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Notre musée des chemins de fer

A. Vanbergen, inspecteur principal.

vendredi 14 septembre 2012, par rixke

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 Musées ferroviaires.

Parce que le chemin de fer est une technique somme toute assez récente, parce que surtout cette technique est restée jeune en se renouvelant sans cesse, l’idée de la faire entrer au musée n’est pas venue des milieux cheminots. Si la plupart des réseaux d’Occident ont ouvert depuis peu des musées ferroviaires, c’est aux collections privées qu’on les doit. L’histoire du rail a toujours passionné des particuliers étrangers à son organisation, et cet intérêt, loin de s’estomper, continue de se développer et de s’étendre. Plusieurs réseaux ont rassemblé des collections privées et les ont complétées dans des locaux adéquats, qui reçoivent partout de plus en plus de visiteurs.

Quel est le rôle de ces musées ? Rappeler la valeur du passé et satisfaire la fascination qu’exercent les moyens de transports actuels, encourager les recherches historiques, culturelles ou scientifiques et éveiller de nouvelles vocations cheminotes, mettre en relief les apports du rail à la civilisation et informer le grand public sur son avenir...

Le public trouve dans les musées ferroviaires de quoi satisfaire son intérêt. Notons spécialement :

  • au Musée des Transports de Berlin : une collection de deux cents types de voies du monde entier ;
  • à la section ferroviaire du Musée allemand de Munich : des voitures de diverses époques et une maquette de la première locomotive électrique du monde, celle de Werner von Siemens ;
  • au Musée des Transports de Nuremberg : des locomotives d’origine, des premiers types à ceux de la grande époque de la vapeur, et une collection presque complète de maquettes de locomotives bavaroises ;
  • au Musée des Chemins de fer de Vienne : une section remarquable consacrée aux chemins de fer de montagne et aux téléfériques, ainsi qu’une collection de disques et de morceaux de musique en relation avec l’activité ferroviaire ;
  • à la section ferroviaire de la Maison des Transports de Lucerne : une vingtaine d’engins moteurs et de voitures en grandeur naturelle montrant, de manière vivante, les progrès de la traction électrique ;
  • au Musée des Chemins de fer d’Utrecht : huit locomotives originales et une reconstitution de la première locomotive néerlandaise, « De Arend » (L’Aigle) ;
  • aux musées de Londres, de Swindon et d’York : de nombreux véhicules historiques ;
  • au Musée des Chemins de fer de Hamar (Norvège) une bibliothèque de 7.000 volumes, 3.000 manuscrits, 35.000 photographies et 6.000 dessins ;
  • au Musée des Chemins de fer de Rome : la reproduction du premier train italien remorqué par la locomotive « Bayard ».

Les musées suédois et danois des chemins de fer ainsi que la section ferroviaire du musée de Belfast contiennent aussi des collections intéressantes. Quant à la France, elle possède « en puissance », avec le matériel remisé à Chalon-sur-Saône, les éléments constitutifs d’un musée ferroviaire qui pourrait compter parmi les plus importants [1].

N’oublions pas non plus de signaler les musées « actifs » de Grande-Bretagne et du Danemark, où des amis du rail font circuler du vieux matériel sur de petites lignes.

 Le nôtre.

Notre musée fut inauguré le 30 octobre 1951, pour le vingt-cinquième anniversaire de la création de la S.N.C.B. Il avait été installé provisoirement dans les locaux de l’ancienne gare du Nord. Lors de la démolition de celle-ci, en juin 1955, les collections furent entreposées à la halte du Congrès, avant d’être représentées au public, le 11 juillet 1958, dans un vaste local de la nouvelle gare du Nord.

On n’y peut montrer, faute de place, tout ce que nos chemins de fer possèdent comme grandes pièces de collection, telles « L’Eléphant » de Stephenson, reconstituée selon le modèle original, et la locomotive « Le Belge » sortie des usines Cockerill en 1835, qui attendent, dans un dépôt, que le musée des Transports soit créé [2] pour reparaître devant le public.

La visite des deux salles superposées du musée est cependant pleine d’enseignement. Son attrait est attesté par le nombreux public qui y défile.

 Le « Pays de Waes ».

Ce qui frappe, dès l’abord, c’est l’authentique locomotive de l’ancienne compagnie du chemin de fer Anvers-Gand, à travers le Pays de Waes, qui, construite en 1842, porte précisément le nom de « Pays de Waes ». C’est une machine-tender à roues libres, dont le poids à vide est de 13 tonnes et demie et le poids en marche de 17.550 kg. Elle est portée sur des voies dont l’écartement est de 1,14 m.

L’authentique « Pays de Waes » (1842)

C’est là, assurément, la pièce la plus impressionnante qui sollicite le regard. Il en est d’autres qu’elle semble couver amoureusement. Et, en ordre principal, la maquette du train « Le Belge » de 1835, dont les vives couleurs s’abritent sous une vitrine à proximité de la maquette de la « Puffing Billy », de 1813, et de l’imposante, de la puissante « Pacific », née en 1935, dont on nous présente une coupe au 1/5.

 Walschaerts et son système.

Le visiteur a le choix, soit qu’il coure aussitôt vers les autres maquettes disposées dans la partie gauche de la première salle, soit qu’il veuille faire, d’abord, par la partie droite, une incursion dans les appareillages des chemins de fer. C’est l’itinéraire que nous allons emprunter. Il nous conduira, après une brève station devant diverses pièces de locomotives à vapeur et des pièces d’outillage, devant la coupe d’un mécanisme qui devait trouver, pendant plus de cent ans, une utilisation mondiale.

Le système Walschaerts

La photographie de son inventeur est là aussi, Egide Walschaerts, modeste mécanicien qui, né à Malines en 1820, allait entrer au service des chemins de fer, à 22 ans, un an après avoir fait homologuer son brevet d’invention pour un système de distribution de vapeur à coulisse. Deux ans après son admission aux chemins de fer, Walschaerts réalisait son système et était nommé chef d’atelier. Il avait alors 24 ans. Il mourut en 1901, âgé de quatre-vingt-un ans.

 Des rails, évidemment.

Avec l’appareil de Walschaerts, nous sommes, si l’on peut ainsi dire, au cœur même du fonctionnement des chemins de fer. Il n’est plus que de se laisser aller de stand en stand pour retrouver, ici, divers modèles de téléphones anciens, des appareils de télégraphe Morse, un appareil central mécanique pour la manœuvre des signaux et des aiguilles, là, ces signaux eux-mêmes et les disques avertisseurs.

Il arrive que l’on dise du cheminot qu’il a « un rail dans le ventre ». Le rail est, en effet, l’un des éléments essentiels des communications ferroviaires. Il était dès lors intéressant d’en retracer l’historique, pièces à l’appui. Le musée est, à cet égard, fort complet. On y peut voir les divers types de rails utilisés depuis le rail subondulé de 1835 jusqu’aux appareils à dilatation pour longs rails soudés, créés en 1950 et perfectionnés depuis lors à plusieurs reprises.

Le rail subondulé, qui fut le premier rail utilisé en Belgique, est dérivé du rail en fonte créé en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle. Il est constitué par des barres de fer de 4,57 m. (15 pieds) de longueur qui, tout en possédant un champignon supérieur en guise de table de roulement, présentent une section droite de hauteur variable du fait que le bord inférieur, à peine raidi par un léger bourrelet, forme sur la longueur d’une barre cinq ondulations successives. Ce rail pesait en moyenne 18 kg/m.

Il y a là encore d’autres sections de rails, celui, de 1864 qui, fait en acier Bessemer, élimina le rail en fer, le rail Goliath de 52 kg/m., qui date de 1886, le rail de 57 kg/m., de 1907, celui de 50 kg/m, à profil, de 1910, etc. On peut voir aussi bien le rail parallèle à double bourrelet, de 1840, et les divers types de traverses : les traverses de bois, les traverses métalliques, qui font leur apparition en 1929, les traverses en béton (Franki-Bagon), qui sont de 1947. On y trouve encore des traversées V. 8 et des croisements H 1 et H 8, sur lesquels pourront utilement se pencher les spécialistes.

 Des maquettes.

L’aile gauche de la salle est peut-être plus attrayante pour le public profane et, en tout cas, pour les jeunes gens qui visitent le musée. On y peut voir, en effet, de nombreuses maquettes réalisées naguère par les apprentis de nos ateliers centraux. L’énumération en serait longue et probablement fastidieuse. Comment passer sous silence, toutefois, la pittoresque voiture en bois d’une capacité de 80 places, N° 3055, qui date de 1889 ? Comment ne pas citer le petit wagon-traîneau si caractéristique, de 1879, qui était en service sur le plan incliné de Liège (33 mm. par m.) après la suppression des poulies de halage des trains ? Comment ne pas s’arrêter devant la touchante fantaisie « La Patience », réalisée en 1854 par un cheminot de Malines, G. P. De Stobbeleere, ou la maquette de « L’Eléphant » de 1835, ou encore l’ex-type 1 Belpaire N° 17 E., de 1864, quand on sait le rôle joué dans la construction des locomotives belges par l’ingénieur Belpaire ? On verra là aussi une maquette de la locomotive type 12 de 1889, construite, en ordre de marche, par M. J.-B. Sterckx, qui fut mécanicien-électricien.

La maquette de « L’Eléphant » (état en 1849.)

Sous les nombreuses vitrines, on admirera des locomotives de 1880, de 1888, de 1907, de 1909, des wagons de toutes les époques, wagon plat ou wagon fermé, fourgon à bagages ou wagon-tombereau. On y verra même un wagon-trémie, une adorable « diligence » de 1864, le Pullman 4074 de 1826 et l’autorail type 551, à moteur Brossel 6 cyl. 127 ch de 1934. On y verra enfin la locomotive Santa Fe avec tender de la Compagnie des Chemins de fer du Congo supérieur aux Grands Lacs africains et une mignonne reproduction du ferry Zeebrugge - Harwich.

 Des photographies.

Mais que d’autres sujets passionnants ! On y songe en contemplant les photographies qui ornent les murs de la salle et qui font voir tant de types divers de locomotives dont les noms sonnent encore à nos oreilles : la Consolidation type 38, de 1921, la Consolidation type 29, qui est de 1946, la Décapod type 26, de 1945, l’Atlantic type 12, de 1939, la Mikado type 5, de 1929, l’Atlantic T type 16, de 1905, la Bourbonnais type 41, de 1904, la Columbia type 12, de 1888, et le fameux Dragon belge qui, datant de 1862, fut la locomotive affectée au train royal de Léopold II.

 Des souvenirs.

Nous n’avons encore parcouru qu’une salle, la principale, à vrai dire, encore que l’autre ne soit pas non plus dépourvue d’attrait. Montons-y.

Ici, l’intérêt technique s’efface devant les souvenirs historiques. Quelques-uns, nous le verrons, ont un côté pittoresque incontestable.

Dès qu’il entre dans cette salle, le visiteur est mis en alerte par un vaste stand où se trouvent rassemblés les témoignages émouvants de la résistance des cheminots à l’occupant de la dernière guerre.

Les autres vitrines nous ramènent à des temps plus paisibles, à des événements moins tumultueux. Les unes exposent une riche collection de médailles relatives à l’inauguration de nouveaux tronçons. Parmi elles, la médaille frappée le 1er mai 1834 pour l’inauguration, un an plus tard, de la ligne Bruxelles - Malines ; une autre encore, frappée en 1882 en hommage à Charles Rogier, l’un des fondateurs de l’Indépendance belge et promoteur des chemins de fer en Belgique. Il y a là aussi des décorations commémoratives datant du cinquantième anniversaire des chemins de fer belges, de la mise en service des paquebots Ostende - Douvres, du 75e anniversaire des Télégraphes et Téléphones.

La maquette de l’ex-type 1 Belpaire (état original, 1864.)

 De belles images.

Aux cimaises, des lithographies de diverses époques, notamment des gares de Bruxelles ou des gares de province. Une très belle œuvre, signée Lauters et Fourmois, est particulièrement intéressante, du fait qu’elle constitue une vue panoramique de l’inauguration de la première voie ferrée, le 5 mai 1835.

Ce n’est pas la seule image touchante. Il en est d’autres, imprimées sur les presses d’Epinal, ou bien d’une singulière naïveté dans le dessin. L’une d’elles explique même que « la vapeur est une association de l’eau avec le principe du feu et... son utilisation pour le chemin de fer permet à celui-ci de faire douze lieues à l’heure », ce qui, ajoute la légende, « permettrait de faire le tour du monde en... six semaines alors que le bateau mettrait un an ! »

On aurait tort de sourire de ces images puériles ou de ne leur accorder qu’un regard distrait. Certaines sont d’un délicieux pittoresque. D’autres font voir quels projets grandioses hantaient déjà l’esprit des promoteurs des chemins de fer. L’une de ces lithographies montre en perspective les boulevards du centre de Bruxelles avec... une jonction Nord-Midi en site propre !

 Insignes, billets, indicateurs...

En se penchant sur les vitrines, on verra, avec une surprise amusée, des jetons et des insignes de congrès internationaux, des cartes de libre parcours pour tous les réseaux du monde, depuis les divers réseaux européens jusqu’aux réseaux chinois et sud-mandchourien. Il y a là des « menus » de banquets qui témoignent de l’extraordinaire appétit de nos grands-pères, des billets de chemin de fer, des cartes de presse, des journaux ferroviaires du siècle dernier. On y voit même un livre de réclamations ouvert sur des pages très désagréables pour un employé d’une petite gare provinciale.

Quoi encore ? Des photos de personnages qui participèrent au cortège organisé à Bruxelles, les 16 et 23 août 1885, pour le cinquantième anniversaire des chemins de fer, des cartes ferroviaires de diverses époques, des annuaires, des indicateurs officiels, des barèmes des prix.

 Le réseau en réduction.

Le fond de la salle est occupé par un réseau en réduction, avec ses ponts métalliques enjambant les rivières, ses ports fluviaux, ses centrales électriques, ses stations transformatrices de courant, ses pylônes pour lignes à haute tension, ses tunnels, etc. Les bâtiments disséminés sur ce réseau sont la reproduction de bâtiments existant à Liège, à Anvers, à Bruxelles, à Matadi, à Léopoldville, etc.

« La Patience »

Des commandes électriques permettent naturellement d’animer l’ensemble et de lui donner l’étrange aspect d’un paysage lilliputien.

Enfin, il y a là encore des maquettes de certains travaux d’art nécessités par la Jonction Nord-Midi, des maquettes de diverses gares belges, celle de Malines, aujourd’hui démolie, celle de Schaerbeek, la nouvelle gare de Mons, des maquettes de divers ponts métalliques, du viaduc jeté sur la vallée de la Pède, entre Bruxelles et Gand.

 Des uniformes et des croquis.

Le musée eût été incomplet s’il n’eût montré des uniformes de la « belle époque », uniformes de cérémonie avec bicorne à plumes blanches pour un administrateur, à plumes noires pour un chef de gare, uniforme plus discret d’un des derniers chefs de l’ancienne gare du Nord, à Bruxelles, des képis, des casquettes. Il y a même un service de table français qui retrace tout l’historique des locomotives, de la « Puffing Billy » de 1813 à la BB 9004 de 1952.

Des signaux...

Nous nous en voudrions de ne pas signaler les lithographies humoristiques de Maurice Drouart, qui les grava vers !e milieu du siècle dernier, l’admirable série de lithographies en couleur de James Thiriar qui a, si adroitement, « croqué » le personnel au siècle passé et dans les premières années de celui-ci, depuis la garde-barrière consciencieuse et peut-être un peu affolée, ou le garde-salle goguenard jusqu’à l’élégant ingénieur en chef paradant dans les salons mondains. Le plus curieux est, sans doute, ce « coureur » qui, en 1841, précédait les convois en agitant une cloche pour avertir le public d’avoir à se... garer. C’est une série qui, à elle seule, mériterait une visite. Il y a, dans ces lithographies, un sens très aigu de l’observation, une analyse extrêmement fine de la psychologie, soutenus par une sûreté de traits qui témoignent d’un talent admirablement maîtrisé. (Voir Le Rail N° 109 pour des reproductions de ces lithographies.)

 Des timbres ferroviaires.

Nous en aurions terminé s’il ne convenait de signaler encore une importante collection de timbres ferroviaires. Le musée postal est, à Bruxelles, totalement indépendant de celui que nous venons de parcourir. Mais, depuis les deux dernières décennies du XIXe siècle, la Belgique émet des timbres spéciaux pour les colis transportés par voie ferrée. Ainsi peut-on admirer dans les vitrines du musée, des collections précieuses de timbres « ferroviaires », depuis l’émission de 1879-1884 jusqu’à nos jours. Les philatélistes trouveront donc leur compte, eux aussi, dans un coin de ce musée.

La maquette de la voiture en bois de 1889.

Tel quel, notre musée, sans être aussi riche que les musées similaires d’Utrecht, de Lucerne et surtout de Nuremberg, compte pourtant des pièces de valeur sur lesquelles les historiens et les amateurs peuvent se pencher, en attendant la réalisation du grand musée des transports, qui honorera la Belgique, premier pays continental à avoir, sur son sol, donné l’essor aux voies ferrées.


Source : Le Rail, septembre 1965


[1L’Association française des Amis des Chemins de fer a publié un numéro hors série entièrement consacré à la description du matériel conservé par la S.N.C.F. Cette notice, qui constitue en quelque sorte le catalogue d’un futur musée, est en vente à « La Vie du Rail ».

[2Voir « Le Rail » N° 103.