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Le chemin de fer au pays des légendes et des brigands

René Danloy.

vendredi 24 juin 2022, par rixke

 Châteaux et légendes

Le repaire du « sanglier »

Restons sur les rives de l’Ourthe pour vous parler du château de Logne. Bâtie sur un éperon rocheux dominant les vallées de l’Ourthe et de la Lambrée, la forteresse toise les voies de chemins de fer entre Sy et Bornai. S’il n’en demeure que des ruines, celles-ci ne manquent pas d’intérêt car elles nous réservent un parcours guidé plein de surprises que l’on complétera par une visite au musée d’archéologie situé dans le village en contrebas. Et puis, la vue, de là-haut, est vraiment grandiose...

Vue depuis le château de Logne

L’occupation du site remonte à la préhistoire, vraisemblablement entre 14000 et 9500 avant J.-C. Plus tard, la colline devint un refuge pour les Francs et un texte du Xe siècle précise qu’à cette époque, il existait déjà un château fort. Il raconte même qu’en 883, lors d’une incursion des Normands, les moines de Stavelot se seraient enfuis de la ville avec les reliques de saint Remacle, le patron de l’Ardenne, pour se réfugier à Logne dans un premier temps.

En 1138, l’abbé Wibald fit reconstruire le château délabré et fonda une villa (domaine) dotée d’un marché et de franchises (privilèges accordés par un seigneur et limitant les droits qu’il exerçait auparavant).

Au début du XIIIe siècle, Ermesinde de Luxembourg et son mari Waleran occupèrent le château. Ce fut ensuite Henry IV de Luxembourg qui en prit possession mais, une fois élu empereur, il le restitua aux moines stavelotains.

En 1427, l’abbaye céda en gage le fief composé de la quasi-totalité de la châtellenie de Logne à Éverard II de la Marck, seigneur d’Arenberg.

Originaire de Westphalie, la puissante famille de la Marck avait donné plusieurs princes-évêques à Liège.

Elle avait acquis notamment les forteresses de Sedan, Logne et Bouillon. Parmi ses membres, dans la branche sedanaise, elle comptait Guillaume à la Barbe, baron de Lummen – le Sanglier des Ardennes, de Walter Scott –, Jeannot le Bâtard, son gendre et châtelain de Logne, ainsi que Robert II le Diable et Robert III l’Adventureux.

Les la Marck soutinrent la France contre la Bourgogne et l’on sait que Guillaume fut conseiller et chambellan du roi Louis XI. Après la mort du Téméraire, ils s’opposèrent aux intérêts bourguignons, notamment à ceux de Marie – fille du défunt –, de son mari Maximilien d’Autriche et de leurs partisans, les princes-évêques de Liège, Louis de Bourbon, puis Jean de Hornes.

En 1480, Maximilien s’empara de la forteresse que le Sanglier des Ardennes récupéra deux années plus tard.

Dès lors, Logne devint une base d’où Guillaume, Jeannot et ses sbires organisèrent des expéditions sanglantes vers le pays de Liège et d’autres villes mosanes, semant la terreur derrière eux.

Il semble, qu’en représailles, le château fort ait subi de nombreux sièges, changeant régulièrement de propriétaire, tombant successivement aux mains des la Marck ou de leurs adversaires. Guillaume fut pourtant décapité à Maestricht sur l’ordre de Maximilien en 1485 mais ses frères continuèrent la lutte.

En 1518, le nouvel évêque de Liège, Érard de la Marck et son frère Robert II de Sedan signèrent un traité ratifiant leur allégeance à l’empereur. Mais Robert le renia bientôt et se rallia aux côtés de François 1er, en compagnie de ses fils Robert III et Guillaume de Jametz, seigneur de Logne depuis 1514.

Ce dernier refusant de rendre le château aux moines de Stavelot et Robert fomentant des troubles en faveur de la France, ce furent là les raisons qui décidèrent Charles Quint à intervenir en Ardenne.

Le siège de Logne aurait duré du 20 avril au 1er mai 1521.

Logne

La forteresse fut bombardée et une partie de la garnison, aussi décimée que démoralisée, se jeta dans le vide. Les survivants capitulèrent mais furent passés par les armes puis le site fut rendu à l’abbaye de Stavelot sous condition de ne jamais y rebâtir de fortifications.

Comme tout château en Ardenne, celui-ci possède évidemment sa légende. On raconte qu’au XIIIe siècle, la fille d’un vieux chevalier, Marthe, était amoureuse d’Alard, un écuyer de la femme du duc Waleran de Luxembourg. Celui-ci tomba sous le charme de la jeune fille un jour qu’il l’avait vue au château peu avant ses noces avec Alard. Profitant d’une absence de la duchesse, il envoya son écuyer à la forteresse de Poilvache, non loin de Dinant. Il fit ensuite la cour à Marthe qui ne tarda pas à se laisser séduire, appâtée par l’argent. Alard en mourut de chagrin mais la cupidité de sa dulcinée finit par lasser le duc qui la fit enfermer dans les sous-sols du château. Un jour, on la retrouva morte, couverte de bijoux, dans le souterrain de « la gatte d’or ». Depuis, il paraît que l’on aperçoit de temps à autre, surtout à la veille des grandes solennités et plus précisément chaque année à Noël, aux douze coups de minuit, une gatte (chèvre) brillant de l’éclat des bijoux en or qu’elle porte. Elle parcourt le souterrain en question et l’on dit que si l’on parvenait à la saisir par la queue, elle indiquerait l’endroit où le trésor de Marthe est enfoui...

Les nobles chevaliers d’Aymon

Sont-ils demeurés célèbres, dans toute l’Ardenne, les quatre fils d’Aymon de Dordonne, Renaud, Guichard, Alard et Richard ! De Namur à Charleville, ils sont encore dans toutes les mémoires et l’on se souvient toujours de leurs hauts faits, autant que des prouesses de Bayard, leur cheval mythique.

Château d’Amblève

Dans la vallée de l’Ourthe, près de Poulseur, et dans celle de l’Amblève où, non loin d’Aywaille, s’élèvent encore les ruines d’un de leurs châteaux, ces chevaliers signèrent quelques épisodes d’une fabuleuse épopée que nous rapporte le moyen âge. Tout commença par un conflit entre le duc Beuves d’Aigremont, l’un des trois frères d’Aymon de Dordonne, et Charlemagne, le premier refusant de se soumettre au second. Finalement le duc fut assassiné, ce qui déclencha une guerre entre Charles et les frères du défunt. La paix revenue, Aymon revint à la cour de Charlemagne avec ses quatre fils, lesquels devaient être armés chevaliers. Mais une dispute survint entre Renaud et le neveu de l’empereur, Bertolai. Elle se termina par la mort de ce dernier. S’ensuivit une bataille au terme de laquelle les quatre jeunes Aymon s’enfuirent, en compagnie de Maugis, le fils de Beuves, et se réfugièrent en Ardenne où ils bâtirent le château de Montfort sur un pic rocheux.

La version « officielle » de la légende, elle, parle du château de Montessor, avant de préciser qu’après plusieurs années, les fugitifs se rendirent auprès du roi Yon de Gascogne qui les autorisa à construire la forteresse de Montauban. Au terme de multiples et guerroyantes péripéties, Charlemagne finit par accepter la paix à condition qu’on lui livrât Bayard et que Renaud s’en allât en pèlerinage au Saint-Sépulcre. Le cheval fut jeté dans la Meuse, une meule de moulin attachée au cou. Mais il brisa la pierre, s’enfuit à la nage et s’enfonça dans la forêt d’Ardenne. Renaud et Maugis partirent vers Constantinople puis ils délivrèrent Jérusalem des Persans. À son retour, Renaud apprit la mort de sa femme, Aélis, fille du roi Yon. Maugis se fit alors ermite et Renaud, après le mariage de ses fils faits chevaliers et pourvus de fiefs, s’en alla travailler incognito sur le chantier de la cathédrale de Cologne. Plus tard, il y fut assassiné par des compagnons ouvriers qui précipitèrent son corps dans le Rhin. Le funeste destin de Renaud est confirmé par la version « belge » de la légende. Elle aussi déclare que le corps remonta à la surface des eaux alors que l’on entendait chanter les anges et que le Rhin était tout illuminé. Et c’est le défunt lui-même qui guida le cortège funèbre jusqu’à l’endroit où il désirait être inhumé...

Quant à Bayard, immortel, il paraît qu’il erre encore dans la forêt ardennaise et qu’au crépuscule on entend parfois son galop sur les crêtes entre l’Amblève et la Meuse, où l’on voit flotter entre les arbres sa longue crinière noire...

L’énigme de Quarreux

En val d’Ourthe et d’Amblève, abondent les anecdotes historiques et tant de légendes qu’il est quelquefois malaisé de les dissocier, les unes servant de support aux autres. Certaines de ces légendes se racontent en Allemagne, dans la vallée du Rhin où nous retrouvons les traces de Roland. D’autres se perpétuent en Bretagne, dans le Périgord, au Danemark et même en Inde où, comme chez nous, on évoque le chasseur infernal. Bref, nous pourrions écrire une véritable encyclopédie là-dessus. Las, nous n’en avons pas la place ici...

Dans les vallées d’Ardenne qui nous occupent, diable, fées, lutins et sorcières ont fait les délices des conteurs d’autrefois. Voyons ce qu’il en était, par le biais de l’une de ces histoires de veillée, épinglée parmi tant d’épisodes alliant aventures, romance et merveilleux...

Lorsqu’on emprunte la ligne 42, au-delà d’Aywaille vers Coo, le chemin de fer et l’Amblève s’insinuent de concert entre les collines dominant la vallée. C’est alors que l’on parvient dans ce que l’on appelle les fonds de Quarreux. Un chemin étroit, réservé à la randonnée, s’étire en contrebas des voies et permet de suivre la rivière. L’endroit est on ne peut plus insolite. En effet, l’Amblève s’y montre particulièrement rebelle et un panneau prévient le touriste de ses sautes d’humeur imprévisibles, le niveau de l’eau pouvant monter à une vitesse étonnante en cas de crue. L’onde tourbillonne autour d’innombrables masses de rochers dont la présence ne manque pas d’étonner le promeneur. C’est ce qui explique que le site attire tant d’artistes peintres.

Quarreux

Comment ces monolithes seraient-ils arrivés là, sinon par des moyens surnaturels ?

Car ici la légende est tenace... Un pauvre meunier, Hubert Chefneux, pensait bien sortir de la misère lorsqu’il apprit qu’il allait hériter d’un oncle venant de mourir. Las, le défunt avait laissé sa fortune dans les cabarets. Le malheureux Hubert se retrouva Gros-Jean comme devant et contraint de subsister grâce aux maigres revenus que produisait son vieux moulin délabré. Il murmura alors que seul le diable pourrait l’aider.

Ce dernier l’entendit et lui proposa un pacte : il s’engageait à construire, en l’espace de trois nuits, le plus grand et le plus beau moulin de toute la vallée. En échange, Hubert lui donnerait son âme quand il mourrait, riche et comblé. Et, si au premier chant du coq après la troisième nuit les ailes du moulin ne tournaient pas, il romprait ledit pacte, renonçant à tous ses droits sur l’âme de Hubert. Dès la nuit suivante, le diable entreprit les travaux et la vallée retentit d’un inquiétant vacarme. Cependant, la femme du meunier, Catherine, avait surpris la conversation entre son mari et le Malin.

À l’issue de la troisième nuit, peu avant l’aube, elle vit que la construction de la bâtisse était pratiquement terminée et, prenant peur pour Hubert, elle s’accrocha aux ailes du moulin pour les empêcher de tourner. Quand le diable s’aperçut qu’il avait été berné, il détruisit l’édifice et les énormes pierres ayant servi à en construire les murs roulèrent jusqu’au fond de la vallée.

Mais la pauvre Catherine paya de sa vie son amour pour Hubert...


Source : Le Rail, juin 1997