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Les métiers du Rail : une affaire d’aiguillages... (17)

R. Danloy.

mercredi 18 novembre 2009, par rixke

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C’est à l’extrême sud du réseau que m’ont conduit cette fois mes pas pour vous entretenir d’une fonction bien particulière, exercée par des cheminots.

En effet, à Arlon, m’attendent ce jour-là, Albert, Francis et Jean-Michel que je vais accompagner durant toute une journée afin de me rendre compte du travail qu’accomplissent les ajusteurs. Il est 7 h 30 quand débute leur prestation. Les présentations faites, j’entre sans plus tarder dans le vif du sujet.

Albert, qui détient le grade de planningman-brigadier A en mécanique, téléphone au répondeur automatique pour annoncer le programme de la journée, expliquant à quelles tâches son équipe va s’occuper mais aussi en quel endroit. Ainsi, en cas de nécessité, on pourra toujours les contacter sans problème. Ceci fait, il m’invite à une visite des lieux pour que je puisse bien m’imprégner des divers aspects du métier. Nous jetons un coup d’œil sur l’outillage : marteau, clé à molette, tenaille, burin, arrache-goupille, pied-de-biche, tournevis, mètre, clés diverses et grattoirs - pour ne citer que ceux-là - forment la panoplie indispensable de l’ajusteur. Ce dernier dispose, en outre, à l’atelier, d’une foreuse à colonne, d’une meuleuse d’angle, d’un groupe électrogène, d’un poste à souder et même d’une... forge comprenant une enclume et des étaux !

Et puis, bien entendu, pour être parfaitement opérationnel, il faut disposer d’un stock de pièces. Celles-ci sont soigneusement rangées dans des casiers le long d’un mur de l’atelier. Elles constituent le petit outillage, composé de bagues, d’axes ou encore de boulons.

A côté, c’est le garage abritant une camionnette que nos collègues ont aménagée spécialement. Albert et Francis ne sont pas peu fiers de me dévoiler l’établi qu’ils y ont installé et qui renferme dans ses tiroirs tout ce qu’il faut pour assurer un dépannage. Enfin, à l’étage, est entreposé le gros matériel : tringles de tous calibres, croix de Saint-André, signaux de fin de ligne électrifiée, balises, panneaux de ralentissement, et autres.

Tandis que Francis et Jean-Michel sont occupés à préparer des pièces d’aiguillage dans le local voisin, Albert m’invite à m’asseoir quelques instants à table pour me parler des différents aspects de son travail.

Les tâches sont nombreuses et certaines d’entre elles reviennent périodiquement.

Par exemple, la révision des crocodiles se fait une fois par an, de même que celle des aiguillages - du moins ceux qui sont fort sollicités - ou encore la géométrie de ces appareils qui s’effectue en compagnie d’un électromécanicien. Le nettoyage des balises, des littéras, des écrans et des téléphones des signaux, des lisses des passages à niveau a lieu tous les deux ans tandis que la révision des aiguillages moins utilisés se déroule au bout de trois années. Sans compter la pose de nouveaux aiguillages en remplacement de ceux qui ne sont plus dans les tolérances du service de la Voie !

En plus de cela, il faut s’occuper de l’entretien des croix de Saint-André aux « PN », du démontage des vieux signaux, de la pose de caniveaux et de la remise en peinture des loges des signaux et des passages à niveau. Et si l’on songe que le rayon d’action de nos collègues s’étend d’Arlon à la frontière grand-ducale et de la bifurcation d’Autelbas jusqu’à l’entrée d’Athus, on comprendra aisément que le pain sur la planche ne manque pas.

Et puis, notre ami Albert ne supervise-t-il pas en outre les gares d’Athus, de Virton et de Florenville où officient aussi d’autres ajusteurs ? Mais, aujourd’hui, nous nous limitons à la gare d’Arlon où Albert a programmé un entretien de la partie mécanique de quelques aiguillages. Les rigueurs hivernales, en effet, interdisent d’effectuer certains travaux. Pendant qu’Albert et Francis rassemblent tout ce qui leur sera nécessaire et vérifient leur sac d’outillage, Jean-Michel - qui fera office de vigie - se munit de trois drapeaux : un vert, un jaune et un rouge. Il prend également deux cornets et deux pétards de manière à garantir la sécurité du groupe. Albert, lui, emporte une radio qui lui permettra de demeurer en liaison constante avec le poste de signalisation et de travailler conformément à la réglementation en vigueur. Nous commençons par nous rendre auprès du dirigeant en cabine. Là, Albert remplit le carnet de sécurité S427 qu’il lui remet ensuite. Ainsi le sous-chef et le signaleur seront au courant du travail qui va être entrepris et connaîtront avec précision la zone où le trio opérera.

Courageusement, nous affrontons le froid de janvier, progressant dans la neige qui recouvre les traverses. Le premier aiguillage visité se situe côté Stockem. Francis enlève les dépôts de graisse avec son grattoir puis il vérifie le serrage des boulons et regarde si les tringles sont bien solidaires. Entre-temps, Albert, s’assure que la lame parcourue et le crochet ne présentent pas de jeu et que les goupilles sont bien ouvertes. Un point très important réside également dans le fait qu’il faut bien veiller à ce qu’aucun objet ne puisse entraver le fonctionnement de l’aiguillage. Quant à Jean-Michel, il surveille attentivement les mouvements des trains pour garantir la sécurité de ses collègues et... la mienne ! De toute manière, la radio se veut un appareil particulièrement rassurant : en effet, par elle, le dirigeant de la cabine nous prévient de chaque mouvement de train qui est d’ailleurs enregistré dans un carnet spécifique, et, croyez-moi, c’est une protection très efficace. « Ici, à Arlon, il existe un excellent esprit d’équipe », me confie Albert. « Entre ceux qui travaillent au poste de signalisation et ceux qui sont occupés dans les voies. Entre ajusteurs et électromécaniciens aussi qui œuvrent en étroite collaboration ». Et puis, la radio, c’est tellement pratique pour demander au signaleur d’inverser l’aiguillage ! Car, un bon entretien de l’appareil, se fait dans les deux positions qu’il peut occuper : gauche et droite. La vérification minutieuse se poursuit : celle des tringles de contrôle mais aussi d’autres éléments essentiels comme le fait que « l’aiguille collée » soit bien appliquée contre le rail avec une tolérance d’un millimètre d’écartement ! C’est que l’on ne badine pas avec la sécurité et Francis possède dans son sac des épaisseurs d’un millimètre qui lui permettront de remédier à une discordance occasionnelle.

Le temps de laisser le passage à une machine luxembourgeoise puis à une impressionnante locomotive diesel de la SNCF, et nous nous rendons à un autre aiguillage, l’un des rares appareils du type P5 ayant servi de prototype pour le TGV encore en service. C’est d’ailleurs l’un des plus sollicités de la gare et il fonctionne toujours très bien. Le temps de vérifier quelques aiguillages dans les voies en direction de Stockem et midi sonne. L’heure du casse-croûte et de se... réchauffer.

Après une pause d’une demi-heure, nous nous remettons en route, du côté Luxembourg, cette fois. A deux reprises, en plus des différentes opérations que je viens de décrire, Albert et Francis doivent régler le jeu des aiguilles aux talons pour éviter ce qu’ils appellent des efforts négatifs, une tension des lames pouvant provoquer un éventuel déverrouillage du moteur avec des conséquences auxquelles on aime mieux ne pas penser. Comme on le voit donc nos collègues sont d’importants maillons de la chaîne « sécurité » ! Le temps passe et, l’entretien des aiguillages mené à bien, nous quittons la zone où ont opéré mes compagnons du jour. Albert prévient le poste de signalisation par radio que l’équipe a terminé son ouvrage et le message est inscrit sur le document prévu à cet effet. Ensuite il se rend à nouveau auprès du sous-chef où il complète son carnet S427 en y consignant la fin des travaux.

Quatorze heures ! Nous sommes vendredi, le jour qui est, à partir de ce moment, traditionnellement consacré au rangement et au nettoyage des locaux comme me l’explique Albert. Il est vrai qu’ici le désordre ne fait pas partie du langage courant car, à tout moment, dans des délais très courts, il faut pouvoir mettre la main sur la pièce et l’outil nécessaires au dépannage...


Source : Le Rail, avril 1994