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L’histoire de la Jonction

D’après Ulysse Lamalle.

mercredi 19 août 2015, par rixke

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 Les « sables boulants »

La ville de Bruxelles est partiellement bâtie sur du très mauvais terrain, constitué par des sables fins gorgés d’eau, qu’on appelle communément « sables boulants ».

Quand on creuse une tranchée dans un sous-sol de ce genre, les terres voisines, sans consistance, s’éboulent dans la tranchée.

Avant de creuser, là où on édifierait le tunnel, il fallut donc d’abord assécher le terrain. Voici comment on fit. On enfonça à grande profondeur, par battage, un rideau de poutrelles verticales, emboîtées l’une dans l’autre, de manière à former un véritable mur d’acier étanche de chaque côté de l’emplacement du futur tunnel.

Fichés dans le sol et scellés dans le béton, les pieux métalliques feront aussi partie des parois du tunnel.

Les deux rideaux de poutrelles étant en place, il fallut assécher le terrain qui se trouvait entre eux. Cet assèchement fut poussé jusqu’à deux mètres en dessous du fond de la cavité à creuser pour y édifier le tunnel.

L’eau contenue dans les « sables boulants » fut soutirée à l’aide de pompes qui la dirigeaient vers des « puits filtrants » creusés encore plus bas, et qui laissaient passer l’eau mais pas le sable.

Cela s’appelle dans la langue des techniciens « rabattre la nappe aquifère ».

Une fois le terrain asséché, les terres pouvaient aisément être enlevées.

On a ainsi pu éviter les affouillements qui auraient pu compromettre la stabilité des immeubles voisins, et notamment les monuments historiques, tels que Sainte-Gudule et l’église de la Chapelle.

 Les égouts

Là où il se trouve, le tunnel barrait la route à 18 égouts qui acheminaient les eaux du haut de la ville vers la vallée de la Senne. Pour éviter de faire passer ces égouts « en siphon » sous le tunnel, on les raccorda à un « égout collecteur » qui court tout le long du tunnel et se raccorde à son extrémité aux égouts de la ville.

En outre, un égout-drain passant sous le tunnel recueille une grosse partie des eaux du sous-sol. Il stabilise ainsi, sous le radier, le niveau abaissé de la nappe aquifère et supprime toute poussée des eaux, de bas en haut, contre ce radier.

 La ventilation

En 1952, la traction était encore très largement assurée par des locomotives à vapeur, qui dégageaient d’abondantes fumées et bien évidemment de la vapeur. Un passage dans un tunnel de près de deux kilomètres posait le problème de la ventilation.

Il fallait absolument évacuer les fumées. D’abord pour des raisons évidentes d’hygiène. Mais aussi pour une question de sécurité ; elles étaient de nature à masquer les signaux aux machinistes.

C’est pour réduire l’importance de ces fumées et pour soulager la ventilation qu’on décida de faire remorquer entre Bruxelles Midi et Bruxelles Nord (donc dans le tunnel de la Jonction) les trains « vapeur » par une locomotive électrique placée en tête ou en queue.

A noter que les gaz d’échappement des autorails diesel alimentés au gasoil, encore qu’invisibles, sont nocifs, eux aussi, et doivent bénéficier, pour l’évacuation, d’une ventilation appropriée.

En gros, voici comment s’effectue la ventilation du tunnel. Celui-ci est divisé en trois tronçons.

L’air frais entre à suffisance par les deux ouvertures d’extrémité, ainsi que par une large bouche située dans la paroi du tunnel entre la halte du Congrès et la gare Centrale.

Quant à l’air vicié par les fumées et les gaz d’échappement, il est aspiré par de puissants ventilateurs, puis refoulé vers l’extérieur par la « tour d’évacuation » de chaque tronçon. Il existe, en outre, une évacuation complémentaire à la Centrale et au Congrès.

 Les nouvelles gares

Puisque, avec l’instauration de la Jonction, les trains ne devaient plus automatiquement rebrousser au Nord ni au Midi, ces deux gares cessaient automatiquement d’être des têtes de ligne.

La continuation de la circulation des trains a eu pour conséquence logique de ne plus maintenir qu’une seule grande gare à Bruxelles. C’est celle du Midi qui a été choisie.

Voici pourquoi.

Cela nécessitait évidemment une extension des installations et il y avait une plus grande disponibilité de terrain dans le sud de l’agglomération que dans le nord.

L’espace disponible à la gare du Nord ne dépassait pas 110 mètres en largeur, tandis qu’au Midi, il était sensiblement double : 200 mètres. Ainsi a-t-on pu installer à Bruxelles Midi 11 quais d’embarquement de 9 mètres de largeur desservant 18 voies de passage et 4 voies en impasse, alors qu’à Bruxelles Nord, les quais n’ont que 8 mètres de largeur, desservant 12 voies de passage. Au Nord, les voies sont surélevées de 7 mètres et les quais se trouvent environ à 8 mètres au-dessus du niveau de la rue. Comme le bâtiment est disposé latéralement par rapport aux voies, on a facilité aux voyageurs le franchissement de cette dénivellation à l’aide d’une rampe d’accès pour piétons et tramways débouchant sur l’esplanade face à la gare, actuellement éventrée par de nouveaux travaux. Cette rampe amène la clientèle à un niveau intermédiaire situe 4 mètres au-dessus de la rue.

Quant aux voyageurs arrivant en voiture, ils entrent sous l’esplanade et accèdent aux quais par les escalators.

A la gare du Midi, la dénivellation n’est que de 6 mètres. Les bâtiments à usage du public sont installés sous les voies et les voyageurs accèdent directement aux quais par les escalators.

Vers le sud, au-delà du viaduc qui surplombe le boulevard du Midi, les 6 voies de la Jonction s’épanouissent en éventail et, au moyen de liaisons et d’aiguillages, se branchent sur les 18 voies de passage de la gare (l’ensemble de la liaison s’appelle « le gril »).

Au Nord, les 6 voies de la Jonction se raccordent de la même façon, par un gril, aux 12 voies de la gare.

Il va de soi que les deux gares principales de la Jonction sont pourvues d’installations spéciales très importantes : garages pour voitures, remises pour locos électriques, automotrices électriques et autorails diesel (!a remise « vapeur » a été désaffectée en 1966).

Pendant les travaux d’exhaussement des gares du Nord et du Midi, il n’était pas question de fermer ces deux gares et de transférer le trafic voyageurs respectivement à celles de Schaerbeek et de Forest, qui étaient manifestement trop éloignées du centre de la capitale. Il a donc fallu opérer ce relèvement par étapes successives avec exploitation simultanée d’une gare « basse » et d’une gare « haute », celle-là s’amenuisant progressivement au profit de celle-ci qui s’étoffait.

On imagine mal aujourd’hui les difficultés insurmontables (et qu’on surmonta) qu’impliquèrent ces travaux en ce qui concerne la pose des voies, des aiguillages, de l’éclairage et, tout particulièrement, le maintien des dispositifs de sécurité (enclenchement) qui devaient permettre la manœuvre sans danger des aiguillages et des signaux.

Cela dura pas mal d’années et pourtant il n’y eut pas d’accident à déplorer. Il convenait de le faire remarquer. L’édification du bâtiment de la gare Centrale posait un délicat problème d’architecture.

Le terrain disponible avait l’aspect d’un triangle dont les côtés étaient les rues Cantersteen, de l’Impératrice et de la Putterie. De plus, il était en forte « déclivité ». Enfin, troisième particularité, ce bâtiment devait s’élever sur « un tracé en courbe » des voies.

Eh bien, tout compte fait, la gare Centrale propose un bâtiment de belle allure.

La gare Centrale possède 3 quais d’embarquement de 300 mètres de longueur desservant 6 voies.

Un quai supplémentaire, longeant une voie en impasse est réservé à la clientèle de la Sabena à acheminer vers l’aéroport de Zaventem.

Les locaux à l’usage du public sont chauffés par rayonnement à l’aide de canalisations placées « sous » le pavement.

Dernière particularité : toutes les portes d’entrée et de sortie vers l’extérieur sont supprimées et remplacées par des « rideaux d’air chaud ». Ce sont en quelque sorte des rideaux invisibles qui demeurent étanches malgré la poussée du vent et évitent toute déperdition de chaleur, sans entraver le moins du monde la liberté de mouvement des voyageurs.

Les haltes du « Congrès » et de la « Chapelle » ne sont que de simples « points d’arrêt » sans services accessoires. Quatre voies à quai seulement sont prévues pour la desserte des services omnibus et semi-directs.

A noter encore que, dans aménagement définitif, la gare de l’Allée-Verte — devenue inutile — a été purement et simplement supprimée.

hôtel Ravenstein
rue Terarken et rue Ravenstein
rue St-Esprit (à l’arrière plan : l’église de la Chapelle)
ancienne université libre de Bruxelles
rue de la Madeleine et rue de la Putterie
quartier de la Putterie

Source : Le Rail, septembre 1977