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Grande vitesse

P. Vankeer.

vendredi 30 décembre 2022, par rixke

En marge du Thalys et de l’inauguration de la LGV frontière française

Au printemps 1937 s’ouvrait l’Exposition internationale de Paris. L’Europe voulait encore croire à la paix et à l’utilisation pacifique du progrès technique. Cette année-là, les chemins de fer français et belges lançaient un service d’autorail rapide reliant les deux capitales en 3 heures. Un exploit pour l’époque ! [1]

9.20 Bruxelles-Midi 23.15
12.20 Paris-Nord 20.15

En 1957, l’aventure des TEE commençait...

 Un peu d’histoire...

Mais revenons quelques années en arrière. C’est au début des années 30 que les autorails prirent progressivement leur aspect « moderne » (leur « design ») sur la plupart des réseaux européens.

Au début, l’autorail était conçu pour remplacer les trains omnibus peu fréquentés tout en assurant un meilleur temps de parcours, un plus grand confort, ainsi qu’un prix de revient plus bas. Ensuite l’augmentation de la vitesse devint l’objet des recherches des constructeurs.

1933 marqua un tournant décisif : cette année-là l’Allemagne mettait en service sur la ligne Berlin-Hambourg un autorail rapide à deux éléments. Baptisé « Fliegende Hamburger » (Hambourgeois volant), cet engin à moteur diesel Maybacn assurait la liaison sans arrêt (287 km) en 2 heures 17 minutes, soit à la vitesse commerciale de 125 km/h.

Et, la même année, le constructeur français Bugatti mettait au point pour le réseau de l’État un autorail équipé d’un moteur à essence qui, à l’horaire de 1935, reliait Paris au Havre (228 km) en 2 heures, soit une vitesse moyenne de 114 km/h malgré un arrêt à Rouen.

Les autres réseaux européens décidèrent alors la construction de tels engins. La SNCB, pour sa part, commanda à « Baume et Marpent » ainsi qu’à « La Brugeoise » de très belles rames doubles et triples qui, en raison des dimensions limitées du réseau belge, furent affectées à des services que nous appellerions aujourd’hui Intercity. C’est ainsi qu’en 1938, ces rames – lesquelles offraient des places de 2e et 3e classes – assuraient toutes les heures un service cadencé sans arrêt entre Bruxelles et Charleroi en 42 minutes.

 Le « Nord » prend l’initiative

La compagnie du Nord français, soucieuse de ne pas perdre son titre de « réseau de la vitesse » et désireuse d’augmenter sa clientèle sur l’artère Paris-Lille, décida de commander aux « Usines franco-belges » de Raimes, deux prototypes d’autorails rapides à moteur diesel. Après avoir d’abord penché vers une solution à deux éléments, le choix final se porta sur une rame triple (deux motrices encadrant une remorque).

Ces deux prototypes furent livrés en 1934.

Ils comportaient seulement des places de 1re et 2e classes (c’était le temps des trois classes) et – nouveauté dans le domaine des autorails – un buffet-bar permettant de servir aux voyageurs, à leur place, des consommations et une petite restauration.

Ils furent dénommés TAR (Train automoteur rapide).

Ces rames avaient fière allure avec leur avant arrondi et l’aérodynamisme de leur ligne. Elles recueillirent un grand succès sur la ligne Paris-Lille (252 km) qu’elles parcouraient en 2 heures 40 minutes avec trois arrêts. Ce succès décida la compagnie à commander huit nouvelles rames qui furent livrées en 1936. Elles étaient semblables aux prototypes, sauf que les places de 1re classe étaient rassemblées dans la remorque intermédiaire au lieu d’être reportées dans les motrices. En outre, elles portaient sur leurs flancs le nom d’une région du Nord de la France : Beauvaisis, Cambrésis, Artois, Picardie,...

 La SNCB entre dans le jeu

Le Nord disposait ainsi d’un effectif suffisant de TAR pour étoffer ses services intérieurs ou pour remplacer certains trains à vapeur peu utilisés. Une collaboration avec la Belgique toute proche paraissait évidente. « Nord » et SNCB se mirent d’accord pour établir en 1937 une liaison TAR Bruxelles-Paris en trois heures, doublée à quelques minutes d’intervalle sur le parcours commun Aulnoye-Paris par un autre TAR Liège-Charleroi-Paris. Porte-drapeau de l’industrie ferroviaire, le TAR se trouvait « trop étriqué » pour la clientèle : seulement 41 places en 1re et 96 en 2e classe. La solution du couplage de deux rames ayant été rejetée, ce fut à nouveau un train remorqué par une locomotive à vapeur qui reprit le service Bruxelles-Paris.

A l’été 1938, l’horaire fut quelque peu étendu tandis que le service d’hiver vit le TAR Liège-Paris purement et simplement supprimé.

 Après les années sombres

Pendant les années de guerre, les TAR furent retirés du service par manque de carburant.

Quelques rames furent détruites ou gravement endommagées. Dès la fin des hostilités, on les revit sur l’artère Paris-Lille puis sur un service Bruxelles-Paris à l’horaire d’hiver 1945-46. Le trajet comportait de nombreux ralentissements en raison du passage sur des ponts provisoires et se faisait en 4 heures 15 minutes.

Après une nouvelle interruption de quelques années, les TAR reprirent du service en 1955 sur la ligne Paris-Bruxelles, prolongée alors jusqu’à Amsterdam. Le trajet sans arrêt entre les capitales belge et française ne prenait plus que 2 heures 55 minutes ouvrant ainsi la voie à la relève par les TEE en 1957.

 L’aventure des TEE

Une petite révolution tarifaire avait déjà modifié le paysage du trafic international voyageurs : le système des trois classes était remplacé le 3 juin 1956 par un régime simplifié à deux classes (la 2e classe reprenait les caractéristiques de l’ancienne 3e et la nouvelle « première » rassemblait les 1re et 2e classes antérieures).

Le 2 juin 1957 vit le début d’une ère nouvelle en matière de trafic ferroviaire international : la création du réseau Trans-Europ Express.

Une dizaine de liaisons furent mises en service au moyen de rames « autorail » de 1re classe moyennant un supplément.

La solution « autorails diesel » était la plus logique et la plus satisfaisante étant donné que l’électrification des réseaux européens était loin d’être achevée. Malheureusement ceux-ci ne purent se mettre d’accord sur un type unique de matériel, ce qui donna lieu à une diversité qui, après tout, ne manquait pas de charme.

Les relations intéressant la Belgique étaient les suivantes :

  • Amsterdam-Bruxelles-Paris ;
  • Amsterdam-Bruxelles-Zurich ;
  • Ostende-Bruxelles-Cologne-Dortmund ;
  • Paris-Charleroi-Liège-Cologne-Dortmund.

Sur la ligne Amsterdam-Paris, on trouvait deux types de matériel :

  • Des rames « hollando-suisses » (construites en commun par les NS et les CFF) comportant quatre éléments et 114 places en tout : une motrice sans compartiment voyageurs ; une voiture intermédiaire à couloir latéral et neuf compartiments de six places ; une deuxième voiture intermédiaire comprenant cuisine, salle à manger pour 32 convives et un grand compartiment à couloir central de 18 places ; enfin une remorque-pilote avec un grand compartiment à couloir central de 42 places.
  • Des rames construites par la SNCF s’inspirant des rames intérieures à grand parcours (RGP) de conception plus « Spartiate » qui n’offraient que des voitures à couloir central sans salle de restaurant, mais avec néanmoins un service de petite restauration à la place.

Le trajet sans arrêt Bruxelles-Paris s’effectuait en 2 heures 45 minutes. Il y avait deux liaisons Amsterdam-Paris et une Bruxelles-Paris.

L’axe Amsterdam-Zurich était assuré par les rames hollando-suisses (une liaison par jour).

Le confort le plus raffiné était sans conteste celui offert par les rames allemandes assurant les liaisons Ostende-Dortmund et Paris-Dortmund.

Basées sur un prototype étudié par la Reichsbahn avant la guerre, elles comportaient des voitures à couloir latéral et petits compartiments, des voitures à couloir central à sièges inclinables et amovibles, une salle de restaurant et un bar aussi spacieux qu’ultramoderne.

Un VT 11 à Bruxelles-Midi

À noter que la SNCB ne s’était pas investie dans la construction de la première « tournée » de rames TEE mais qu’elle allait se rattraper quelques années plus tard en construisant des locomotives polycourant et en participant au pool franco-belge des célèbres voitures « inox » qui ont fait les beaux jours des TEE pendant près de trente ans sur l’axe Amsterdam-Bruxelles-Paris.

Par la suite le réseau TEE s’amplifia (en 1974 on dénombrait six relations quotidiennes entre Bruxelles et Paris du lundi au vendredi, deux entre Bruxelles, Cologne et au-delà tous les jours, de même que deux entre Paris et Cologne ainsi qu’entre Bruxelles et Zurich). Par la suite, il déclina parce que l’offre « haut de gamme » ne correspondait plus à une demande suffisante de voyageurs de 1re classe.

Le système TEE fut remplacé en 1987 par le réseau Eurocity de trains de qualité qui offraient les deux classes, ce qui permettait d’atteindre un plus vaste public.

 Et le TGV fut...

Entre-temps le TGV avait fait son apparition en France sur la ligne nouvelle Paris-Lyon (1981-83) et l’Atlantique (1989-90) tandis que la DB lançait son ICE entre Hambourg et Munich.

La décennie suivante vit la construction par la SNCF du TGV Nord Paris-Lille prolongé vers l’Eurotunnel (Eurostar) tandis que la SNCB attaquait la réalisation de ses lignes à grande vitesse vers la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et l’Allemagne.

 Aujourd’hui et demain

L’achèvement de la ligne à grande vitesse en Belgique fait tomber le temps de parcours Bruxelles-Paris à quelque 90 minutes tandis que Londres est désormais à moins de trois heures de Bruxelles par l’Eurostar. Dans quelques années, la grande vitesse se concrétisera également dans nos relations avec les Pays-Bas et l’Allemagne. D’autres réalisations du même genre ont vu le jour ou sont en projet dans les autres pays de la Communauté européenne. Les chemins de fer peuvent affronter avec sérénité le jugement de l’histoire.

Hier train Pullman, TAR, TEE, Eurocity... aujourd’hui Thalys et Eurostar, autant de noms, autant de jalons sur la voie d’un progrès constant pour plus de confort et de rapidité au service d’un nombre croissant de voyageurs.


Source : Le Rail, décembre 1997

Sources consultées

  • Revue « Je sais tout » avril 1933. « C’est la vitesse qui sauvera les chemins de fer » ;
  • L’Illustration du 28 juillet 1934. « Après l’autorail voici le train automoteur » ;
  • Traction nouvelle n° 6, novembre-décembre 1936 ;
  • « Les rames automotrices rapides du type franco-belge » par L. Dumas ;
  • En lignes, revue du PFT ; n°31 septembre 1997 ;
  • « Les rames TEE diesel NS-CFF » par Paul Dewit.

[1Le train à vapeur Pullman Oiseau Bleu prenait aussi trois heures pour faire Bruxelles-Paris mais sans arrêt tandis que l’autorail desservait Mons, Aulnoye et Saint-Quentin.