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La genèse du rail belge

Paul Pastiels.

lundi 2 avril 2012, par rixke

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Les chroniques du 150e anniversaire

« La Belgique était le seul pays qui, sans essais, sans tâtonnements eut du premier coup arrêté la structure du réseau de chemin de fer qui devait sillonner son territoire. Dès 1834, elle avait décidé l’établissement des lignes principales desservant ses communications avec les pays voisins et entre ses villes commerciales les plus importantes. Ce plan avait été courageusement suivi, sans que l’exécution en fût suspendue, ni par les complications politiques, ni par la crise commerciale de 1838 (...) » (A. Picard -1884).

La loi relative à la création d’un système de chemins de fer, à l’échelle nationale, avait donc été promulguée le 1er mai 1834 [1]. Ce plan ambitieux représentait un réseau s’étendant sur quelque 380 km et dont l’exploitation incombait à l’Etat. Les travaux d’établissement de la voie ferrée se portèrent d’abord sur la section expérimentale « Bruxelles - Malines », longue de 20 km. Les ingénieurs - directeurs Simons et De Ridder, forts de l’appui gouvernemental, réalisèrent enfin leurs projets, élaborés avec tant de minutie depuis 1831 : ils les mirent immédiatement à exécution et l’aventure du rail belge débuta sur le terrain !

 Les travaux de premier établissement de la voie ferrée

Les différents travaux à exécuter comprenaient les terrassements de la première voie ; la construction de trois ponts et de 43 ponceaux ; la fondation et la pose d’une voie principale longue de 20 km et de voies latérales à Bruxelles, Vilvorde et Malines ; le grillage et le pavage pour la traversée de 20 chemins ou chaussées. Ces travaux furent confiés à l’entreprise H. Borguet de Liège, par voie d’adjudication, le 27 mai 1834. Quelques jours plus tard, dès le 9 juin 1834, de nombreux placards invitèrent « ... les bons terrassiers, maçons, charpentiers, voituriers, bateliers qui cherchent du travail, à se présenter à Vilvorde auprès du Sieur Borguet, entrepreneur des chemins de fer » [2].

Un premier marché avec la firme anglaise Gordon and Cie de Cardiff fut approuvé le 13 mai 1834, pour une commande de 200 t de rails, nécessaires à l’établissement de 5 km de voie, dont le montant s’élevait à quelque 60 792 F. Les premiers cahiers de charge étaient relativement bien détaillés et donnaient une bonne description des rails utilisés à l’époque :

« Chaque barre de rail, en fer étiré et longue de 4 m 57, devra être divisée en cinq ondulations de 0,914 m entre les centres d’appui. Le poids de ces barres est fixé à 98 kg (21,4 kg/m). L’extrémité des rails sera proprement coupée d’équerre, dans le sens vertical, et en biseau dans le sens transversal, conformément aux indications qui seront données. Ces rails seront en fer fort de première qualité, fabriqué avec les meilleures fontes indigènes, bien affiné, parfaitement soudé. Ils devront pouvoir subir à froid, sans cassure ni déchirure, un ploiement semblable à effectuer au moyen de la chute d’un mouton de 200 kg tombant de 4 m de hauteur... Ils doivent être dressés avec le plus grand soin, parfaitement droits et d’équerre, sans aucun gauchissement ni dans la surface destinée au roulage, ni dans les renforts. Ils ne pourront présenter aucune bavure, ni gerçure nuisible, aucune exfoliation ni démaigrissement... ! » [3].

Un second marché, avec les firmes belges Cockerill de Seraing et Dupont de Fayt, fut approuvé le 22 juillet 1834. Il consistait en une double commande de 2 000 t de rails, de 725 t de coussinets et de 110 t de chevilles et clavettes, pour un montant global de 1 804 053 F. Les firmes Sabotsel et Boullet fournirent quelque 22 232 billes de bois. Les entreprises Stiellemans placèrent 41 bornes milliaires, 24 poteaux de défense, 12 barrières glissantes, 2 barrières provisoires à Vilvorde, 2 barrières avec balustrades à Laeken, 13 cabanes en charpente (mobilier compris) pour les gardes du chemin de fer. Des constructions provisoires furent érigées à Bruxelles (remise pour voitures avec corps de garde, bureau de recettes à la rue du Frontispice, pavillon transportable pour bureau de recettes et corps de garde à l’intérieur de la station), à Vilvorde (hangar pour montage et abri de locomotives, hangar pour remise de locomotives et voitures) et à Malines (ponton sur le canal de Louvain, bureau de recettes et corps de garde, abri pour voitures, forges, loge de portier). La presse de l’époque suivait de près l’état d’avancement des travaux, entrepris promptement dès le début juin 1834. Ainsi, le 12 juin 1834, elle nous apprenait déjà que : « ... plus de 600 ouvriers travaillent dans les prairies communales de Vilvorde. Les travaux sont déjà si avancés qu’ils s’approchent du château St-Michel de Neder-Over-Heembeek ! » [4].

 Le matériel de traction et le matériel roulant

Dès le 2 mai 1834, le Gouvernement belge approuva le contrat d’une première commande (montant de 105 508 F) de trois locomotives - dernier modèle ! - auprès de l’entreprise anglaise Stephenson. Il s’agissait des locomotives « La Flèche », « Le Stephenson » (modèles « Patentee » de Stephenson, cylindre de 11 pouces) et « L’Eléphant » (cylindre de 14 pouces), de trois tenders (ou trains d’approvisionnement) avec outils de route et pièces de rechange.

Le très officiel « Moniteur » du 4 octobre 1834 mentionna l’arrivée de la première locomotive (« La Flèche ») à Bruxelles, en provenance du port d’Anvers : « la locomotive à vapeur pour le chemin de fer est arrivée avant-hier à Bruxelles et a été déchargée à la place de la Grue où une multitude de curieux suivait le déchargement. La chaudière pèse seulement 8 000 livres. La machine doit être acheminée à Vilvorde... ». Ces trois premières locomotives furent réceptionnées définitivement le 29 avril 1835. Les 2 et 13 mai 1834, le Gouvernement belge approuva aussi les contrats de commande, à des entreprises anglaises diverses, de voitures et wagons. Il s’agissait de 4 « waggons » (modèles de Liverpool, Darlington et Swanington) montés, complets, pour le transport de la houille, du bois de construction et de marchandises diverses, d’un train complet de diligences de 1re classe, d’assortiments de roues, des essieux et ferrements complets de wagons, y compris ressorts, freins, chaînes...

Char à bancs

 Les premiers essais

Malgré quelques petits problèmes d’expropriations et d’indemnités de récoltes, les travaux allèrent bon train (sic). Le 5 octobre 1834 fut une date mémorable car l’entreprise Borguet procéda à la pose des premiers rails aux environs de Vilvorde. La locomotive « La Flèche » put ainsi effectuer ses premiers essais dès le 19 octobre 1834, en présence des ingénieurs Simons et De Ridder et de membres du gouvernement. Le « Moniteur » du 23 octobre suivant rapporta officiellement ces essais :

« Un nouvel essai de la machine locomotive qui doit faire le service du chemin de fer, a eu lieu avant-hier à 4 heures après-midi à Vilvorde. MM. les ministres de l’Intérieur et de la Justice, venus de Bruxelles pour voir cette expérience, sont montés sur la locomotive même ; ils étaient accompagnés de MM. les ingénieurs Simons et De Ridder.

La machine a d’abord fonctionné seule, c’est-à-dire sans wagons à remorquer. La distance du chemin de fer est de dix minutes (?) ; elle a été franchie en une minute et demie. Ensuite on a accroché à la locomotive cinq wagons dans lesquels une foule de curieux est montée, on peut évaluer leur nombre à 150 ; la distance avec cette charge a été franchie en deux minutes.

Il faut, remarquer que l’on peut juger qu’approximativement des effets de la machine à cause du peu de distance à parcourir. Il faut, en effet, que la machine ait franchi une longueur de 80 m environ avant qu’elle n’ait acquis son maximum de vitesse, et puis, quand elle arrive à 100 m du but, on intercepte l’émission de vapeur aux cylindres, de manière que la machine roule par la seule force d’impulsion qu’elle avait acquise ; on conçoit dès lors que sa marche est ralentie au départ et à l’arrivée, ce qui est important pour un aussi court espace. Quand on veut arrêter complètement le mouvement de la locomotive, le chauffeur l’enraie. Cette machine est sortie des ateliers de M. Robert Stephenson à Newcastle, elle porte le numéro 88.

Nous devons faire observer que la respiration n’est nullement gênée sur ce nouveau moyen de transport ; on n’éprouve pas même la moindre gêne sur les wagons découverts. »

Fait remarquable pour l’époque, les travaux d’établissement de la voie ferrée expérimentale « Bruxelles - Malines » furent exécutés en des temps records. Le samedi 4 avril, la locomotive « La Flèche » fut encore soumise à une épreuve décisive : elle effectua dix fois le trajet de Vilvorde au lieu-dit « La Perche » et retour (25 lieues en 3 h) en remorquant une voiture à trois caisses. Le lundi suivant, « L’Eléphant » passa à son tour, avec succès, l’essai obligatoire. La voie fut entièrement posée pour le 15 avril. Tout était donc prêt pour le grand départ de l’exploitation ferroviaire. L’ingénieur anglais G. Stephenson arriva à Bruxelles le 27 avril et visita les chantiers. Le 28 avril, le ministre de l’Intérieur De Theux lança les invitations et, le 1er mai suivant, le « Moniteur » publia le programme des festivités :

Impatient et soucieux de connaître enfin cette innovation qu’il avait tant soutenue dès le début, le roi Léopold 1er effectua le 1er mai vers 13 h, en compagnie de G. Stephenson, une visite des travaux du chemin de fer. A l’entrée de l’Allée-Verte, à Bruxelles, on achevait l’édification d’un bâtiment destiné aux bureaux de la direction, aux magasins divers. Il renfermait aussi un réservoir destiné à l’alimentation en eau chaude des remorqueurs (les locomotives d’alors !).

 Le grand jour

Le mardi 5 mai 1835 n’était guère ensoleillé. Optimiste, la « météo » annonçait un ciel couvert à nuageux, pas de pluie, un vent du nord-ouest et une température de l’air de 5 à 15 °C, normale pour la saison...!

Pourtant, toutes les localités jalonnant la voie ferrée se vidèrent de leurs habitants. Pour rien au monde, ils ne pouvaient manquer de vivre cet événement historique : l’inauguration du premier chemin de fer public sur le continent ! A Bruxelles, toute la population se rendit à l’Allée-Verte, haut lieu habituel de promenade de brillants équipages, d’élégants cavaliers ou de modestes piétons. Une foule bigarrée se pressait dans les trois drèves qui longeaient le canal jusqu’au pont de Laeken, elle s’amassait aussi le long des talus surplombant le chemin de fer.

« Il me souvient de ce beau jour où il pleuvait si fort ! Le rendez-vous était donné au point de départ, près de l’entrée de l’Allée-Verte. Un simple enclos palissade, au milieu de ces vastes prairies qui s’étendaient alors le long de cette promenade favorite, si chère au cœur des Bruxellois d’antan.

Pour toute apparence de gare, une maisonnette en planches. Mais à tous les abords se pressait une multitude innombrable : tout ce que Bruxelles comptait d’équipages s’épanouissait dans la promenade de l’Allée-Verte. L’animation de la foule était extrême : on eût dit que l’instinct du peuple pressentait l’ouverture d’une ère nouvelle pour le monde... » déclarait un témoin oculaire [5].

La gare, toute enrubannée, attendait quelque 900 convives. Le corps de musique de la Grande harmonie, la musique du 2e régiment de ligne, la musique des guides déambulaient parmi la foule impatiente et remplissaient l’air surchauffé, par alternance, de flonflons d’allégresse : le grand départ était fixé à midi et il fallait attendre l’arrivée du roi et de sa suite...

Les trois remorqueurs, venus de Vilvorde et menés par des machinistes anglais, étaient déjà en tête des convois, alignés sur trois voies parallèles. Ils fascinaient le public. La foule les découvrait avec curiosité, teintée d’appréhension : craintifs, certains les détaillaient à distance respectable ; d’autres, plus hardis, s’approchaient de ces monstres sous pression et examinaient leur haute cheminée, leur dôme de cuivre planté sur le corps cylindrique, leurs trois trains de roues, leur tender chargé de coke.

« Je vois encore M. Charles Rogier dans sa pleine verdeur, entouré de dignitaires, ministres, sénateurs, généraux, diplomates chamarrés sur toutes les coutures, en habits de gala, chapeaux à plumes et le reste. Le jeune député, toujours vert-galant, la figure rayonnante de l’inauguration de son œuvre, donnait force explications aux dames craintives, s’approchant avec prudence du mécanisme de cette machine infernale... » déclarait le même témoin [6].

Les voitures de 1re classe étaient de commodes diligences, formées de trois caisses. Il y avait même une berline, comparable à une voiture de maître de l’époque, doublée en drap très fin. Les coussins et dossiers étaient bourrés avec le plus grand soin ; les places centrales de chaque banc étaient séparées des autres par des bras de fauteuil en acajou. De petits rideaux de soie verte étaient même placés aux glaces des portières...

Des chars pourvus d’un toit plat fixé au châssis par huit supports, entourés par une cloison de bois s’élevant à hauteur d’appui constituaient la 2e classe. Longs de 3 m 60, ils étaient divisés en trois compartiments auxquels on accédait par un marchepied et une petite porte. Chaque compartiment comportait deux bancs se faisant vis-à-vis et pouvait être complètement fermé à l’aide de rideaux coulissant autour du toit.

Des chars à bancs rudimentaires formaient la 3e classe. N’ayant ni portières, ni marchepieds, on y accédait au moyen d’échelles appliquées contre les parois, ensuite chacun gagnait sa place en enjambant les bancs de bois disposés transversalement sans solution de continuité. L’espace vital attribué à chaque voyageur était plutôt réduit au strict minimum :

cinq personnes par banc en 3e classe, quatre personnes par banc en 2e classe...!

A 11 h 30, les invités prenaient place dans leurs voitures respectives. Afin d’apaiser les éventuelles appréhensions des voyageurs, le Gouvernement inséra dans le « Moniteur » cette note rassurante :

« C’est demain mardi que doit avoir Heu l’inauguration de la route en fer ; de nombreux waggons conduits par de puissants remorqueurs transporteront avec rapidité, de Bruxelles à Malines, les personnes invitées à cette cérémonie et les ramèneront à Bruxelles après la pose de la borne milliaire, au point central du système des chemins de fer à établir en Belgique. Toutes les précautions, dictées par une longue expérience acquise dans les pays où les chemins de fer sont en activité, ont été prises pour qu’aucun accident ne vienne entraver la marche du convoi. D’ailleurs, afin de rassurer complètement les personnes auxquelles la rapidité du mouvement des remorqueurs aurait pu faire concevoir quelques inquiétudes, les waggons mettront une heure environ, le jour de l’inauguration, pour faire le trajet de Bruxelles à Malines, bien que ce trajet puisse être parcouru en 18 à 20 minutes, à raison de 12 lieues à l’heure.

On a saisi l’occasion de la prochaine ouverture du chemin de fer, pour répandre parmi les classes laborieuses les opinions les plus fausses ; on a cherché à faire naître chez des ouvriers la crainte que l’établissement de cette nouvelle voie de communication n’ôtât à plusieurs d’entre eux leurs moyens d’existence : mais ces bruits ridicules n’ont obtenu et n’obtiendront aucun crédit auprès des ouvriers, qui n’ignorent pas que plus le commerce et l’industrie prennent de développement, plus ils sont assurés de trouver du travail. Loin de léser les ouvriers dans leurs moyens d’existence, l’établissement de la route en fer, en activant le mouvement commercial, ne peut manquer de leur fournir plus d’occasions d’employer leurs bras. C’est ce que le sens commun et l’expérience ont depuis longtemps démontré dans des circonstances semblables ; c’est ce qui sera heureusement et bientôt prouvé chez nous »

Peu avant midi, une sonnerie de trompettes annonça l’arrivée du roi :

il avait tenu à venir personnellement saluer les premiers voyageurs. Il ne serait pas du voyage car il n’était pas recommandé, lui avait-on dit, qu’un roi s’exposât dans une telle aventure. Il descendit de voiture et s’approcha des remorqueurs qu’il examina longuement. Ensuite, il traversa l’enceinte pour jouir du coup d’œil qu’offraient les trois files de voitures chargées de joyeux voyageurs.

A 12 h 23, une salve d’artillerie retentit enfin. Couvert par les applaudissements et les cris de la foule en délire, le premier convoi - formé de sept voitures pavoisées aux couleurs nationales et remorqué par « La Flèche » - s’ébranla et ouvrit la marche, suivi du deuxième convoi - tiré par « Le Stephenson » - et du troisième convoi de 16 voitures - remorqué par « L’Eléphant ». A la queue leu leu, les trois convois, empanachés de vapeur, quittèrent l’Allée-Verte, sous les acclamations de nombreux spectateurs.

« Non / Non ! Non ! On ne peut se faire une idée autrement qu’après l’avoir ressentie, de la sensation éprouvée quand on se voyait pour la première fois enlevé par la vapeur... On voyait fuir, instantanément, arbres, maisons, hommes, emportés comme par magie... Je ne sais ce qui se passait dans les wagons postérieurs et antérieurs mais dans le nôtre, c’était la joie ! On riait, on pleurait, on battait des mains, on s’enivrait de célérité ! Et pour comble, voici qu’un ingénieur de mes amis, placé près de moi, me dit dans le tuyau de l’oreille : Vous voyez ce monsieur qui est à ma gauche ? Cette belle figure anglo-saxonne respirant le calme et la réflexion, cette tête couronnée de cheveux blancs ? C’est Stephenson ! » rapportait plus tard M. Bourson, chroniqueur à l’Illustration nationale, qui était du voyage.

Partout, une multitude de curieux se pressait le long de la voie ferrée afin de contempler le passage de ces « Jan Vapeur » ou autres « Vuur Duivel », menés par d’étranges conducteurs, coiffés d’un haut-de-forme. A Vilvorde, la société d’harmonie locale salua les convois. Vers 13 h 13, le premier convoi atteignit les abords de Malines. Le terminus se situait à quelques pas du canal de Louvain, en face d’un établissement dénommé « Coloma ». Les invités franchirent le canal grâce à un ponton provisoire pour arriver ensuite à une place circulaire au milieu de laquelle trônait la colonne milliaire. Quatre hauts mâts portaient des drapeaux aux noms de Bruxelles, Ostende, Anvers et Liège : ils indiquaient les quatre futures directions du chemin de fer. Plus loin, un drapeau français et un drapeau prussien flottaient dans la direction respective de leur pays.

Inauguration du premier chemin de fer belge

Après l’inauguration de la colonne milliaire, le discours du ministre de l’Intérieur et la distribution de médailles commémoratives, un vin d’honneur accueillit les membres du Gouvernement et les principaux notables. A 16 h 15, un convoi unique de 30 voitures, tiré par « L’Eléphant », rapatria les convives à Bruxelles. Mais, à l’approche de Vilvorde, la pression de vapeur s’affaiblit à tel point que le remorqueur dut s’arrêter. La locomotive s’en alla alors refaire le plein d’eau à Vilvorde, en laissant ses hôtes inquiets en rase campagne. Finalement, le convoi tant attendu par une foule anxieuse de spectateurs se présenta à l’Allée-Verte à 17 h 15. Les participants oublièrent vite cet incident. A 19 h, un repas de quelque 200 couverts fut offert au corps diplomatique, aux membres des deux Chambres, aux principaux fonctionnaires civils et militaires. Les festivités officielles - qui coûtèrent 32 051 F - or ! - se terminèrent à 22 h, dans la liesse populaire, par un très beau feu d’artifice, tiré à la porte de Schaerbeek, et par un grand bal organisé au Waux-Hall.

 Epilogue

La grande aventure du rail belge débuta donc le 5 mai 1835. Le lendemain, un arrêté royal nomma les ingénieurs Simons et De Ridder ingénieurs en chef de 2e classe, en raison des services rendus. Le 7 mai suivant, le tronçon « Bruxelles - Malines » était ouvert au public mais les trains ne s’arrêtaient pas encore à Vilvorde, faute d’infrastructure suffisante.

Les « Moniteurs » des 6 et 7 mai publièrent les premiers tarifs, les premiers horaires des trains et ... le premier règlement de police. Pour mémoire, le prix du voyage « Bruxelles - Malines » (4 lieues) s’élevait à 0 F 50 pour les chars à bancs non couverts (3e classe), à 1 F 00 pour les chars à bancs couverts (2e classe), à 1 F 50 pour les diligences ordinaires (1re classe) et à 2 F 50 pour les berlines (1re classe... à supplément !).

Songeons aux parcours en malle-poste qui s’élevaient, en moyenne, à 0 F 55 par lieue... ! A partir du 8 mai, les départs étaient fixés à 9 h, 14 h et 17 h 30 de Bruxelles ; à 10 h, 13 h et 18 h 30 de Malines.

Dès le début, ce nouveau mode de transport connut un franc succès, on refusa même des voyageurs !

Cependant, il y eut bien quelques incidents, des plaintes diverses des usagers :

« Hier matin, à 9 h, a eu lieu le départ de « La Flèche » pour Malines. Elle remorquait une douzaine de voitures remplies de voyageurs, parmi lesquels on remarquait des députés et plusieurs dames. Le trajet jusqu’à Malines a été fait en 30 minutes (8 lieues à l’heure).

Mais, arrivée à la station, la machine, dont le mouvement n’avait pas été suffisamment ralenti par le conducteur, n’a pu être arrêtée à l’extrémité du chemin ; elle a dépassé la limite, brisé la palissade placée au bord du canal, et s’est arrêtée seulement dans la vase. Comme on le pense bien, l’émoi a été grand, mais pas le moindre accident n’est à regretter. De sang-froid on eût vu que rien de grave n’était à redouter et qu’il était impossible que les voitures suivissent la machine à l’eau à cause de la longueur du convoi. La machine est restée enfoncée dans la vase, et l’on s’occupe de l’en retirer. Le convoi est revenu à Bruxelles à midi, remorqué par « L’Eléphant » que l’on avait été chercher à Vilvorde ; et le retour a ramené à Bruxelles plus de voyageurs qu’il n’en était parti le matin pour Malines.

L’affluence d’étrangers, qui viennent visiter notre chemin de fer, augmente de jour en jour, tous les hôtels sont pleins... ! » [7].

Les principaux griefs des premiers usagers se résumaient comme suit : trop petit nombre de voyages effectués par jour, spéculateurs revendant des coupons, pas d’arrêt des trains à Vilvorde, chocs prononcés des wagons en cours de route...

En un an, le remorqueur « Stephenson » effectua 1 319 voyages à une vitesse moyenne de 32 km/h ; « La Flèche » effectua 1 330 voyages à une vitesse moyenne de 34 km/h ; « L’Eléphant » effectua 96 parcours à une vitesse moyenne de 28 km/h. A partir d’octobre 1835, cette dernière locomotive fut utilisée pour les travaux d’édification de la section « Malines - Anvers. [8] Le coke utilisé par ces locomotives provenait de Mariemont, de Châtelineau, des usines à gaz de Bruxelles et de Louvain. Par après, des fours à coke furent établis à Mont-Plaisir, près de Vilvorde.

Durant cette période, le chemin de fer expérimental de Bruxelles à Malines transporta quelque 563 210 voyageurs (en moyenne, 152 voyageurs par convoi). En 1835, on ne déplora qu’un voyageur blessé de son propre fait. Les coûts de cette réalisation s’élevèrent à 1 224 100 F. Les résultats de cette expérience - grande première européenne ! - étaient fort encourageants et les bénéfices prometteurs : 106 802 F payés par 163 482 voyageurs, transportés entre le 7 mai et le 31 juillet 1835... !


Source : Le Rail, mai 1985


[1P. Pastiels - Le Rail (avril - mai 1984)

[2Journal d’Anvers (09/06/1834)

[3Chemin de fer de l’Etat - Compte rendu (01/03/1837)

[4Journal d’Anvers (22/06/1834)

[5Joé Diricx De Ten Hamme (Souvenirs du Vieux Bruxelles)

[6Joé Diricx De Ten Hamme (Souvenirs du Vieux Bruxelles)

[7Moniteur (09/05/1835)

[8Les remorqueurs « La Rapide », "L’Eclair » et « Le Belge » (la première locomotive de construction belge ! - dont voici une reproduction) renforcèrent ensuite l’effectif.
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