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De Knokke à Adinkerke

R.G.

mardi 22 mars 2022, par rixke

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Fenêtres ouvertes sur la vague, un savant montage d’immeubles, de palaces, de casinos et d’hôtels : la cité neuve, élégante, cossue ; en deçà, la vieille terre : maisons basses des pêcheurs, graves radoubs, collines rousses où dame Nature a prétendu garder ses droits les plus stricts ; une agglomération qui tient à la fois de la ville et du village, de la féerie et du recueillement : telle apparaît, sur les quelque soixante-six kilomètres de son tracé rectiligne, cette aimable rue panachée qu’est le littoral belge.

Voulez-vous y consacrer les deux semaines de vos congés payés ? ou un week-end ? ou un jour seulement ? Le rail, qui vous y conduira à sa gente façon, vous permet toutes les latitudes. Descendez à Bruges ; prenez le train pour Knokke ; empruntez l’un de ces délicieux vicinaux qui n’ont d’autre souci, ces chanceux, que de se hâler au grand vent ; au soir tombant, dans la charmante gare d’Adinkerke, gagnez votre fauteuil dans le direct de Bruxelles – et vous aurez, heureux touriste, sans qu’il vous coûte fatigue mais joie, tout comme Hannon, fait un joli périple.

Knokke-Le Zoute, rendez-vous des Arts et de la Poésie, vous offre son magnifique site du Zwin, ses dunes, et ses sapinières riches d’une faune et d’une flore uniques en Belgique ; Heist, sa grève de toute beauté, son parc public, vaste de dix hectares, et ses puissantes écluses, gigantesques travaux qui servent à l’évacuation des eaux des canaux de Schipdonk et de Selzaete ; Zeebrugge, son pittoresque port de pêche et les vestiges de son radier, curieux bâti, remontant vraisemblablement à la fin de l’époque romaine, qui était destiné à supporter un îlot artificiel. Wenduine, lui, doit sa renommée à son eau de source, qu’on rencontre à peu de profondeur dans le sol, et, bien sûr, à sa plage. Comme Blankenberge, sa voisine, autre station balnéaire recherchée, cette localité tire son nom d’une particule celto-ligure, vindos, qui signifie blanc. Singulières traces du Celte dans ce bout de terre rapidement germanisé : c’est d’un autre vocable celtique, cno, ou colline, qu’est issu le toponyme de Knokke.

Le train jaune a traversé Le Coq, délaissant à sa gauche le religieux Uitkerke, gardien fidèle d’un antique pèlerinage. Dans la lumière laiteuse, surgis du fond des eaux, deux clochers, au lointain, poussent leurs pointes fines : l’église des Saints-Pierre-et-Paul se dessine. Nous voici donc chez la Reine des Plages. Lui accorderez-vous une étape ? Cela est de toute bienséance. Le rail (ne vous l’ai-je point dit ?) autorise bien des libertés, et particulièrement celle-là, faite exprès pour le touriste à la page, de pratiquer à sa guise le « train-stop ».

Ostende demande-t-elle encore qu’on la vante ? Né à la fin du IXe siècle, à la pointe orientale d’une langue de terre sablonneuse qui s’étendait jusqu’à Westende, ce petit nid de pêcheurs est devenu aujourd’hui un des hauts lieux du tourisme. Porte de l’Europe, elle accueille le Saphir, le Nord-Express, le Tauern-Express et l’Ostende-Vienne-Express ; porte des Iles, des services réguliers de bateaux et de ferry-boats la relient à la Grande-Bretagne ; temple du folklore, elle voit se dérouler dans ses murs, entre autres manifestations, le dernier dimanche de juin, la très belle Bénédiction de la Mer, et, en juillet et en août, un festival international de musique et de danse ; ville d’art, elle compte plusieurs édifices remarquables : rappellerons-nous son église des Saints-Pierre-et-Paul, magnifique construction en pierre bleue, de style gothique ? Citerons-nous son Hôtel de ville, son Palais des Thermes, son Kursaal, son monument aux Gens de Mer, son Musée et son Aquarium de poissons et de coquillages ? Mais oublierons-nous pour autant sa minque laborieuse, d’où sortent annuellement plus de cinq cent mille tonnes de poissons, son phare, haut de soixante-cinq mètres, dont les feux sont visibles de Douvres, par temps clair ? Et, bien entendu, sa digue et sa plage ? Sinon la plus reposante, cette dernière est la plus populaire et aussi la plus longue de toutes celles du littoral belge. Pourquoi, du reste, ne point nous offrir une heure de vagabondage pédestre ? Le ciel est bleu, large le vent ; et souple sous le pied le sable du rivage ! Ou bien préférez-vous une randonnée à dos de mulet ? Ou bien encore à bord d’un de ces engins à pédales, descendants dévoyés du fardier de Cugnot, qui pullulent tout au long de la côte ? A Mariakerke, soyez-en sûr, il y aura, devant une curieuse petite église moderne, un train tout de jaune habillé qui vous attendra sagement.

Middelkerke-les-Bains – pouvait-elle faillir à son nom ? – a évidemment aussi son église. Singulière, par ailleurs, puisqu’elle possède une croix vénérée, trouvée, dit-on, d’une façon mystérieuse, il y a plusieurs siècles, sur le bord de la mer. Non loin de là, à Raversijde, s’élève le pavillon où s’immerge le câble reliant la Belgique à l’Angleterre.

Nieuport aura droit à une visite prolongée. Ville héroïque – elle fut presque complètement ravagée au cours de la première guerre mondiale –, on y verra encore des vestiges du fameux Grand Redan, ouvrage de fortification qui servit pendant toute la durée de la bataille de l’Yser et est aujourd’hui en partie remis en état. Quant au nouveau Nieuport, lequel, pour ne pas chagriner la toponymie de la région, a pris l’appellation de Nieuport-les-Bains, il a choisi, pour élire domicile, ce coin du littoral où, vers l’an mille, un anachorète de légende, Ligerius, aurait fondé une petite abbaye que les méchants Hollandais brûlèrent en 1578.

Mais ce bout de Belgique, ce « lambeau de patrie », bien avant tout, au-dessus de tout, vibre des souvenirs de la guerre 1914-1918. Avecapelle, Oudecapelle, Ramscapelle, Eggewaartscapelle, ont-elles pleuré, les pauvres chapelles bâties, en un temps moins amer, par des paysans à la gloire d’une Vierge et de saints dans lesquels ils avaient mis leur foi et la foi de leurs fils et des fils de leurs fils ! Allez aussi à Fumes. Elle vous rappellera, la vieille ville de sainte Walburge, ces neuf jours entre tous mémorables, pendant lesquels 90.000 Belges, sur l’ordre du maréchal Joffre, tinrent en échec, en attendant un renfort de 20.000 soldats de la marine française, 400.000 Allemands entêtés et furieux. Célèbre par tant de détresse, Furnes, heureusement, l’est encore par ses très beaux monuments – sa Grand-Place (on admirera le Beffroi) est un petit bijou d’architecture moyenâgeuse – et. surtout par sa célèbre Boetprocessie – procession de la Pénitence – qui retrace toute l’histoire biblique, depuis le temps des patriarches jusqu’à la mort du Christ. Cette émouvante cérémonie, qui coïncide avec la kermesse communale, se déroule le dernier dimanche de juillet. Elle peut être considérée, aux côtés de la procession dansante de la luxembourgeoise Echternach, comme l’une des manifestations les plus originales du folklore religieux de ce côté de l’Europe occidentale.

Regrettez-vous le sel marin, le cri aigu du goéland, les blanches voiles aux horizons ? Voici que l’autobus vous invite, qui vous emmène à Oostduinkerke, où vous ferez connaissance avec ces étranges pêcheurs de crevettes à cheval qu’on ne rencontre nulle part ailleurs en Belgique, sinon à Coxyde, et rarement encore en France, dans les environs de Bray-Dunes et de Malo-les-Bains. A Saint-Idesbald, vous irez promener dans ces pieuses solitudes où erra, jadis, un autre saint de légende. A La Panne, la Princesse des Plages, qui reçut, le 17 juillet 1831, Léopold arrivant d’Angleterre pour être sacré roi par les Belges, vous irez contempler, dans une sorte de cirque, les vestiges d’un camp habité, il y a trois mille années, par la tribu des Amiani. Et vous irez, bien sûr, aussi...

... Oui, avant que s’achève votre joli périple, il vous faudra visiter les dunes du pays de Coxyde et de La Panne. Large, par endroits, de trois à quatre kilomètres, cette succession de mamelons, que pare une végétation rousse, souvent épineuse, revêt ici et là un cachet de sauvage beauté. Ces menues collines atteignent des hauteurs variant de trois à trente mètres. La plus élevée, le Hoge Blekker, à proximité de Coxyde, grimpe jusqu’à trente-trois mètres. Un des derniers moulins de Flandre était naguère juché au sommet ; il fut malheureusement détruit en 1940. Abondamment boisées, les dunes de La Panne sont particulièrement prisées par le touriste. Trois cent cinquante hectares de cette jungle miniature ont été récemment achetés par l’Etat et constitués en Réserve naturelle.

La route de La Panne à Adinkerke, elle non plus, ne manque pas de pittoresque. Longue de trois kilomètres, elle s’encadre, sur la moitié de son parcours, dans un bois très épais. Cette petite forêt est tout ce qui subsiste de la vaste feuillée qui s’étendit dans la- région à la suite de l’assèchement des polders. Au XVIIe siècle encore, cette sylve miraculeuse était peuplée de renards, de cerfs et de sangliers. Image poétique d’un temps où les phoques, qui venaient se reposer par centaines sur les rivages de Mardick, vivaient en voisinage avec les grands-parents des hôtes actuels de la forêt d’Ardenne.

Ainsi s’achèvera, dans l’odeur des peupliers et des ormes, votre promenade au bord de la mer. Et nul doute qu’avant de reprendre votre train, vous irez boire, dans tel petit café d’Adinkerke, à deux pas de la frontière, un vin venu tout exprès pour vous de Dunkerque. La patronne est une brave vieille. Et diserte, par surcroît. Elle vous dira, si vous le désirez, la vraie histoire de Bella Stock, la pauvre fille du pêcheur aveugle, qu’Henri Conscience a chantée dans son Coureur de Grèves. Elle vous parlera de ce temps héroïque quand, Adinkerke n’étant pas encore relié à Bruxelles par le rail, naquit Adèle, le premier tram, tiré par un cheval, qui rattacha son village au hameau de La Panne. Et si la dame vous réclame cinq cents francs pour son dû, ne vous exclamez pas ! C’est la faute à la France toute proche : à Adinkerke, comme à Dunkerque, on compte parfois en francs légers.


Source : Le Rail, juillet 1962