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Le service des achats vend aussi

J. Vandenberghen, ingénieur principal.

mardi 16 janvier 2024, par rixke

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L’habitué du rail ne trouvera pas étrange qu’il faut un grand nombre de matières, d’accessoires, d’outils et de produits divers pour qu’une entreprise aussi vaste que le chemin de fer puisse remplir sa mission. Si vous lui dites que le service des Achats doit s’approvisionner en plus de 100.000 articles différents, il trouvera la chose normale, pour peu qu’il ait une idée de la variété et de l’importance des besoins de notre Société. Vous ne l’étonnerez pas davantage en ajoutant que le montant des marchés annuels de la S.N.C.B. la place en tête des acheteurs du pays et que son rôle économique à ce point de vue n’est pas négligeable.

Découpage de bandages à Cuesmes

En revanche, vous le surprendrez sans doute en lui apprenant que la Société ne fournit pas seulement des km-voyageurs, des tonnes-km marchandises et des services complémentaires, mais que la division des Achats vend elle aussi et que son chiffre d’affaires dépasse 300 millions par an. Votre interlocuteur s’imaginera vraisemblablement qu’il s’agit de produits fabriqués par nos ateliers. Quand vous l’aurez détrompé, il vous demandera d’éclairer sa lanterne. C’est alors que par un seul mot, le mot « mitrailles », vous lui ouvrirez la voie qui lui permettra de découvrir une organisation dont la particularité est d’être bien vivante en s’occupant de choses mortes. En effet, au sein de la division des Achats, le bureau M.A. 26.23 s’occupe de tirer le meilleur parti possible du matériel désaffecté et des matériaux mis hors d’usage.

Cassage de roues pour la refonte

Tout ce qui est superflu à l’exploitation est rassemblé, d’après la nature des marchandises, dans plusieurs dépôts de façon que l’on puisse écouler de grosses quantités à la fois en vue d’obtenir les prix les plus favorables. Toutefois, comme on ne peut pas étendre, au-delà d’une certaine mesure, les surfaces de stockage, les ventes ont lieu, en principe, tous les mois. Chacune porte sur la somme des matériaux stockés et de ceux qui seront disponibles au moment où les formalités d’adjudication sont terminées.

Une exception est faite pour les matériaux dont la mise à la mitraille est importante et régulière : ils sont vendus, par contrats trimestriels ou annuels, avant même d’être à la disposition des acheteurs, et ceux-ci en prennent livraison au fur et à mesure de la production. Cette façon de faire présente de grands avantages : rentrée de fonds plus rapide, économie de main-d’œuvre et de place de stockage.

Que vend-on ? Un peu de tout. Des mitrailles « ferreuses » et « non ferreuses », du matériel hors d’usage de toutes dimensions, depuis les lourdes locomotives à vapeur jusqu’aux petites lanternes à pétrole, en passant par les machines-outils.

Mais près de la moitié du chiffre d’affaires est obtenue grâce à la vente des rails dont le remploi sur notre réseau est exclu pour des raisons techniques ou économiques. Certains sont achetés pour des installations ferroviaires industrielles ; d’autres sont exportés pour être relaminés en profils plus légers ; d’autres vieilles barres sont coupées pour être revendues aux charbonnages, qui s’en servent comme soutènement dans leurs galeries ; le reliquat, coupé en petits morceaux, est refondu. Grâce à cette vente, on récupère environ 30 % du prix d’achat des rails.

Cassage des rails à Schaerbeek

Les bandages pouvant être détachés de la roue par une seule coupe sont vendus à des firmes étrangères qui fabriquent des bêches et des pelles ; le reste est cassé en morceaux pour la refonte.

Les traverses désaffectées en bois sont achetées par des firmes spécialisées ; celles-ci les revendent, après triage, aux charbonnages, qui les utilisent comme bois de mine.

Les vieux papiers, documents de transport, cartes mécanographiques, etc., sont vendus à des prix variant de 0,72 fr à 5 fr le kilo. Le lecteur apprendra peut-être avec étonnement que ces ventes ont rapporté 820.000 fr en 1965.

Les caisses en bois des vieux wagons et des anciennes voitures ne peuvent plus être utilisées comme habitations, mais aucun arrêté ministériel n’interdit aux acheteurs de les faire servir comme abris ou comme pavillons pour des organisations sportives. Celles qui ne peuvent intéresser des particuliers sont brûlées sur les bûchers des chantiers de démolition, où l’on récupère le métal sauvé des cendres, après que se sont envolés en fumée tant de souvenirs de voyages romantiques.

Cette petite note de nostalgie n’est qu’un prélude au thème plus profond que nous allons réveiller chez les amoureux de la vapeur, celui qui les émeut quand ils pensent au sort de leurs anciennes compagnes qui sont mises définitivement hors service. A côté de quelques rares exemplaires précieusement conservés pour être exposés dans le futur Musée des Transports, les autres machines à vapeur sont rassemblées sur parc en attendant la mise en vente. La plupart seront réduites en mitrailles sous l’action dévorante des chalumeaux.

Plus heureux est le sort des lampes en cuivre : elles sont achetées par des amateurs du vieux chemin de fer ou par des bricoleurs, pour qui c’est un jeu d’enfant de les transformer en lampes de chevet ou en appliques...

Le goût du public pour les vieilles choses provoque d’ailleurs parfois des ventes inattendues : c’est ainsi que des musées américains ont acheté des anciennes plaques en bronze sur lesquelles figuraient des numéros d’identification de nos vieilles locomotives à vapeur.

Empressons-nous d’ajouter que le marché des mitrailles est surtout influencé par des considérations plus matérielles. Qu’une menace de conflit se précise, qu’une guerre se déclare, qu’une grève importante éclate, le marché des mitrailles s’en ressent dans le monde entier. C’est ainsi que les événements politiques en Rhodésie influencent depuis plusieurs mois le prix du cuivre. Notons d’ailleurs à ce sujet que le prix offert pour les mitrailles de cuivre est parfois plus élevé que le prix officiel du cuivre neuf. En vue de se mettre à l’abri de pareilles fluctuations, la Société se réserve la majeure partie de ses mitrailles cuivreuses et les fait refondre à son profit.


Source : Le Rail, avril 1966