Accueil > Le Rail > Histoire > 150e anniversaire du chemin de fer > Le développement du réseau ferroviaire belge après 1835

Le développement du réseau ferroviaire belge après 1835

K.D.

lundi 16 avril 2012, par rixke

Toutes les versions de cet article : [français] [Nederlands]

 Les concessions de chemin de fer en Belgique

Chemins de fer de l’Etat ou sociétés privées ?

Lors de la discussion à la Chambre du projet de loi de 1832 sur la construction éventuelle d’une ligne de chemin de fer entre Anvers et Cologne, la question se posait déjà de savoir si le chemin de fer à aménager serait exploité par l’Etat ou par des entreprises privées. La loi du 19 juillet 1832 autorisait le gouvernement à concéder des droits de douane pour une durée maximale de 90 ans.

Les concessions ne pouvaient toutefois être accordées que par voie d’adjudication publique. Simons et De Ridder, 2 ingénieurs des Ponts et Chaussées, qui avaient reçu pour mission de mettre au point un projet pour la construction d’un chemin de fer, arrivèrent à la conclusion que la concession de chemins de fer constituerait une mauvaise opération pour l’Etat. Ils étayèrent leur thèse sur les précédents observés en France et en Angleterre, ainsi que sur les concessions en matière de travaux publics accordées en Belgique dans le passé : l’Etat devait intervenir sans arrêt comme bailleur de fonds, alors que les sociétés titulaires de concessions empochaient invariablement les bénéfices. Bien que la loi du 1er mai 1834 préconisât l’exploitation par l’Etat, la discussion sur ce point à la Chambre fut quand même fort houleuse. Jusqu’en juin 1840, seules 6 concessions avaient été demandées : toutes étaient des lignes industrielles accessibles au trafic voyageurs.

De 1835 à 1843, l’Etat avait posé quelque 599 kilomètres de voies. C’est ainsi que pour fin 1843, le gouvernement avait mis en place un réseau ferroviaire étendu reliant entre elles les villes importantes du pays.

Le train pénétra dans les principaux centres d’activité industrielle et commerciale ; les meilleures lignes étaient exploitées par l’Etat. Voilà pourquoi il renonça à installer d’autres lignes. Non content de se désintéresser de l’aménagement de nouvelles lignes, l’Etat en vint à encourager le capital privé à investir dans l’expansion ultérieure du réseau. En effet, à cette époque, la crainte de voir se créer des sociétés de chemin de fer avec du capital hollandais avait disparu : l’indépendance reposait sur une base solide et la richesse du pays était telle, que le capital belge avait les moyens de s’intéresser à la création de nouvelles sociétés.

La première ligne concédée : Anvers - Gand

La première ligne concédée de Belgique fut accordée par arrêté royal du 16 novembre 1842 à l’ingénieur De Ridder et fut posée sans la moindre intervention de l’Etat.

Elle était remarquable à bien des égards :

C’était une voie étroite de 1,15 mètres, alors que les chemins de fer de l’Etat avaient un écartement de 1,50 mètres. Il était donc impossible de passer d’une voie à l’autre.

A Anvers, il fallait franchir l’Escaut par bateau. Bien que ces deux aspects constituassent une entrave à l’extension ultérieure du réseau, le chiffre d’affaires de cette ligne augmenta constamment.

La véritable période des concessions

La période anglaise

Le succès des lignes concédées en Angleterre montrait que l’exploitation des chemins de fer était une entreprise rentable. Aussi, des financiers anglais prirent des options sur les lignes belges.

Ces concessions anglaises constituaient la plus grande partie du réseau ferroviaire abandonné à l’entreprise privée. En 1845, l’Etat accorda une concession pour l’exploitation de 581 kilomètres de voies, puis encore de 274 kilomètres supplémentaires l’année suivante. En deux ans, 9 concessions furent accordées pour un total de 855 kilomètres, ce qui fit dire au ministre Nothomb :

« Nous avons été Romains, nous avons appartenu à l’Espagne, nous avons été Autrichiens, nous avons été Français, nous avons été Hollandais, à présent nous sommes Belges, mais nous allons devenir Anglais ! » On ne peut pas dire que la période des concessions se déroula sans problèmes. Au contraire, les difficultés s’accumulèrent et bien peu de sociétés furent en mesure de faire face à leurs obligations. Des 9 concessions en 1845-1846, une seule, la ligne Tournai - Jurbise, fut exploitée selon les conditions convenues au départ. Deux sociétés cessèrent même d’exister : la société de Louvain vers la Sambre et la société de la Dendre.

La société qui exploitait la ligne Hasselt - St-Trond eut besoin d’une subvention de 200 000 francs. Les 6 autres sociétés furent incapables de respecter les conditions requises en raison des conséquences financières de la crise générale qui sévit entre 1845 et 1847 et la Révolution de 1848 en France. Afin d’éviter que certaines sociétés ne tombent en faillite, l’Etat fut forcé de prendre certaines mesures. Par la loi du 20 décembre 1851, elles furent libérées de certains engagements et l’Etat leur accorda en outre une garantie de rente pour quelques lignes secondaires ou nouvelles, mais peu prometteuses.

Tout cela était destiné à permettre la pose ou l’achèvement de certains tronçons.

La société qui construisait la voie ferrée entre la Sambre et la Meuse (achèvement des travaux prévu le 07.03.1849) dut interrompre ses activités pendant une longue période en raison d’un manque de liquidités et ne put les reprendre qu’après que le gouvernement lui eut accordé un rééchelonnement et une garantie de rente de 4 % pendant 50 ans.

La société qui se chargeait du développement du réseau ferroviaire en Flandre-Occidentale avait apparemment la tâche relativement aisée grâce au relief plat de la région. Après l’achèvement de la ligne la plus importante et la plus rentable en 1847, à savoir Bruges - Courtrai, elle donna l’impression de ne plus tellement souhaiter l’extension du réseau. La société reçut du gouvernement une garantie de rente de 4 % pendant 50 ans destinée à l’aménagement de la ligne Courtrai - Poperinge et de l’embranchement vers Tielt. Pourtant, la dernière section de la ligne ne fut achevée qu’en 1855, 10 ans après l’octroi de la concession ! La même chose se produisit pour la société de Namur - Liège et Charleroi - Erquelinnes, qui en 1854 alla jusqu’à louer sa concession à la Compagnie du nord français. Afin d’éviter qu’il en aille de même avec la ligne Mons -Manage, l’Etat reprit la ligne et l’ajouta à son réseau.

La ligne concédée la plus importante était indubitablement celle de la grande compagnie du Luxembourg, dont la longueur était de 232 kilomètres en 1846 et qui avait été concédée aux Anglais Clossman et Co. Elle comprenait au début le trajet Bruxelles - Namur - Arlon. En 1863, la société demanda en plus la concession de la ligne Liège - Arlon. Cette société se vit également rapidement confrontée à de graves difficultés financières.

En dépit des mesures prises par le gouvernement, des négociations furent même envisagées en 1869 avec la Compagnie française des chemins de fer de l’est français en vue d’une reprise.

Comme le gouvernement belge estimait que le caractère national du réseau était ainsi mis en cause, il reprit la ligne, malgré les protestations françaises.

La période belge

Cette période de concessions anglaises fut suivie par la période belge.

Entre 1845 et 1870, l’Etat construisit lui-même encore un certain nombre de lignes ferroviaires qui étaient toutefois d’importance moindre et dont la longueur totale ne dépassa pas 50 kilomètres ! L’exploitation de lignes concédées fut soit entreprise par les sociétés, soit confiée à l’Etat contre abandon aux titulaires de la concession d’une partie des recettes ou contre paiement d’une rente annuelle. En outre, des sociétés belges posèrent encore 436 kilomètres de voies pour le compte de l’Etat. Il s’agissait notamment des lignes : Etterbeek - Auderghem, Tamines - Mettet, Athus - Gedinnes, Gembloux - Jemappes. Le réseau belge, qui était très étendu, présentait donc une grande diversité.

Pour des raisons économiques, politiques et militaires, l’Etat procéda à la reprise de toutes les lignes concédées.

Le regroupement des réseaux

Les lignes ferroviaires des différentes sociétés s’étaient étendues de leur propre initiative de manière plutôt anarchique. Dès lors, il se créa un enchevêtrement de réseaux ferroviaires inadaptés les uns aux autres, ce qui donna à nouveau lieu à des détournements de trafic. Une rationalisation s’imposait : certaines sociétés rendirent leur concession en échange d’une rente fixe ou d’un certain pourcentage sur le bénéfice brut. Ce fut notamment le cas de la société de Namur - Liège et Charleroi - Erquelinnes, qui en 1854 cédèrent leur exploitation à la société française « Nord-Français », à la suite de quoi le « Nord-Belge » fut fondé.

D’autres sociétés décidèrent d’exploiter leurs lignes en commun. Ainsi naquit en 1864 le « Grand central belge », suite à la fusion des chemins de fer Anvers - Rotterdam, Est-Belge et Entre-Sambre-et-Meuse.

En Belgique, le Grand central belge exploitait à lui seul déjà 511 kilomètres de voies, avec comme principale caractéristique une ligne qui allait du nord au sud et qui assurait une liaison internationale entre les chemins de fer néerlandais, les ports de Rotterdam et d’Anvers et les chemins de fer de l’Est français.

La reprise par l’Etat

En 1873, pour des raisons politiques, l’Etat reprit la concession de la grande compagnie du Luxembourg. Une reprise des autres réseaux devint toutefois également nécessaire pour des raisons économiques. Etant donné la grande diversité de réseaux, il n’y avait pas de système tarifaire uniforme. C’est surtout le transport des marchandises qui en subissait les inconvénients, puisqu’il ne pouvait prétendre à aucune réduction de tarif en raison des nombreux passages d’un réseau à l’autre.

En 1870, le nombre de concessions était tellement élevé que l’Etat n’exploitait plus que 869 kilomètres sur un total de 3 136 kilomètres. Cette situation étant intenable, l’Etat passa progressivement à la reprise des lignes concédées. Ce processus fut également accéléré par le fait que la plupart des concessions prévoyaient le droit de reprise par l’Etat après la vingtième année.

En 1870, l’Etat reprit l’exploitation de 601 kilomètres de voies. En 1873, ce fut au tour de la grande ligne du Luxembourg et entre 1876 et 1882, l’Etat reprit 440 kilomètres supplémentaires. Ensuite, il y eut une période d’accalmie ; mais à partir de 1896, les reprises se succédèrent à un rythme accéléré. Avant la première guerre mondiale, l’Etat avait déjà repris toutes les lignes concédées à l’exception du Nord-Belge, des lignes Malines -Terneuzen, Gand - Terneuzen et de la ligne de Chimay. Il exploitait alors 4 786 kilomètres, tandis que les sociétés devaient se contenter de 275 kilomètres de voies. Après la création de la SNCB en 1926, qui était un compromis entre l’exploitation par l’Etat et l’exploitation par le privé, la politique de reprise pour le compte de l’Etat fut poursuivie et la SNCB en vint progressivement à exploiter l’ensemble du réseau.


Source : Le Rail, mai 1985

Portfolio