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Le numéro matricule européens des wagons

R. Carlier, ingénieur principal.

dimanche 6 août 2023, par rixke

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 Normalisation des inscriptions sur les wagons.

Le chemin de fer est, par vocation, international ; s’il était encore nécessaire de s’en convaincre, il suffirait de consulter les statistiques du trafic, celles des marchandises notamment, qui sont parlantes à cet égard. L’une des conséquences de cet état de choses est la nécessité, pour éviter tout transbordement aux frontières, de disposer d’un nombre élevé de wagons pouvant circuler sans inconvénient aussi bien sur les voies nationales que sur l’ensemble des réseaux européens à voie normale. Pour y arriver, il a naturellement fallu se mettre d’accord, entre administrations de chemin de fer, sur les conditions auxquelles les wagons seraient admis en trafic international, et, dans ce but, des conventions ont été conclues et mises en application.

Mais il ne suffisait pas d’établir des listes de ces conditions ; l’on aurait vu alors les agents des gares frontières commencer, listes en main, à « ausculter » tous les wagons étrangers entrants pour voir s’ils étaient admissibles ; cela aurait entraîné un travail stérile et fort lourd. Il était bien plus simple de marquer les wagons satisfaisant aux conditions voulues d’un signe connu de tous, normalisé.

Ainsi est née l’inscription RIV, et d’autres encore traduisant des caractéristiques particulières de construction, comme par exemple la lettre E qui permet de reconnaître les wagons construits en vue du passage d’un réseau à un autre ayant un écartement de voie différent.

Des renseignements nécessaires aux services d’exploitation, tels la tare, la charge utile et le poids-frein, ont vu aussi leur forme unifiée, rendue indépendante des différentes langues en usage en Europe ; toutes ces inscriptions constituent un véritable code international, qui fournit aux agents des gares les informations essentielles pour l’échange et l’utilisation des wagons.

 Les marquages nationaux.

Un certain nombre d’informations avaient cependant échappé jusqu’ici à la normalisation : celles relatives à des caractéristiques d’utilisation des wagons par la clientèle.

Le client du chemin de fer a des besoins bien déterminés, qu’il traduit par une commande qui, sous sa forme la plus, simple, est du type : « Il me faut jeudi, au départ d’Ans, des wagons-tombereaux pour expédier 100 tonnes de charbon à Etterbeek ».

Quotidiennement, les services de répartition des wagons se trouvent confrontés, d’une part avec les besoins des gares, qui résultent des demandes de leur clientèle, et d’autre part avec les disponibilités d’autres gares en wagons vides sans emploi immédiat sur place. Ces services doivent donc procéder, au moins une fois par jour, à une comparaison des besoins et des disponibilités, et cela pour chaque grande catégorie de wagons séparément (couverts, tombereaux, plats...).

Les communications entre gares et services de répartition, pour échanger leurs renseignements sur les wagons nécessaires ou disponibles, sont nombreuses ; aussi s’est-on efforcé, pour faciliter ces communications et les calculs auxquels donne lieu la répartition, de réduire l’importance de ces renseignements en les mettant en code.

Les administrations, dans ce but, ont instauré chacune un langage simplifié. Elles ont subdivisé leur parc de wagons en catégories et sous-catégories, et elles ont attribué à chaque espèce ainsi définie un certain nombre de caractères, le plus souvent sous la forme d’une succession de lettres majuscules et de lettres minuscules. Presque tous les réseaux ont peint ces lettres sur la caisse de leurs wagons ; ces inscriptions sont désignées couramment sous le nom de « marquage ». La S.N.C.B. seule fait exception ; elle a constaté, en effet, que les agents des gares sont à même de reconnaître, à la vue du wagon, les caractéristiques nécessaires au traitement classique par le service répartiteur, et de traduire ces caractéristiques dans le code alphabétique en usage en Belgique. Elle n’inscrit donc pas le marquage « lettres » sur ses wagons [1].

Chaque administration a donc créé ainsi son propre langage en fonction de ses besoins et, parfois, en fonction de la langue nationale (emploi des initiales de l’appellation courante pour désigner les catégories de wagons).

Or, les besoins ne sont pas partout les mêmes ; il y a certes unanimité pour classer les wagons en couverts, tombereaux, plats, citernes, etc., parce qu’il s’agit des grandes séries du parc ; la lettre qui distingue ces différentes catégories a d’ailleurs reçu le nom de lettre de série. Mais, quand on passe à des caractéristiques de second plan, celles-ci ne présentent pas le même intérêt partout ; ainsi, par exemple, on conçoit que le nombre d’orifices d’aération d’un wagon couvert ait moins d’importance sous un climat tempéré que dans un pays chaud ; certains codifieront donc le nombre d’orifices, d’autres non.

Il en est résulté une série de langages différents par leur forme et par leur contenu, et lorsque le wagon se trouve sur un réseau étranger, ceci présente des inconvénients, auxquels suppléent les agents des gares en procédant à la reconnaissance à vue du wagon et en traduisant ses caractéristiques dans le langage national. C’est, somme toute, la méthode belge, mais limitée aux wagons étrangers.

Pour être complet, il faut rappeler que chaque wagon porte en plus un numéro de série qui l’identifie individuellement.

 Le marquage uniforme alphabétique.

Un premier marquage commun : celui de la convention EUROP

C’est au moment où la Convention EUROP [2] a vu le jour que l’idée d’une normalisation internationale du marquage prit consistance ; la Convention permet en effet aux administrations qui en font partie de traiter tous les wagons du parc EUROP, quel que soit leur propriétaire, comme des wagons nationaux. Du fait de la Convention, le nombre des wagons étrangers présents sur chaque réseau devait croître rapidement, et il était naturel qu’on songeât à ce moment à créer, pour un parc commun, un langage commun.

Bientôt d’ailleurs, afin d’éviter la coexistence de deux marquages, l’un commun, l’autre national, on décida d’étudier un marquage uniforme pour la totalité des parcs, communs ou non.

Ce marquage prit la forme suivante : une lettre de série majuscule, désignant la grande catégorie, suivie d’un nombre variable de lettres minuscules traduisant chacune une caractéristique secondaire du wagon. Il s’agit donc d’un code alphabétique dont la clé est donnée par la fiche n° 438 de l’Union internationale des Chemins de fer (U.I.C.). A titre d’exemple, un wagon marqué Ghs, suivant la fiche 438, est un wagon couvert (G), à primeurs (h) et apte au régime s (s) ; pour tout wagon de la série G, h signifie « à primeurs », mais, pour tous les wagons, s signifie « apte au régime s » (circulation à 100 km/h sous certaines conditions).

 Introduction des ensembles électroniques de gestion (E.E.G.).

Pendant la mise au point du marquage alphabétique, une nouvelle technique du traitement de l’information a vu le jour et s’est rapidement implantée ; il s’agit des « ensembles électroniques de gestion » désignés sous le sigle E.E.G., et appelés souvent ordinateurs [3]. La conception nouvelle du traitement de l’information a modifié de façon considérable l’optique sous laquelle les administrations avaient envisagé jusqu’alors le marquage uniforme des wagons.

Il ne peut être question de reprendre ici tous les aspects du traitement de l’information ; cela nous entraînerait trop loin ; qu’il nous suffise de savoir que les E.E.G. sont particulièrement bien adaptés pour absorber et traiter les masses de données (renseignements) qui se retrouvent dans tous les problèmes où interviennent les wagons, très nombreux sur tous les réseaux. Aussi est-il apparu clairement à tous les spécialistes que, tôt ou tard, ces problèmes, et notamment celui de la répartition des wagons vides, seraient traités en E.E.G. et que les données nécessaires seraient communiquées à l’E.E.G. par des moyens de télécommunications perfectionnées (téléimprimeurs, par exemple).

Eu égard à cette évolution certaine, il fallait donner aux informations relatives aux wagons une forme facilement acceptable par l’E.E.G. ; autrement dit, il fallait un marquage mécanographique. Les spécialistes se prononcèrent pour un marquage numérique, de longueur constante [4] et, pour des raisons d’économie, aussi réduite que possible.

Le marquage de la fiche 438 était alphabétique et de longueur variable puisqu’un wagon pouvait être caractérisé, dans le cas le plus simple, par la lettre majuscule de série seule, et, dans les cas les plus compliqués, par la lettre de série suivie de six ou sept lettres minuscules. Le problème du marquage des wagons devait donc être revu et il le fut par un groupe spécial comprenant des délégués de l’U.I.C. et de l’O.S.J.D. [5].

 Le nouveau marquage numérique unifié.

Le problème, abordé sous l’angle mécanographique, ne se limitait plus cette fois aux seules caractéristiques d’utilisation reprises dans la fiche 438 pour le marquage alphabétique uniforme. Il s’agissait de traduire, sous une forme mécanographique, l’ensemble des renseignements qui permettent d’identifier complètement un wagon, soit : le nom de l’administration propriétaire, le régime d’échange, les caractéristiques du wagon et son numéro. Autrement dit, le problème pouvait être énoncé sous la forme très simple suivante : construire un code chiffré tel qu’il se traduise par l’inscription, sur chaque wagon, d’un nombre permettant de retrouver les quatre types de renseignements nécessaires à son identification ; le nombre inscrit devait être constitué, dans tous les cas, de la même quantité, très réduite, de chiffres.

Le groupe de travail commun U.I.C.-O.S.J.D. s’est mis d’accord sur une solution comportant au total 12 chiffres, répartis en quatre groupes, de la façon suivante :

  • Un groupe de deux chiffres indiquant le régime de circulation ; ainsi, parmi les régimes les plus répandus, nous trouverons le nombre 20 qui codifiera les wagons uniquement aptes à circuler à l’intérieur du réseau, le nombre 21 pour les wagons RIV, 01 pour les wagons EUROP, 41 pour les wagons de particuliers RIV ;
  • Un groupe de deux chiffres désignant l’administration propriétaire ou immatriculatrice ; la S.N.C.B. sera désignée par le nombre 88 ;
  • Un groupe de sept chiffres qui constituent à la fois le marquage proprement dit et la numérotation des wagons.
    Les quatre premiers traduisent en effet en chiffres le marquage en lettres de la fiche 438 ; les trois derniers complètent le numéro et permettent ainsi d’identifier 1.000 wagons pour chaque série.
    Reprenons l’exemple que nous avons donné précédemment. Les wagons Ghs. Dans l’ancien système, le wagon pouvait être identifié par la combinaison des trois lettres Ghs donnant ses caractéristiques, et par un numéro de 6 ou 7 chiffres. Dans le marquage numérique unifié, ce wagon sera identifié par ses quatre premiers chiffres, qui traduisent ses caractéristiques (dans ce cas, les quatre chiffres sont 1600) et par les trois chiffres suivants, qui permettent à chaque administration de numéroter 1.000 wagons couverts (G), à primeurs (h), aptes au régime s (s), de 1.600.000 à 1.600.999. Comme, sur certains réseaux, il existe plus de 1.000 wagons répondant aux caractéristiques Ghs, plusieurs séries sont nécessaires ; en l’occurrence, pour satisfaire les besoins les plus grands en Ghs, il fallait quatre séries. Au type Ghs, on a donc consacré les séries 1600, 1601, 1602 et 1603 ; ainsi, tous les wagons numérotés de 1.600.000 à 1.603.999 seront des Ghs.
    Les wagons Ghms, qui sont des wagons Ghs d’une longueur inférieure à 7 m 70, seront à leur tour – il y en a 22.000 dans le parc du réseau qui en possède le plus – codifiés depuis 1.610.000 jusqu’à 1.631.999. Les wagons Ghmqrs, qui ont en plus les conduites de chauffage à la vapeur et électrique, seront codifiés de 1.633.000 à 1.633.999 ; il y a donc place pour un maximum de 1.000 wagons de cette espèce sur un même réseau. Et ainsi de suite.
    Toute cette énumération fait l’objet de tableaux qui vont être publiés par l’U.I.C. ;
  • Un douzième chiffre, appelé chiffre d’auto-contrôle, expression qui mérite quelques mots d’explication.

 Le chiffre d’auto-contrôle.

Lorsqu’on doit copier des numéros, constitués chacun par un assez grand nombre de chiffres, on peut commettre des erreurs : il arrive qu’on ne retranscrive pas correctement le document ; certains chiffres mal écrits peuvent être ultérieurement pris pour d’autres, un 7 pour un 1, par exemple.

Nous avons déjà vu qu’on s’est prémuni contre certaines erreurs consistant à ajouter ou à retrancher un chiffre, en exigeant que la longueur du nombre soit constante ; dans le cas présent, si l’on trouve 11 ou 13 chiffres, on sait qu’il y a erreur et qu’une correction est à opérer.

Dans de nombreux cas d’erreurs, cependant, la longueur du nombre est respectée, mais un ou deux chiffres ont été modifiés ou intervertis. Si le numéro passe tel quel, il y aura un travail important de vérification à opérer plus tard, quand on devra, par exemple, calculer en ordinateur le nombre de jours qu’un tel wagon étranger RIV a passés sur le réseau belge, ceci pour établir la redevance à payer au réseau propriétaire. On trouvera ainsi des wagons supposés entrés mais non sortis de Belgique, ou des numéros de wagons sortis de Belgique sans y être entrés. Il faut chaque fois faire une enquête, retrouver les documents d’origine, les comparer, demander des renseignements aux voisins, rectifier, et c’est là un travail qui coûte cher.

On évite presque entièrement ces erreurs en munissant chacun de ces numéros d’un chiffre d’auto-contrôle et en vérifiant l’ensemble. Suivant ce procédé, on ajoute à la fin du nombre un chiffre calculé d’après des lois mathématiques précises.

Le nouveau marquage.

Un système très simple pourrait consister à additionner les chiffres d’un nombre et à ajouter comme chiffre d’auto-contrôle le complément à la dizaine du résultat. Ainsi, dans ce système, le chiffre d’auto-contrôle du nombre 124 serait 3, calculé comme suit :

  • Somme des chiffres 1 + 2 + 4 = 7 ;
  • Auto-contrôle : 10 - 7 = 3.

Le nombre deviendrait donc, avec auto-contrôle, 1243, et il suffirait de vérifier que la somme des chiffres est 10 ou un multiple de 10 pour être certain qu’un des chiffres n’a pas été modifié ; en revanche, on ne serait pas prémuni contre l’inversion de deux chiffres car 124 et 142, par exemple, ont dans ce système le même chiffre 3 comme auto-contrôle.

C’est pourquoi les lois mathématiques retenues par l’U.I.C. pour la formation du chiffre d’auto-contrôle sont plus complexes, de façon à assurer une sécurité de près de 99 % dans l’ensemble des possibilités d’erreur ; ces lois sont données par la fiche U.I.C. n° 913.

Mais, en pratique, l’agent qui relève le numéro d’un wagon n’aura pas à se préoccuper du système de calcul ; avec le dispositif qui sera ajouté en temps voulu aux téléimprimeurs utilisés dans ce faut, c’est au moment où on frappera le 12e chiffre du numéro que fonctionnera automatiquement la vérification par l’auto-contrôle, sans aucune perte de temps. Le contrôle se faisant immédiatement, on disposera encore, en cas d’erreur, des documents voulus ou tout simplement du wagon intéressé pour vérifier le numéro et corriger l’erreur sans être obligé d’ouvrir un dossier de contentieux.

A partir du 1er octobre 1964 et dans un délai maximal de quatre ans, tous les wagons devront recevoir le nouveau marquage qui prendra la forme suivante, dans laquelle les zéros figurent des chiffres :

00 - RIV - EUROP
00 - B
000 0 000 - 0
Gss

ou, pour les wagons plats, où la place manque eh hauteur :

R.I.V. B
00 - 00 -000 0 000-0
Kr

On peut remarquer que l’on a maintenu un marquage alphabétique, qui sera inscrit sous le numéro. Chaque administration peut choisir, comme marquage alphabétique, soit son marquage propre actuel, soit le marquage « lettres » uniforme de la fiche 438, qui sera alors précédé d’un point pour le distinguer des autres. La S.N.C.B. a choisi le marquage uniforme.

 Conclusions.

La décision du Comité de gérance de l’U.I.C. et des organes supérieurs de l’O.S.J.D., de commencer le nouveau marquage dès cette année et d’en terminer en 1968, constitue l’aboutissement d’études complexes, fort longues, et de mises au point délicates. Elle sera suivie par tous les membres des deux organisations, c’est-à-dire en fait par tous les chemins de fer européens et par de nombreux chemins de fer asiatiques.

La codification uniforme du matériel à marchandises qui vient d’être adoptée est le support de l’introduction de la cybernétique dans l’exploitation ferroviaire à l’échelle de deux continents. Le numéro matricule personnalisant le wagon sera, demain, noté dans la mémoire d’une machine électronique qui, après avoir enregistré toutes les informations nécessaires qui lui auront été communiquées par ailleurs, saura donner les renseignements qu’il faut pour la répartition du matériel et la détermination des acheminements rationnels des transports, établir des plans de triage automatisé, suivre la « vie » du wagon, préparer les plannings d’entretien, faire les opérations comptables ou statistiques et contribuer aux études économiques de l’utilisation optimale du matériel.

Si donc, au cours des prochains mois, vous voyez pour la première fois un wagon portant le nouveau marquage, dites-vous bien que, sous leur aspect anodin, ces douze chiffres représentent un pas important dans la voie du progrès dans la gestion des chemins de fer.


Source : Le Rail, septembre 1964


[2La Convention EUROP a pour objet l’exploitation en commun, par les administrations adhérentes, d’un parc de wagons de type courant. Voir « Le Rail » n° 43 de mars 1960.

[3Voir « Le Rail » n° 78 de février 1963 concernant l’E.E.G. de la S.N.C.B.

[4Si la longueur d’une Information n’est pas constante, il n’est pas possible de savoir si on n’a pas perdu ou ajouté un chiffre en cours de manipulation ; ainsi, si l’on ignore d’avance de combien de chiffres se compose l’information, on ne pourra jamais être sûr, en lisant le nombre 428 sur un document, que l’information était réellement 428, et non 4238 dont un chiffre a été perdu dans les manipulations, ou bien 42 auquel on a ajouté un chiffre par erreur.

[5L’O.S.J.D. est un organisme ferroviaire international qui groupe à la fois des réseaux membres de l’U.I.C. (PKP, CSD, DR, MAV...) et d’autres qui n’en font pas partie, notamment les chemins de fer de l’U.R.S.S. et de la République populaire de Chine.