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Chants et Chantres du rail (X)

Roger Gillard.

vendredi 25 février 2022, par rixke

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Dans cette analyse de la compétition rail-route, il n’a guère été question, jusqu’à présent, que du trafic « voyageurs ». Abordons, maintenant, si vous le voulez bien, le problème des marchandises. Problème capital, puisqu’il représente pour les chemins de fer la plus grosse partie de ses recettes. La suprématie technique du rail ayant été démontrée, reste à résoudre la question des prix des transports. C’est donc ici que la lutte se continue – qu’elle commence, osons-nous dire.

Lutte serrée, en effet. Dès, 1939, la concurrence de la route, en ce domaine, se révèle si dangereuse que le rail se voit contraint de reviser sa politique des prix. Cette année-là, en juillet, la Belgique lance des « tarifs de fidélité » avantageant les clients qui confient au rail la plus grande part ou la totalité de leur trafic. Des tarifs spéciaux sont publiés à l’usage de certaines catégories de marchandises : fruits et légumes, poissons, beurre, lait, pommes de terre, etc.. Le rail met en circulation des wagons spéciaux, tels ces wagons frigorifiques de la « Compagnie Interfrigo » [1]. Soucieux d’aider l’industriel et le commerçant par tous les moyens dont il dispose, il admet le principe du « wagon particulier », multiplie les raccordements privés, ouvre des agences commerciales. Il crée l’« Europ », ce pool formidable de 180.000 wagons qui va permettre une meilleure utilisation des véhicules. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de revenir en détail, dans un prochain chapitre, sur cette magnifique entreprise.

Là, cependant, ne se bornent pas les initiatives de la voie ferrée. Car la pression de la route s’accentue. Il faut la combattre sur tous les fronts, sans relâche, sur son propre terrain, s’il le faut. Le rail a résolu le problème du transport des marchandises de gare à gare ; c’est beaucoup, mais ce n’est pas suffisant. Car tout envoi de colis ou de wagons sous-entend un expéditeur et un destinataire. Le transporteur idéal sera donc celui-là qui saura joindre l’un à l’autre dans les meilleures conditions possibles. Dès la fin de la dernière guerre, le rail s’est attaché à cette question épineuse. Et il l’a résolue. C’est ainsi qu’est apparu, au sein de la plupart des réseaux ferroviaires, le fameux centre routier chargé de la prise et de la remise à domicile des colis et bagages. Tout dernièrement, cette méthode s’est étendue, dans les pays de I’U.I.C, à l’acheminement de certaines « charges complètes » [2]. Le rail a réalisé le porte à porte.

Cette intrusion de la voie ferrée sur la route ne se manifeste d’ailleurs pas seulement en ce qui concerne le transport des marchandises, mais aussi dans le domaine des voyageurs. Dès 1926, par mesure d’économie, la Société nationale des Chemins de fer vicinaux belges avait entrepris, pour les lignes déficitaires, de remplacer ses véhicules par des autobus. Un programme similaire est actuellement en cours de réalisation à la S.N.C.B. Ces mesures, faut-il le rappeler, ont soulevé des contestations. Contestations parfois gratuites, d’ailleurs. Certains esprits alarmés n’ont vu, dans cette pratique, que la suppression de quelques haltes, le retrait de quelques hommes. L’avantage que l’autobus apporte aux campagnards, cela, sans aucun doute, ils l’ignorent. Les chemins de fer, lorsqu’on les construisit – soit que le baron de l’endroit défendait qu’on morcelât ses terres, soit que le bourgmestre régnant craignait que la fumée des trains n’abîmât ses légumes –, se virent contraints, en plus d’une circonstance, de contourner maintes agglomérations. C’est ainsi que l’on voit de nos jours – et certaines gens s’en étonnent à juste titre – la voie ferrée passer à deux, trois, quatre kilomètres des villages qu’elle est supposée desservir. L’autobus va redresser cette situation. Il l’améliorera même doublement, car il ira chercher au fond des combes, à flanc de montagne, en n’importe quel endroit des campagnes, les hameaux oubliés, les fermes isolées, tous ces mondes jusqu’à présent délaissés. L’autobus : une innovation, mais aussi un progrès, dans bien des cas.

Après le combiné rail-route pour le transport des marchandises, après le rail-route du voyageur de province, voici le rail-route touristique, mieux connu sous l’appellation de « service train plus auto ». Ce procédé est déjà utilisé par plusieurs réseaux européens, dont la Belgique, la France et l’Allemagne. Tout voyageur, à la descente du train, peut désormais louer une auto, sans chauffeur, dans certaines gares importantes.

Mais voici le rail-route géant, le combiné à l’échelle internationale. Tout récemment, en effet, vient d’être créé l’Europabus, réseau routier de quelque trente mille kilomètres desservi par des autocars de grand luxe. Les chemins de fer, on le voit, sont bien près d’enlever la joute touristique.

Comment, dès lors, douter un instant encore de la suprématie de ce colosse universel ? Ainsi disait le journal « Le Monde », il y a peu de temps : « Les progrès montrent non pas le déclin du rail, mais son exaltation par des modernisations nouvelles et toujours plus efficaces ».

Soyons toutefois des vainqueurs honorables. Car l’avion et l’auto méritent notre respect, notre admiration. Eux aussi, ils travaillent au bien-être de l’humanité, à une forme de civilisation. Eux aussi, ils ont droit à la vie. II est d’ailleurs plus que probable que l’on s’achemine vers une collaboration de plus en plus étroite entre les divers concurrents du transport. Les ferry-boats, en ce domaine, ont donné l’exemple. Déjà nous sont familiers les modes de transport « rail-bateau », « rail-avion », « rail-bateau-avion ». On peut être assuré que ces différents combinés rencontreront un succès toujours plus étendu. Et puisque la fusée, dans un temps que l’on est bien tenté de qualifier de proche, est appelée à détrôner l’avion, pourquoi ne verrions-nous pas le combiné « rail-fusée » ? « Pour l’avenir, conclurons-nous avec Michel Ray, il est permis d’entrevoir que chacun de ces moyens modernes remplira sa tâche la mieux adaptée à ses possibilités pour le bien de la communauté » [3].


Source : Le Rail, mai 1962


[1Cette société a été créée en 1949.

[2En langage ferroviaire, on entend par « charge complète » la charge qui nécessite l’utilisation d’un wagon pour elle seule. Un colis est une « charge incomplète ».

[3« Nos Chemins de lu au service du pays ».