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Paysages ferroviaires (IV)

J. Delmelle.

mercredi 15 avril 2015, par rixke

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Comprenant deux ouvertures de 46 mètres, le pont établi sur l’autoroute de Breendonck - Saint-Nicolas, à Bornhem, offre aux regards une silhouette très fonctionnelle. Ses poutres principales, disposées en garde-corps, sont à âme pleine. A Malines, le pont de type Vierendeel qui passe au-dessus de la chaussée de Louvain et des voies vers Muysen, a une portée de 89 mètres. Plusieurs des ouvrages d’art jetés sur le canal Albert sont d’une conception identique. Celui d’Herentals, d’une portée de 89 mètres 50, est à membrures supérieures paraboliques comme celui de Gellik, près de Lanaken, qui a la portée la plus grande de tous les ponts du réseau belge : 112 mètres 75. La hauteur maximale des poutres principales atteint 16 mètres 85.

La province de Brabant compte quelques ouvrages d’art remarquables à l’un ou l’autre point de vue : pont-route de Mont-Saint-Guibert, franchissant avec aisance et légèreté la tranchée du chemin de fer ; passage supérieur de Hal, en béton précontraint de 30 mètres 40 de portée ; pont-route de Schaerbeek, ou pont Albert, courant au-dessus du grill de la gare de formation ; ensemble de la jonction Nord-Midi, à Bruxelles, dont nous reparlerons ; et, enfin, viaduc de Pède-Sainte-Anne. Celui-ci, construit en béton semi-armé, domine la vallée de la Pède d’une vingtaine de mètres et livre passage aux trains de la ligne Bruxelles - Gand. Il comprend 16 voûtes de 23 mètres 16 d’ouverture et est l’unique architecture moderne affirmant visiblement sa présence au sein d’un paysage qui n’a guère subi d’autre altération depuis l’époque où Breughel le Vieux venait peindre, dans les parages, son Oiseleur et ses scènes de la vie paysanne.

En Hainaut, voici tout d’abord, à Ecaussinnes d’Enghien, près du hameau de Lavedelle ou de l’Affedèles, le beau pont dit des Neuf Arcades. Il est établi sur la ligne de Gand à Charleroi, pour la traversée de la vallée de la Sennette franchie, par ailleurs, près du château fort d’Ecaussinnes-Lalaing, par le pont dit pittoresquement des « Douces Arcades » servant au chemin de fer des carrières. Signalons encore ici, par parenthèse, que l’on a découvert à Ecaussinnes d’Enghien, lors de la construction — en 1883 — de la ligne de Chimay, près de la falaise calcareuse du Trou des Fées (qui porte encore des traces de trous de mines), des ossements, des armes et divers objets reconnus pour être d’origine franque. Sans doute y avait-il là un cimetière franc.

Toujours en Hainaut, le pont à deux tabliers et simple voie, franchissant — à Luttre — le canal de Bruxelles à Charleroi, a une portée de 80 mètres et est précédé d’une travée d’approche de 35 mètres. A Nimy, le pont — à double voie et poutres principales de tabliers en losanges — enjambe le canal du Centre. Comme celle du pont métallique de Saint-Ghislain, sur le canal de Mons à Condé, sa portée est de 60 mètres.

A côté de ces ouvrages d’art dont la technique s’enorgueillit à juste titre, il y en a beaucoup d’autres, plus humbles, établis un peu partout et même sur des lignes abandonnées ou peu fréquentées, ne laissant passer qu’un convoi de temps à autre. Un de ces ponts, situé en Hainaut, est celui qui, à Roisin, surplombe la petite rivière capricieuse appelée la Honnelle. Il a quinze mètres de haut et, en même temps que la rivière, un chemin surélevé par rapport au niveau des eaux se glisse sous la grande arche. La gare de Roisin n’est pas loin. C’est « une construction tonte simple, d’un style très sobre en décorations, comme toutes celles des localités peu importantes et qui ne diffèrent aucunement entre elles » [1]. On ne peut s’empêcher de penser, en cet endroit, à l’un des chantres les plus puissants du rail : Emile Verhaeren, pour qui cette petite station terminus représentait la préface à un bienfaisant retour à la saine nature. Le train haletait, remorquant ses trois ou quatre wagons de bois. Le poète et sa femme en descendaient et, quittant la modeste halte, suivaient le chemin conduisant à leur calme pavillon du Caillou-qui-Bique découvert en 1899. Chaque saison, pendant de longues semaines, loin des Villes tentaculaires et des Forces tumultueuses, ils demeuraient là :

Avec les meubles chers
peuplant l’ombre et les coins...

Ils faisaient une cure de repos, vivaient en toute simplicité, cultivaient la fleur de la tendresse et recevaient parfois l’un ou l’autre ami — dont Stefan Zweig — venu, lui aussi, par le ferraillant petit train faisant frémir, sous son poids, le pont sur la Honnelle...

Pour franchir le profond sillon de la Meuse, le chemin de fer emprunte huit ponts qui, tous, ont été détruits, partiellement tout au moins, au cours de la dernière guerre. Les ponts d’Anseremme, de Houx-Anhée et le pont dit « du Luxembourg » à Namur sont des tabliers métalliques rivés en treillis. Celui de Huy, sur la ligne de Statte à Ciney, est entièrement construit en maçonnerie de pierres de taille et comporte trois voûtes de 46 mètres 80 d’ouverture. Après avoir franchi le fleuve, le train pénètre dans le tunnel percé sous le mont Picard puis, en étant sorti, s’engage sur le viaduc de la chaussée des Forges passant au-dessus de la vallée du Hoyoux. Près de Liège, en amont de cette ville, les eaux du fleuve reflètent l’image de trois autres ouvrages d’art. Le premier, le pont métallique du Val-Saint-Lambert, livre passage à la ligne Flémalle-Haute - Kinkempois. Le second, le viaduc de Renory, est situé sur la ligne de Fexhe-le-Haut-Clocher à Kinkempois (où est établi un faisceau de triage de 46 voies permettant de trier journellement près de 4.000 wagons). Il comporte 10 voûtes en béton non armé à trois rotules et, de ce fait, est d’un « type tout indiqué dans cette région d’affaissements miniers » [2]. Neuf des 10 voûtes ont 61 mètres 40 d’ouverture. La dixième a 34 mètres.

A quelque 2.250 mètres du viaduc de Renory, côté Fexhe, se trouve un autre ouvrage d’art d’une construction particulièrement audacieuse. Il s’agit du viaduc du Horloz, comportant six travées métalliques de 35 mètres de portée. Les voies sont à 32 mètres au-dessus du sol.

Le troisième pont ferroviaire situé en amont de la Cité Ardente est celui du Val-Benoît. En août 1939, à la suite d’un violent orage ayant éclaté sur la région liégeoise, il a été frappé par la foudre, qui a provoqué la mise à feu des charges de dynamite ayant été placées en raison de la menace d’invasion allemande. Le pont s’est alors disloqué et s’est effondré dans la Meuse, interrompant la navigation. C’est à la suite de cette catastrophe que la ligne de Fexhe à Kinkempois, construite peu de temps auparavant mais n’ayant pas encore été exploitée en raison de la crise économique, devait être mise en service. Au double pont métallique à trois travées du type Vierendeel à membrure supérieure parabolique devait être substitué un autre ouvrage d’art à poutres principales à âme pleine de hauteur constante, comportant trois travées continues d’une portée de 53 mètres 85 chacune avec, en supplément, deux travées d’approche de 25 mètres. Toujours sur la courbe mosane, le pont de Visé « est peut-être l’ouvrage du genre le plus remarquable du pays » [3]. De construction métallique, ce pont-rail a été placé par les Allemands pendant la guerre de 1914-1918. Détruit partiellement en 1940, il a été réédifié suivant ses anciennes caractéristiques.

Sur la ligne de la Vesdre, le viaduc de Dolhain — ou pont des Grands Prés — s’inscrit dans un décor tout ensemble industriel, pastoral et forestier. Du haut des remparts de la vieille cité moyenâgeuse de Limbourg, à 80 mètres de hauteur, on le voit s’étirer au long de la vallée. Il a 268 mètres de long, 21 arches de 12 mètres d’ouverture et, depuis le pied des piles jusqu’au niveau des voies, a de 19 à 20 mètres de hauteur.

Un autre ouvrage très important est, à l’extrémité orientale du Pays de Hervé, le viaduc de Montzen. C’est le plus long du réseau puisqu’il s’étend, au-dessus de la vallée de la Gulpe — ou la Gueule — sur 1.107 mètres. Détruit partiellement en 1940 par l’armée belge en retraite, reconstruit par les Allemands pendant la guerre et dynamité par eux en 1944, il comporte 22 travées métalliques à double voie de 48 mètres de portée. Onze d’entre elles furent détruites. Les travaux de reconstruction, dirigés par la S.N.C.B., furent terminés en 1949 et l’inauguration eut lieu le 18 octobre 1949. L’ouvrage s’appuie, aux extrémités, sur deux culées et, entre celles-ci, sur cinq piles-culées et 16 piles ordinaires. Les poutres principales sont en treillis sous voie. Le point le plus bas de la vallée se situe à 52 mètres en dessous du viaduc. Le viaduc de Butgenbach, livrant passage au chemin de fer de Losheim, est imposant, lui aussi. Construit en maçonnerie avec parement de moellons, il présente la particularité de montrer, au droit des piles, trois arcatelles d’élégissement.

Le chemin de fer de l’Amblève comporte également plusieurs ouvrages d’art dont ceux de Remouchamps, de Targnon, de la Venne — entre La Gleize et Roanne-Coo — et de Roanne-Coo. Celui de Remouchamps est en maçonnerie tandis que celui de Targnon, moins élégant, est de construction mixte : acier et béton. Il a 44 mètres de portée. Le viaduc de la Venne est constitué de 15 arches en maçonnerie de briques de 12 mètres 50 d’ouverture. Les voies surplombent l’Amblève de 21 mètres. Quant au viaduc de Roanne-Coo, enfin, il est constitué de huit voûtes en briques de 12 mètres 50 d’ouverture et de deux grandes voûtes en béton armé de 25 mètres d’ouverture ayant remplacé le tablier métallique primitif. Sa longueur totale est de 186 mètres et, chose à noter, ses ouvertures sont biaises.

Plusieurs autres ponts et viaducs ardennais réclament aussi notre attention. Tel est le cas, notamment, pour les viaducs de Thanville et de Herbeumont. Le premier, édifié entre Pondrôme et Vonêche, sur l’une des plus belles lignes du réseau, celle de Dinant à Virton, est un ouvrage d’art très important, construit en maçonnerie de briques. Il comprend 15 voûtes de 20 mètres d’ouverture et franchit la vallée à une hauteur d’environ 35 mètres. Celui de Herbeumont, ou viaduc de Conques, franchit la vallée de la Semois et fait contraste avec le petit pont-route situé à proximité. Il comprend sept arches et est d’une grande légèreté avec ses voûtes en maçonnerie de briques de 18 mètres d’ouverture et ses 38 mètres de haut.

Ce viaduc de Conques supporte la ligne de Bertrix à Carignan via Muno et met le Luxembourg belge en communication avec les Ardennes françaises. Entreprise dès avant 1900, la construction de cette nouvelle ligne devait être abandonnée pendant de longues années et, à la veille du 4 août 1914, la plus grande partie de son parcours était encore dépourvue de rails. Les Allemands s’empressèrent de l’équiper à double voie et, pendant toute la guerre, s’en servirent pour acheminer leurs munitions vers Verdun et pour l’évacuation de leurs morts et de leurs blessés. Après les hostilités, la ligne ne devait plus être exploitée que sur sol belge et à simple voie, la seconde ayant été bientôt démontée afin d’en récupérer les rails. Après bien des discussions avec les Chemins de fer de l’Est français, la liaison avec Carignan devait être rétablie. Apres la seconde guerre mondiale, elle a été supprimée. Ajoutons que la ligne en question a nécessité des travaux d’art fort importants, outre le viaduc de Conques : remblais, tranchées profondes et plusieurs tunnels dont celui, de 1.440 mètres de long, percé entre Herbeumont et Sainte-Cécile. Ce tunnel de 1.440 mètres est l’un des plus longs du réseau. Le plus considérable de tous — il est intéressant de le signaler — est celui de Veurs. Situé sur la ligne Tongres - Montzen, à l’entrée de la gare de Montzen, il est constitué de deux pertuis à simple voie distants de 18 mètres d’axe en axe. Sa longueur atteint 2.074 mètres.

Remblais et déblais, tunnels, ponts et viaducs ont provoqué, lors de leur construction, des terrassements et des aménagements dont on réalise aisément l’exceptionnelle ampleur. Tous ces travaux ont violenté, modifié, recréé le paysage qui, au-delà de la périlleuse période de mutation qu’ils lui ont fait traverser, ne nous apparaît pas dépouillé de sa beauté mais doté de charmes et de prestiges nouveaux. L’animant en permanence ou seulement par instants, le passage des trains — vibrants et sonores — lui confère une vie étonnante mais qui ne nous surprend plus parce que son rythme et sa fièvre sont entrés aussi dans notre existence et notre destin.

(A suivre.)


Source : Le Rail, novembre 1963


[1Maurice Reignier, dans la Revue du Touring Club de Belgique du 30 septembre 1910.

[2Ulysse Lamalle, ouvrage cité.

[3O. Petitjean, dans la Revue du Touring Club de Belgique du 15 février 1935.