depuis le lieu-dit « Den Spiegel » à la vieille poste au marché de Tervueren jusqu’à la place de la Monnaie à Bruxelles. Quand on envisagea la réalisation d’une jonction ferroviaire entre les gares de Bruxelles-Midi et de Bruxelles-Nord, l’ingénieur Le Hardy de Beaulieu estima qu’il ne fallait pas perdre les précieuses minutes gagnées dans la capitale en continuant à rejoindre Louvain en passant par Malines pour les voyages à destination de l’Allemagne. En conséquence, il proposait d’atteindre Louvain soit par Kortenberg, soit par Tervueren. C’est la première solution qui fut retenue et la ligne fut ouverte en 1866. À Tervueren, l’on continua à revendiquer une liaison ferroviaire directe avec Bruxelles et celle-ci devint réalité le 15 septembre 1882. Pendant l’exposition, un train circulait sur cette ligne toutes les dix minutes et on dénombra jusqu’à 100 000 voyageurs par jour ! Après cet événement, le nombre de voyageurs décrut sensiblement tandis qu’un nouveau concurrent s’imposait, le tram. Ce dernier avait en outre l’avantage d’atteindre le cœur de la capitale. La ligne connut encore une embellie quand elle fut louée en 1927 pour cinquante ans à la Société générale du chemin de fer économique de Bruxelles à Tervueren, une filiale d’Electrabel. Elle fut restaurée et électrifiée (cfr Le Rail 11/96) avec comme résultat une augmentation du nombre de voyageurs et des circulations (jusqu’à 35 allers et retours par jour).

Après la Seconde Guerre mondiale, la fréquentation de la ligne diminua à nouveau. Électrabel décida le 32 décembre 1958 sa fermeture définitive et la ligne revint alors à la SNCB. Elle fut brièvement réservée au trafic marchandises jusqu’en 1965.

 Apogée et déclin de la gare scandinave

Pour l’exposition, le terminus de la ligne fut déplacé vers la chaussée de Louvain. On y érigea une gare monumentale ainsi qu’un hangar à marchandises et leurs ateliers respectifs. L’architecte ferroviaire Seulen qui venait de gagner ses galons à Schaerbeek en était le responsable.

Le complexe se situait à proximité de l’arrêt du tram, qui existe toujours, et le long de la Grensstraat.

La gare de Tervueren était unique en son genre et on en qualifia le style de Scandinave. Si ce l’était reste à prouver ; néanmoins le toit fut fabriqué en bois par des charpentiers Scandinaves.

La gare disposait d’un certain nombre de voies : de départ et d’arrivée (après 1931, avec des quais surélevés), des voies de garage ainsi que d’autres donnant accès aux ateliers protégés par un auvent classique.

Il y avait encore deux voies pour la cour à marchandises, l’une pour le service de l’embarcadère et du débarcadère, qui existe encore en partie, l’autre pour les hangars.

Lors de la fermeture de la gare, on pensa y installer un musée du transport public. Cependant, les amoureux du rail durent s’incliner devant l’indifférence des politiciens et des fonctionnaires.

La ligne fut démontée ; le pont de la Woluwe enjambant l’avenue de Tervueren disparut en 1972 et la gare elle-même en 1987. Le hangar à marchandises de la Grensstraat échappa à la destruction pour une raison inconnue mais devint la victime du délabrement et du vandalisme.

 La brasserie Spoorloos station

La brasserie Spoorloos station est située chaussée de Louvain, 10a à 1970 Weezembeek-Oppem (en face du musée de l’Afrique de Tervueren).

Sans l’intervention d’un certain Dirk Tegenbos, cet exemplaire de notre patrimoine industriel serait à l’heure actuelle rayé de la carte. Ce compatriote en a fait un café unique en son genre : la brasserie Spoorloos station. Architecte d’intérieur, Dirk Tegenbos n’avait encore jamais pratiqué son métier avant de s’attaquer à la restauration de ce hangar. Je l’ai visité, non seulement pour y boire un verre, mais aussi et surtout pour connaître les raisons qui ont poussé notre homme à entreprendre pareille aventure. N’ayant aucun lien avec le chemin de fer, pourquoi s’est-il entiché de cet endroit au point de vouloir le ressusciter ?

Dirk Tegenbos est né et a grandi à Tervueren. Le train électrique de son enfance reste un souvenir inoubliable. Un brin de nostalgie ainsi que la conviction que feu la gare de Tervueren méritait plus que cette évocation lointaine l’ont amené tout simplement à louer l’endroit et les terrains alentour pour une durée de 27 ans à la SNCB.

Dès le départ, il sut ce qu’il voulait en faire. Quatre ans plus tard, il commençait les travaux. G. Feron, cheminot pensionné et passionné l’aida dans ses recherches de matériel authentique pour sa gare. C’est ainsi qu’il lui fournit entre autres des copies des plans originaux.

Le hangar, laissé à l’abandon pendant trente ans, était complètement dégradé ; le toit en bois avait brûlé, aussi le remplaça-t-il par une couverture métallique des plus judicieuses. À l’intérieur, c’est l’atmosphère des chemins de fer d’antan qu’il a réussi à évoquer. Il a dessiné le comptoir en s’inspirant des guichets en bois des récoleurs qu’il a observés au dépôt de Louvain. C’est d’ailleurs le seul mobilier récent que l’on trouve dans la brasserie dont une grande partie est occupée par un véritable wagon presque sexagénaire. Ce fut un réel exploit que de l’amener depuis Ostende et l’installer à l’intérieur : il fallut percer un mur latéral pour l’y introduire. Restauré, il fut posé sur des rails que Dirk Tegenbos lui-même enleva à l’atelier central de Louvain.

Meublé avec des tables et des chaises provenant de Schaerbeek, c’est devenu l’espace non-fumeur de la brasserie.

Ne cherchez rien ici qui n’appartienne au chemin de fer : il a écumé beaucoup de gares et d’ateliers pour y acheter du vieux matériel au prix du kilo de ferraille. Tout est d’origine et dans l’état où il l’a trouvé. Les horloges sont curieusement arrêtées et à ma question, il a répondu laconiquement qu’ici le temps n’existait pas. C’est comme si les clients remplaçaient la main-d’œuvre ayant fini sa journée à l’atelier.

Les escaliers métalliques ainsi que les rampes menant à l’étage proviennent des mines de Heusden : en panne d’originaux, cela lui sembla la meilleure solution. L’étage est meublé avec des banquettes et des porte-bagages des trains de voyageurs de la SNCB, datant de l’après-guerre, de telle sorte qu’il fait penser à un compartiment. Une peinture rappelle l’état originel de la gare.

La pompe à bière fut amorcée pour la première fois au moment où le feu d’artifice éclatait pour fêter le centenaire du musée de l’Afrique, soit le 31 août 1997. Aujourd’hui, j’ai en face de moi un homme heureux et plein d’autres projets. S’il reste à effectuer encore quelques travaux de finition, il envisage aussi l’installation d’une nouvelle et grande cuisine. Celle-ci sera aménagée dans un wagon de marchandises, lequel est déjà installé à l’extérieur du bâtiment. Ce dernier accède à travers le mur par le soufflet d’origine au wagon voyageurs. Il a encore le projet d’embellir les terrains alentour : les accotements le long de la terrasse vont être plantés, une haie décorative ainsi qu’une clôture blanchie à la chaux achèveront de donner l’impression d’une vieille gare. Ce sont des photos de celles-ci qui lui en ont donné l’idée.

Pour l’été, il prévoit des concerts en plein air (un wagon plat servira de podium), des marchés et des bourses d’échanges. Actuellement, il met la dernière main à un montage de 200 diapositives qu’il compte projeter en continu pour encore mieux restituer l’atmosphère du chemin de fer.

La clientèle qui fréquente la brasserie est aussi variée que l’intérieur lui-même. Le midi, l’on vient pour s’y restaurer légèrement ; l’après-midi, l’on y rencontre essentiellement des promeneurs et des visiteurs du musée ; le soir enfin, c’est monsieur-tout-le-monde qui s’y attable. ... illisible ...


Source : Le Rail, avril 1998

Sources :

  • Un tram pour le Congo de G. Feron ;
  • Entretien avec Dirk Tegenbos.